Nous avons d'abord voulu remettre les élus locaux au coeur de l'action en leur permettant de déployer des stratégies territoriales responsables de développement de leur centre-ville. C'est un enjeu de société. Que voulons-nous pour demain ? Une ville à l'américaine, avec des drives en périphérie, ou à l'européenne, avec un véritable centre-ville comme lieu de lien social et culturel et de rencontre ?
Dans cet esprit, l'un des piliers de la proposition de loi est l'opération Oser, qui sera à la main des élus : ils délimiteront, sur une base objective et après analyse d'impact, le périmètre de centre-ville en difficulté qui bénéficiera d'une gamme de mesures structurelles.
Comme vous le savez, l'Opération de revitalisation de territoire (ORT) prévue par le plan Mézard et le projet de loi Élan qui sera examiné début juillet exclut juridiquement les territoires intra-métropolitains. Ainsi, une ville comme Roubaix, pourtant en grande difficulté, n'y aura pas droit parce qu'elle fait partie de la métropole de Lille ! L'ORT proposée par le Gouvernement exclut aussi, de facto, les centres-bourgs, mais également de très nombreuses petites villes ou villes moyennes, le ministère ayant décidé de la réserver prioritairement aux « villes pôles d'attractivité », un concept au demeurant assez flou. De plus, l'ORT ne concerne que les coeurs de ville et se contente de mesures correctives - or dans quelques années, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Nous avons souhaité traiter dans ce texte l'ensemble des problématiques : e-commerce, périphéries et centres-villes.
L'opération Oser sera ouverte à tous les territoires et ne dépendra pas d'une liste concoctée au sein d'un cabinet ministériel, méthode que nous analysons comme une forme de recentralisation ; au lieu du ministère, ce sont les élus qui définiront les critères, comme pour les pôles d'excellence rurale.
Nous le savons, le déficit en ingénierie dont souffrent les communes limitera l'action de nombre des 222 villes retenues par le Gouvernement comme prioritaires pour les opérations de revitalisation. Il y a quelques jours, le président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF) soulignait que, sans ingénierie de projets, la contractualisation avec l'État et la possibilité de « faire descendre des financements » seraient bloquées. C'est pourquoi notre proposition de loi crée l'Agence nationale des centres-villes et centres-bourgs qui aura précisément pour mission d'aider les collectivités et intercommunalités à disposer de capacités d'ingénierie et d'assistance à maîtrise d'ouvrage. Évidemment, cette agence aura vocation à s'articuler avec l'Agence de cohésion des territoires que nous attendons depuis plusieurs mois.
Nous voulons également, comme Martial Bourquin l'a souligné, redonner aux élus la possibilité de concevoir et de mettre en oeuvre des stratégies de développement commercial plus responsables et plus cohérentes. Les responsabilités de la dévitalisation sont partagées. Les consommateurs consomment différemment, et le e-commerce se développe. La grande distribution est évidemment responsable. Enfin, les services publics, qui se déplacent du centre-ville en périphérie, ne sont pas exempts de reproche.
Il est vrai que les élus, eux aussi, sont co-responsables du déploiement anarchique des grandes surfaces qui, par contrecoup, a contribué à fragiliser les centres. Mais, à leur décharge, la rédaction de la loi ne leur a pas facilité pas la tâche. Comme vous le savez, le législateur a inscrit dans la loi que les implantations commerciales doivent contribuer au développement des activités en centre-ville. Mais ce principe général ne figure qu'à l'article L. 750-1 du code de commerce, alors que les critères pour autoriser ou refuser une implantation sont énoncés à l'article L. 752-6 du code.
Résultat : contrairement à l'esprit du législateur, les commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) sont tenues d'autoriser l'implantation dès lors que les critères vagues de l'article L. 752-6 sont respectés : seul l'impact environnemental est retenu, et non les critères économique et financier. Si elles ne le font pas, les juges administratifs ne se privent pas d'annuler leurs décisions. Ainsi, l'autorisation d'exploitation commerciale est devenue le principe et son refus l'exception puisque plus de 92 % des demandes sont acceptées, alors que de nombreux territoires sont saturés. La surface commerciale est passée de 14 millions de mètres carrés à 17 millions en 2017 - deux fois la surface de la Corse - soit une augmentation de plus de 30 % ; et cette augmentation est encore plus importante dans les territoires en dépopulation où le pouvoir d'achat stagne.
Nous voulons revenir à l'intention du législateur. Il reviendra, comme en Grande-Bretagne, au demandeur de prouver que le projet ne nuit ni au tissu commercial ni au développement économique du centre-ville de la commune d'implantation mais aussi des communes voisines. C'est un outil puissant pour permettre aux élus de retrouver une certaine sérénité, et, point essentiel, pour neutraliser la concurrence entre communes pour attirer certaines implantations, qui a fait tant de mal.
Nous proposons aussi de rendre le document d'aménagement artisanal et commercial (DAAC) obligatoire et prescriptif dans les schémas de cohérence territoriale (SCOT). Il pourra désormais prévoir la nature et la surface de vente maximale des équipements commerciaux par secteurs.
De même, comme de nombreux projets locaux sont déstabilisés lorsque l'État, ou d'autres collectivités publiques, transfèrent des services publics en dehors du centre-ville, nous souhaitons que les périmètres Oser soient protégés de cette fuite. Les autorités responsables de ces services devront informer en amont les élus de leurs projets de transfert, les élus pouvant, dans les périmètres Oser, s'y opposer ou, si le départ du service est acté, récupérer ces locaux de façon prioritaire grâce à un droit de préemption.
En complément de la nécessité pour un demandeur de prouver que son projet ne va pas à l'encontre du développement du centre-ville, nous proposons plusieurs améliorations du système de régulation des implantations de grandes surfaces pour rendre ce système plus efficace et plus attentif aux impacts sur le tissu économique local.
Nous n'avons pas eu le temps de nous déplacer en Grande-Bretagne et en Allemagne, mais les services du Sénat ont conduit une étude comparée dont il ressort que ces deux pays sont beaucoup plus rigoureux sur les implantations commerciales. C'est un constat partagé que la France est allée trop loin en 2008 avec la loi de modernisation de l'économie (LME), en sur-transposant la directive Services avec pour résultat un détricotage de notre dispositif de régulation.
Nous proposons un ensemble de mesures correctives et structurelles. D'abord, la rénovation de la composition des CDAC en y réintégrant notamment des représentants du tissu économique local : représentants des CCI, chambres des métiers et chambres d'agriculture et élus des communes limitrophes.
Nous souhaitons également imposer une étude d'impact des projets, en particulier sur les emplois créés et détruits - les grandes surfaces promettent en général des emplois sans que l'on mette en regard les emplois détruits par la disparition des petits commerces -, les conséquences en matière de transports, de bilan carbone, ou de coûts induits pour la collectivité, par exemple en matière d'infrastructures.
Le demandeur sera incité, dans notre texte, à reprendre en priorité les friches commerciales, d'abord en centre-ville, ensuite en périphérie.
Nous proposons aussi l'abaissement du seuil d'autorisation des implantations de 1 000 à 400 mètres carrés, dans les périmètres OSER. C'est déjà le cas à Paris.
Il est nécessaire de refondre le dispositif de contrôle du respect des autorisations d'implantation, qui est totalement inefficace, comme nous avons pu le constater lors de nos déplacements à Moulins et à Châtellerault.
Enfin, nous voulons faciliter certaines implantations de commerces en centre-ville en les exonérant d'autorisation, mais pas sans garde-fous. L'exonération prévue par Action coeur de ville et le projet de loi Élan laisserait les maires sans capacité d'action face à des projets qu'ils jugeraient dangereux pour leur ville. De notre côté, nous n'envisageons d'exonérer de CDAC que certains types de projets : magasins de producteurs en circuit-court, projets implantés sur une ancienne friche commerciale, projets mixtes habitat-commerce.
Le nerf de la guerre étant l'argent, il est illusoire de penser que les collectivités pourront réaliser des opérations aux effets durables sans moyens pérennes. Nous avons voulu dégager des ressources durables pour nos collectivités tout en améliorant l'équité fiscale entre les centres-villes et les périphéries et entre le commerce physique et le e-commerce.
La réduction de la fiscalité en centre-ville sera ainsi assortie d'un rééquilibrage de la fiscalité pour que les consommateurs de terres agricoles ou les géants du e-commerce participent à l'effort collectif pour les centres-villes. C'est un système de bonus-malus qui ne touchera pas les consommateurs.
Nous proposons ainsi deux éléments de fiscalité écologique, analysés avec la commission des Finances, dont les ressources seraient fléchées vers les collectivités signataires des conventions Oser. Le premier sera une contribution de lutte contre l'artificialisation des terres consommées notamment par les parkings et les entrepôts de stockage liés au commerce électronique. Cette contribution permettra à la fois de privilégier la densification en centre-ville et d'y financer la création de stationnements et des opérations de réurbanisation et de réhabilitation.
Le second élément de fiscalité écologique serait une taxe sur les livraisons des géants du e-commerce, qui échappent toujours à l'impôt... Cette taxe permettra de combattre les externalités négatives de la multiplication des livraisons en lien avec le e-commerce - émission de gaz à effet de serre, suremballage et autres. Nicolas Hulot, que nous avons rencontré, s'est montré très intéressé. La taxation des kilomètres parcourus entre le dernier entrepôt de stockage type Amazon et le point de livraison devrait pousser les géants du e-commerce à bâtir des entrepôts plus proches des consommateurs et plus petits, ce qui permettrait de rapatrier de la base fiscale foncière vers davantage de collectivités. Les distributeurs seraient encouragés à implanter des drives piétons en centre-ville.
La mise en oeuvre de ces mesures structurelles demandera du temps. Face à l'urgence de la situation, nous sommes favorables à un dispositif de stabilisation des implantations commerciales, en renonçant à un moratoire national qui, après mûre réflexion, paraît trop complexe. Chaque territoire est différent. En revanche, nous pensons utile de laisser aux élus la possibilité de mettre en place des moratoires locaux dans les zones en difficulté, à condition de neutraliser les effets de concurrence entre les collectivités qui pourraient en résulter, ce que nous avons prévu. Il convient que ces moratoires portent sur un périmètre suffisant, comme celui du SCOT. À l'échelle d'une ville moyenne, ils resteraient sans effet. Le moratoire local n'a pas vocation à tout bloquer, mais à privilégier les friches existantes ou les locaux vacants.