Monsieur le Président, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui les conclusions du cycle d'auditions qui s'est déroulé au cours des mois de février et mars au sein du groupe d'études « Développement économique de la montagne » dans le cadre de la mission que vous avez bien voulu me confier après la parution du « plan national 2018-2023 sur le loup et les activités d'élevage » le 19 février dernier.
Je me félicite que nous ayons pu, dans un délai court, entendre l'ensemble des parties prenantes sur le sujet, puisque nous avons procédé à plus de 10 auditions et 3 tables rondes. Nous avons également reçu près d'une vingtaine de contributions écrites.
La croissance du nombre de loups et de la prédation est un sujet épineux et d'ailleurs, les histoires populaires, les légendes et la littérature attestent que la cohabitation entre le loup et l'homme n'a jamais été aisée. Il n'y a pas de solution simple.
Le loup est une espèce protégée mais les règles fixées en droit international par la convention de Berne de 1979, en droit européen par la directive Habitat de 1992 et en droit interne par le code de l'environnement prévoient des dérogations permettant d'abattre des loups lorsque trois conditions sont réunies : il doit exister un risque sérieux pour les activités humaines et les troupeaux, l'abatage doit intervenir en dernier recours, après échec de mesures alternatives, et enfin, l'intervention sur les loups doit être proportionnée, c'est-à-dire ne pas menacer sa viabilité à long terme.
Il ressort clairement des auditions que nous avons menées que l'équilibre actuel entre la protection du loup et le maintien de l'agropastoralisme est défavorable aux éleveurs.
Les chiffres sont éloquents : plus de 11 000 victimes animales du loup en 2017, en augmentation de 60 % depuis 2013 et une dépense publique consacrée à la prédation du loup qui est passée de 4 millions d'euros en 2006 à 26 millions d'euros en 2017, sans compter les moyens humains et le temps consacrés à la gestion des dégâts causés par le loup. Nous assistons donc à la faillite du modèle de cohabitation entre le loup et l'élevage tel qu'il est pensé depuis 20 ans en France.
Depuis le début des années 1990, le nombre de loups a augmenté dans des proportions très importantes, entre 12 et 20 % par an, pour atteindre aujourd'hui une population de 500 spécimens sans doute, répartis dans 63 zones de présence permanente, dont 52 en meutes. Je dis « sans doute » car il est difficile d'avoir un comptage véritablement fiable. Nous savons simplement que le loup est officiellement présent dans 33 départements et 846 communes.
Dans ces conditions, le modèle pastoral fait face à un danger mortel alors même qu'il représente une tradition culturelle et sociale indispensable à la préservation de l'environnement, au développement économique et à la conservation de l'identité des villages. En 10 ans, l'emprise territoriale de l'agriculture a régressé de près de 4 % en montagne et le nombre d'exploitations agricoles a diminué de près de 23 %, passant de 100 000 à 80 000.
Or, la France est une grande puissance agricole mondiale et l'un des bastions de l'élevage en Europe. En montagne, l'élevage est la première activité pour près de 75 % des exploitants agricoles et sur les 44 AOC fromagères que compte la France aujourd'hui, 26 sont produites en zone de montagne.
La situation n'est donc plus tenable, ni pour les éleveurs, ni pour les populations et les touristes qui seront un jour menacés, ni pour les finances publiques. C'est un cercle vicieux de souffrances, de dépenses et d'incompréhensions.
À l'issue de ce cycle d'auditions, je souhaiterais partager avec vous trois constats, avant de présenter les propositions du rapport que je soumettrai à votre approbation.
Premier constat : si le plan loup comporte des avancées indéniables, il ne satisfait aucun des acteurs concernés, que ce soient les éleveurs ou les associations de protection de l'environnement. La volonté d'améliorer la connaissance scientifique sur les loups, le renforcement des mesures de protection et les récentes annonces du Président de la République sur la question des hybrides et de la pérennisation de la Brigade loup vont certes dans le bon sens. Mais d'importantes difficultés demeurent sur le plan technique, qu'il s'agisse du comptage des loups, de la connaissance de leurs comportements et de la capacité de défense des éleveurs.
Deuxième constat : l'argument du maintien de la biodiversité pour justifier la protection du loup est tout à fait paradoxal. Certes, en tant que grand prédateur, le loup a une place indispensable dans la chaîne alimentaire et contribue à la richesse faunistique de notre pays. Mais la contribution du pastoralisme à la biodiversité en France est tout aussi voire davantage précieuse. Alors que nous parlons de transition écologique, de respect de l'environnement, de meilleurs usages alimentaires, nous sommes précisément en présence d'une activité qui répond à ces objectifs. Les éleveurs sont davantage que des gardiens des montagnes et des plaines. En plus d'empêcher la spéculation foncière, ce sont les premiers écologistes ! Ils ne consomment pas ou peu de produits chimiques et l'élevage extensif assure à la fois la protection du sol, de l'eau, de la biodiversité et contribue à l'entretien des paysages. Il figure à ce titre parmi les bonnes pratiques pour la gestion des sites Natura 2000. Aussi, au regard de la relative passivité des pouvoirs publics face à la disparition progressive des oiseaux ou d'autres espèces animales comme les abeilles, l'attitude concernant le loup et le pastoralisme apparaît excessive et déséquilibrée.
Sur la question du bien-être animal, la position actuelle du Gouvernement me semble également tout à fait paradoxale : on s'inquiète du bien-être du loup mais pas de celui des brebis, des bovins, des chevaux et des chiens de protection attaqués ! Or le bien-être de ces animaux domestiques est essentiel pour la qualité de la production agricole. Le stress ressenti par les bêtes après les attaques conduit à des problèmes de fertilité, de malformation et à des comportements parfois agressifs s'agissant des chiens de protection.
Troisième constat : nous sommes en train de perdre la bataille de la communication. Il y a, sur la question du loup, une forme de pensée romantique, de pensée urbaine de la ruralité qui est sans rapport avec la réalité des enjeux dans les territoires. Nous devons faire valoir nos arguments dans l'espace public, sur le plan de l'aménagement du territoire, du développement durable de la montagne et notre conception de la biodiversité, qui ne se limite pas à un traitement comptable ou partiel du problème mais qui entend valoriser la tradition des territoires et la sécurité des populations.
J'en viens maintenant aux 15 propositions que nous avons élaborées en concertation avec les membres du groupe d'études.
Tout d'abord, il est urgent d'améliorer notre connaissance du loup et des lieux où il est présent en France. Nous ne pouvons faire l'économie de données fiables sur le nombre de spécimens et de meutes, les espaces où ils évoluent et leurs caractéristiques génétiques. Nous manquons de connaissances scientifiques sur le sujet.
Corolaire de cette proposition, il faut améliorer la transmission de l'information de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage et des services de l'État aux élus locaux, qui doivent pouvoir disposer d'une information fiable pour gérer au mieux les situations sur le terrain, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il faut aussi construire une définition juridique robuste du loup pour ne pas surprotéger des espèces hybrides qui n'ont ni les caractéristiques ni le comportement des loups et menacent indûment populations et troupeaux.
Ensuite, nous devons faire en sorte de nous approcher au maximum d'une situation « 0 attaque » pour les éleveurs, en engageant une réflexion sur le cantonnement des loups dans certaines zones afin d'endiguer l'extension du front de colonisation. Un renforcement des pouvoirs des maires pour prévenir les atteintes à l'ordre public et à la sécurité des personnes serait, à cet égard, nécessaire. Les éleveurs doivent par ailleurs se voir reconnaître le droit à la légitime défense de leurs troupeaux, sans condition.
Point central de notre rapport, nous devons revaloriser le pastoralisme, dans sa dimension économique, environnementale et culturelle, afin de préserver les activités humaines face à la prédation. Après avoir adopté une politique ambitieuse en la matière depuis les années 1970, les pouvoirs publics doivent faire preuve de cohérence.
Plusieurs ajustements techniques sont également nécessaires. D'abord, il est nécessaire d'élaborer de nouveaux outils d'intervention sur la population des loups qui ne soient pas létaux, comme la capture-relâche pour réapprendre au loup la peur de l'homme, dans une forme de démarche pédagogique. Les scientifiques expliquent que le loup doit pouvoir partager auprès de la meute son expérience du contact avec les humains et il faut pour cela qu'il reste parfois en vie après une attaque.
Ensuite, il est indispensable de mesurer toutes les conséquences des mesures de protection actuellement mises en oeuvre.
L'accent doit, à cet égard, être mis sur l'accompagnement des éleveurs et la formation. La question des chiens de protection en particulier est urgente : nous assistons déjà à des attaques sur des promeneurs et cela ne peut pas durer.
De même, la viabilité économique des exploitations est menacée par le coût financier de la protection à mettre en place, parfois sans commune mesure avec les rendements. On touche aux limites d'une protection des troupeaux pensée sous un angle purement bureaucratique. La conditionnalité de l'indemnisation des éleveurs à la mise en place de mesures de protection, insérée dans le nouveau plan loup à la demande des associations de protection du loup, témoigne aussi d'une suspicion malsaine sur la volonté des éleveurs de protéger leurs troupeaux et d'un traitement trop abstrait du sujet. La protection des troupeaux ne saurait être l'alpha et l'oméga des politiques de soutien au pastoralisme. Le Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée nous rappelle à cet égard que 95 % des pertes se produisent sur des troupeaux protégés.
Il conviendrait également de refondre le dispositif d'indemnisation des éleveurs à un niveau législatif et de leur assurer une procédure contradictoire respectueuse de leurs droits en tant que victimes d'actes de prédation. Nous devons garantir la juste reconnaissance de leurs préjudices matériels et moraux.
Enfin, un changement de dimension dans l'approche du sujet est nécessaire.
D'une part, nous devons élargir la réflexion sur la conservation du loup à l'échelle européenne, plutôt que d'envisager la viabilité démographique et génétique du loup uniquement sur le territoire français, ce qui n'a pas beaucoup de sens. Si le ministère de la Transition écologique et solidaire nous a fait part de l'admiration de nos voisins européens quant au suivi que nous réalisons des loups en France, je doute qu'ils admirent le taux de prédation que nous subissons par ailleurs et les situations locales extrêmement tendues que nous connaissons ! Le loup français tue deux à trois fois plus de brebis que le loup italien ou suisse !
D'autre part, nous pourrions soutenir le Gouvernement dans une démarche visant à abaisser la protection dont bénéficie le loup à l'échelle européenne, compte tenu de sa situation favorable de conservation. Un déclassement du loup de l'annexe II vers l'annexe III de la convention de Berne et de l'annexe IV vers l'annexe V de la directive Habitat permettrait une gestion démographique plus souple et me semble plus que jamais nécessaire. L'Europe ne tient pas suffisamment compte des spécificités locales et en l'occurrence de la situation de prédation en France.
Avant de conclure, un point d'actualité me semble important : la septième session plénière de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) doit se tenir en France dans un an. Le ministre d'État Nicolas Hulot a annoncé son intention de placer, je cite, « l'érosion de la biodiversité au même rang d'importance que le réchauffement climatique ». Ce voeu restera pieux si l'érosion de l'emprise pastorale se poursuit et avec elle l'érosion de la biodiversité dans les territoires de montagne.
Nous devons bien choisir nos combats. Le loup n'est aujourd'hui plus une espèce menacée, c'est le pastoralisme qui l'est ! L'article 1er de la loi Montagne de 1985, dans sa rédaction résultant de la loi Montagne II de 2016, dispose désormais que « la République française reconnaît la montagne comme un ensemble de territoires dont le développement équitable et durable constitue un objectif d'intérêt national en raison de leur rôle économique, social, environnemental, paysager, sanitaire et culturel ». Nous devons donner corps à cette exigence.
Voici en substance, monsieur le président, mes chers collègues, les résultats de la mission que vous m'avez fait l'honneur de me confier.
J'espère vous avoir démontré la nature de l'urgence en matière de gestion des loups et la nécessité ainsi que la légitimité que nous avons à intervenir sur ce sujet pour rétablir un équilibre favorable aux activités humaines.
Les éleveurs et les territoires pastoraux ne peuvent attendre davantage.