Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 avril 2018 à 9h35
Loi de programmation militaire 2019-2025 — Audition de l'amiral christophe prazuck chef d'état-major de la marine

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine :

Mon premier point de vigilance concerne l'activité et l'entretien programmé des matériels. En attendant que les nouveaux bâtiments et matériels nous parviennent, il va falloir prolonger les matériels existants et garantir le niveau d'activité élevé d'une marine d'emploi, ce qui induit un coût.

Mon deuxième point de vigilance concerne les munitions. Depuis de trop nombreuses années, nos stocks, tant de munitions simples que complexes, comme les Aster ou encore les Exocets, n'ont pas été complétés. Or, la constitution d'une marine de combat implique la rénovation et le recomplètement des munitions.

Nous avons coopéré à plusieurs reprises avec les Italiens, notamment pour la réalisation des frégates de défense anti-aérienne dans le cadre du programme Horizon. Les FREMM, qui sont aujourd'hui les meilleurs bâtiments de chasse aux sous-marins dans le monde, sont également issues de la coopération avec l'Italie. En outre, les nouveaux pétroliers, dont la livraison est prévue par la LPM, seront réalisés à partir d'un design italien. Les Italiens sont ainsi nos partenaires industriels de long terme. À côté de ces coopérations, d'autres domaines industriels, comme la construction des sous-marins nucléaires à Cherbourg ou l'élaboration de systèmes de combat complexes, relèvent directement de l'autonomie stratégique de la France.

Nous sommes allés trop loin dans la réduction des équipages des FREMM, et avons changé la pyramide des âges de leurs équipages. Pour générer des experts, il faut au moins le même nombre de jeunes marins embarqués ! Tout ne s'apprend pas sur les bancs de l'école et il faut que les jeunes marins assurent leur apprentissage à la mer. La formation à terre est d'autant plus importante que les équipages des FREMM sont réduits et ne peuvent par conséquent consacrer les mêmes ressources à l'apprentissage que les équipages plus nombreux des bâtiments d'ancienne génération. Dans mon plan stratégique, je souhaite doubler les équipages de FREMM, à l'instar de ce qui est pratiqué dans les sous-marins, afin de garantir aux équipages de la prévisibilité sur leurs programmes d'activité. Lors des Universités d'Eté de la défense, qui ont eu lieu à Toulon fin août 2017, la FREMM Languedoc n'a pu vous être présentée, puisque, deux jours avant cette manifestation, il m'a fallu la faire appareiller, en rappelant son équipage de permissions, pour faire face à une urgence opérationnelle. La mission de ce bâtiment, qui devait initialement durer une semaine, s'est prolongée un mois et demi. Le Languedoc a magnifiquement travaillé, son équipage peut être fier du travail réalisé, mais je ne peux réitérer sans cesse ce type d'exigence sans fragiliser la fidélisation des marins. C'est pourquoi j'envisage de doubler les équipages des bâtiments les plus sollicités, sans augmenter ni les effectifs ni la masse salariale, grâce à des redéploiements internes. La qualité de maintenance des bateaux et le nombre de jours de mer y gagneront. La préparation opérationnelle des équipages sera également améliorée grâce à l'emploi de simulateurs, à l'instar de ce qui se passe pour les sous-marins.

La Marine devrait obtenir des effectifs complémentaires à hauteur de 1000 marins environ, dont les trois-quarts seront versés au renseignement et à la protection de nos emprises. Ces prévisions me donnent des marges de manoeuvre pour lancer la réorganisation de la Marine et constituer deux équipages par FREMM. Les besoins devraient ainsi être pourvus, grâce à la LPM, jusqu'en 2025.

Nous devons être en mesure d'accueillir de nouveaux bateaux, comme les six « Barracuda » qui vont remplacer les six « Rubis », dont les infrastructures seront conformes aux normes de sûreté de l'industrie nucléaire, lesquelles ont évolué, à la suite du retour d'expérience de la catastrophe de Fukushima. C'est un programme de très grande ampleur qui concerne à la fois Cherbourg, où sont construits ces sous-marins, Brest, où ils peuvent passer régulièrement, ou encore Toulon, où ils sont basés. Ces trois bases doivent ainsi accueillir ces bâtiments en toute sécurité. La réalisation de ce programme devrait s'étaler jusqu'en 2027. En outre, l'accueil des frégates multi-missions, dont les consommations électriques sont plus importantes que celles des frégates des générations antérieures, implique la modernisation des quais. L'ensemble de nos bases, qui ont été reconstruites à l'époque du Plan Marshall, doivent également être modernisées. Je me félicite ainsi que ces grands travaux soient couverts par la LPM.

Il faut parallèlement continuer à travailler sur la qualité de l'hébergement et des conditions d'existence des marins dans les bases navales. Il faut regagner du confort et améliorer la qualité de l'hébergement qui demeure insuffisante.

La Marine ne dispose actuellement que d'un seul bâtiment de renseignements qui est parfois immobilisé pour entretien ou simplement déployé dans une zone d'opérations, tandis que d'autres besoins émergent sur un autre point du globe. De tels bâtiments ne sont pas compliqués à construire ; le Dupuy de Lôme a été conçu aux Pays-Bas. La difficulté réside dans la définition de la charge utile de ces bâtiments, à savoir les technologies de détection et d'écoute dont l'élaboration est plus complexe et prend du temps.

Les gens de ma génération ont du mal à comprendre l'importance accordée au lien numérique. Mais je ne peux que constater que c'est un facteur décisif pour les plus jeunes générations, et je me dois donc d'oeuvrer à réduire cette fracture numérique. Sur les bâtiments australiens, un écosystème internet interne au bord a ainsi été recréé pour que les marins puissent y échanger. Nous travaillons ainsi à la réalisation de dispositifs analogues, dont j'ai pleinement conscience qu'ils sont essentiels à la fidélisation des équipages, même si dans le quotidien La Croix, un article sur l'école des mousses indiquait que les téléphones portables étaient retirés aux élèves durant leur temps de scolarité. Preuve qu'une telle frustration peut être surmontée !

La compétition industrielle ne nous empêche pas de coopérer avec les Allemands. La Marine sera présente à la célébration de la création de la marine polonaise La question des missiles ne relève pas de mes compétences.

Nous constatons depuis plusieurs années une accélération des évolutions technologiques dans le domaine militaire. C'est particulièrement vrai dans le domaine des missiles. Les Russes exportent des missiles S-400 de plus en plus performants. Les futurs missiles, dans les 10 à 15 ans à venir, pourront être tellement rapides que nos radars à antennes tournantes ne pourront pas en pister la trajectoire. C'est pourquoi, de nouveaux radars - fixes, à plaques - sont en cours d'élaboration pour détecter des missiles volant jusqu'à Mach 5. En outre, certaines technologies de furtivité, qui sont également en cours de développement, impliquent la mise en oeuvre d'une veille collaborative créée par la mutualisation des données de l'ensemble des radars d'une force, afin de disposer d'une image globale de son environnement immédiat.

L'interception connaît également une réelle évolution. Certes, les missiles Aster demeurent très performants pour intercepter les missiles supersoniques. Ils peuvent changer de direction immédiatement tout en encaissant le facteur de charge, mais comme toutes les armes, ils possèdent également des limites vis-à-vis de missiles nettement plus rapides. De nouveaux moyens d'interception devront ainsi être élaborés ; en soft-kill et en hard-kill, les armes à énergies dirigées sont également une piste susceptible de répondre à ces évolutions. Parallèlement, la défense de l'adversaire doit être prise en compte. C'est pourquoi un programme franco-britannique FMAN-FMC porte sur la prochaine génération des missiles de croisière et antinavires.

Au-delà des différentes options qui s'ouvrent avec le remplacement du porte-avions Charles de Gaulle, quels en sont les repères ? Personne n'est capable de dire aujourd'hui si le Charles de Gaulle pourra naviguer au-delà de 2037. Tout dépendra de l'usure de ses installations. Alors que le Rubis a pu être prolongé de quelques années, le Saphir, bien que postérieur, ne le sera pas, nous ont indiqué nos analyses techniques. Il faudra juger, dans vingt ans, in situ. Il est donc possible qu'en 2037, le Charles de Gaulle quitte le service. Combien de temps faut-il pour élaborer et construire un porte-avions ? Dix-neuf ans ont été requis pour le Charles de Gaulle, dix-sept pour le Queen Elizabeth. Il est donc temps de s'y mettre ! C'est ce que, du reste, la LPM prévoit et au terme des études que nous conduisons avec l'état-major des armées et la direction générale de l'armement, nous disposerons des éléments nécessaires à une prise de décision.

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