Le ministère de la Justice est attentif aux questions soulevées par l'ordonnance de 1945, qu'il s'agisse de la direction des affaires criminelles et des grâces ou de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). La délinquance des mineurs est souvent au coeur de polémiques, qui varient en intensité selon les époques. Le débat est aujourd'hui plutôt apaisé, mais cela peut évoluer à la faveur d'événements qui remettraient ce problème au coeur de l'actualité.
La justice a toujours veillé à respecter le principe fondateur de l'ordonnance de 1945, à savoir la primauté de l'éducatif sur le répressif. C'est cet esprit qui anime les professionnels, que ce soient les parquets des mineurs, les juges des enfants ou les services de la PJJ. Ils restent fidèles à l'idée énoncée dans le préambule de l'ordonnance, selon laquelle « la France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ».
La justice des mineurs est une justice spécialisée, mise en oeuvre par les juges des enfants, qui sont compétents également pour l'application des peines. Les parquets qui s'occupent des mineurs sont également composés de magistrats spécialisés. C'est la date de commission des faits qui est prise en compte : un majeur qui a commis une infraction lorsqu'il était mineur sera jugé par le tribunal des enfants.
Le projet de loi de programmation pour la justice, qui va être examiné après-demain en Conseil des ministres, ne contient pas de volet spécifique pour les mineurs. Mais une réflexion est toujours en cours à la Chancellerie sur la réforme de l'ordonnance de 1945. Tous les professionnels souhaitent une réécriture de cette ordonnance devenue illisible au fil des nombreuses modifications qu'elle a subies depuis 70 ans. Une recodification clarifierait ce texte devenu désordonné.
Il n'y a cependant aucun angélisme de la part des magistrats. Les règles pénales s'appliquent dans toute leur rigueur, sous réserve du respect de certaines bornes d'âge :
- pour les enfants de moins de dix ans, seules des mesures éducatives peuvent être décidées ;
- pour les mineurs entre dix et treize ans, des sanctions éducatives peuvent être prises ;
- entre treize et dix-huit ans, des peines peuvent être appliquées, étant précisé que l'excuse de minorité, qui conduit à diviser par deux la peine encourue, est automatique pour les mineurs de treize à seize ans, tandis qu'elle est seulement facultative pour ceux âgés de seize à dix-huit ans.
De plus, les crimes commis par des mineurs âgés de seize à dix-huit ans sont passibles de la cour d'assises des mineurs, tandis que ceux commis par des mineurs de moins de seize ans sont jugés par le tribunal pour enfants siégeant en matière criminelle.
Le ministère de la Justice n'est pas favorable à la révision de ces seuils, en dépit du discours, que l'on entend parfois, selon lequel les mineurs deviendraient de plus en plus violents, ou entreraient dans la délinquance plus jeunes. Il y a trente ans, alors que je débutais ma carrière professionnelle, j'entendais déjà ce type de discours, qui revient comme un leitmotiv : quand on examine ce qui était écrit au moment de l'élaboration de l'ordonnance de 1945, ou ce qui était écrit dans les années 1970, à l'époque où l'on dénonçait les « blousons noirs », on constate que des discours très voisins étaient déjà tenus.
Les données statistiques et les études qui ont pu être conduites ne corroborent pas ces affirmations : le nombre d'affaires poursuivies par les parquets, le nombre de réponses pénales, le nombre de condamnations est stable depuis cinq ans. Le nombre d'affaires orientées, c'est-à-dire traitées par les parquets, s'élevait à 251 041 en 2011, contre 239 977 en 2016.
Le taux de réponse pénale est par ailleurs très élevé chez les mineurs : 94,1% en 2011 et 92,5% en 2016 - les 7,5% restants correspondant aux affaires classées sans suite - alors qu'il de seulement 89,7% chez les majeurs. Il y a donc une réponse pénale quasi-systématique quand les faits méritent d'être poursuivis.
Au total, si l'on tient compte des affaires qui ne sont pas poursuivables et des classements sans suite décidés pour inopportunité des poursuites, ce sont 173 000 procédures qui ont été engagées en 2016.
Dans 63,2% des cas, des procédures alternatives ont été privilégiées, alors que ce taux est de 49% chez les majeurs. Ces procédures alternatives correspondent à des mesures variées : dans 60% des cas, il s'agit de rappels à la loi ou d'avertissements, effectués par les services de police, par un délégué du procureur ou par un service éducatif ; il peut s'agir aussi de médiations, de mesures de réparation (plus de 12 000 en 2016), de compositions pénales, de désintéressements de victime ou encore de mesures d'orientation vers des structures sanitaires et sociales.
Dans près de 37% des cas, des poursuites ont été engagées. Pour les affaires les plus graves, ou qui nécessitent des mesures d'investigation, un juge d'instruction est saisi. Ce cas de figure est cependant peu fréquent puisqu'il n'a concerné que 2 613 affaires en 2016. Les autres dossiers donnent lieu directement à une saisine du juge des enfants (61 160 affaires en 2016). Les poursuites aboutissent à des condamnations, dont le nombre est remarquablement stable, autour de 50 000 chaque année ; en 2016, on a dénombré exactement 48 524 condamnations. Dans 4,4% des cas, la condamnation était précédée d'une détention provisoire. Le taux de détention provisoire atteint 8,5% chez les majeurs.
Si le juge des enfants décide de prononcer une mesure ou une sanction éducative, il peut le faire dans le cadre d'une audience de cabinet. À défaut, il saisit le tribunal des enfants : présidé par un autre juge des enfants, ce tribunal est composé d'assesseurs, qui sont des juges non professionnels, inscrits sur une liste par le président du tribunal, et recrutés pour l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance. Le tribunal peut prononcer une mesure ou une sanction éducative ou une peine.
En 2011, un tribunal correctionnel pour mineurs a été institué pour juger certaines affaires, notamment en cas de récidive. Il a été abrogé, en novembre 2016, par la loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle, sans avoir véritablement atteint les objectifs qui lui avaient été assignés : ses promoteurs pensaient que ce tribunal, composé de juges professionnels, se montrerait plus sévère que les tribunaux pour enfants, réputés plus laxistes. Or, ce n'est pas ce que l'on observe quand on considère la structure et l'échelle des peines qui ont été prononcées.
Le nombre de mineurs en détention provisoire est élevé, ce qui est un motif de préoccupation : au 1er janvier, on dénombrait 783 mineurs écroués, dont 601 en détention provisoire et 182 condamnés ; en 2012, on ne comptait que 724 mineurs écroués, dont 439 en détention provisoire et 285 condamnés. On observe donc, à la fois, une augmentation du nombre de mineurs écroués et une augmentation de la part de ceux placés en détention provisoire.
Comment expliquer cette progression de la détention provisoire ? Bien sûr, certains actes de délinquance particulièrement graves justifient, au stade de l'instruction, une mesure de détention provisoire. Mais une explication peut aussi être trouvée dans des évolutions procédurales : on a créé, en 2007, une procédure de présentation immédiate, qui est l'équivalent de la comparution immédiate pour les majeurs, mais avec des conditions de mise en oeuvre beaucoup plus restrictives. Elle ne peut ainsi être décidée que si la juridiction dispose d'un dossier avec des éléments récents sur la personnalité du mineur et à condition que la peine encourue soit supérieure à un an de prison. En 2011, cette procédure a été rendue encore plus difficile à mettre en oeuvre, en posant l'exigence supplémentaire d'avoir mené des investigations sur la personnalité du mineur au cours de l'année écoulée, ce qui a freiné le recours à la présentation immédiate et a favorisé la saisine du juge d'instruction ou du juge des enfants. Ceci a eu pour effet d'allonger la durée moyenne des procédures et donc celle de la détention provisoire. À vouloir trop encadrer certaines procédures, on observe parfois des effets reports vers d'autres procédures, qui n'ont pas les effets attendus.
Les conditions de détention des mineurs sont différentes de celles des majeurs : ils sont détenus dans des quartiers dédiés et suivis par les éducateurs de la PJJ ; une prise en charge éducative et scolaire est assurée dans ces établissements. La détention n'a pas vocation à durer longtemps : en moyenne, la durée de la détention s'établit à quatre mois pour les mineurs.