Intervention de Nelly Tocqueville

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 18 avril 2018 à 10h05
Proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Nelly TocquevilleNelly Tocqueville, rapporteure :

J'ai l'honneur d'avoir été désignée par notre commission pour rapporter cette proposition de loi qui a été déposée le 16 février dernier au Sénat par notre collègue Françoise Cartron et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ce texte doit sembler familier à certains d'entre vous, puisque son article unique figurait déjà dans la proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique, déposée à l'Assemblée nationale en juillet 2016 et adoptée par le Sénat en première lecture en janvier 2017. Ce texte n'avait pas pu aboutir en deuxième lecture compte tenu de la suspension des travaux parlementaires.

Les mêmes dispositions figuraient dans la proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux, déposée en septembre 2017 au Sénat par Michel Vaspart, Bruno Retailleau, Philippe Bas et de nombreux collègues des groupes Les Républicains et Union Centriste et adoptée en séance en janvier dernier.

Dans le cadre de l'ancienne mission interministérielle pour l'aménagement de la côte aquitaine (MIACA), active des années 1960 à la fin des années 1980, un grand ensemble de constructions était prévu à Soulac-sur-Mer en Gironde sur 19 hectares de terrain : environ 1 200 logements devaient être construits le long du front de mer, ainsi qu'un boulevard de deux fois trois voies, une thalassothérapie et un hôtel de luxe. Ce projet n'a jamais vu le jour et l'aménageur retenu par les pouvoirs publics a déposé le bilan. Seul le Signal, immeuble de 78 logements, a été construit in fine.

À l'époque, en 1967, il se situait à plus de 200 mètres du rivage et les habitants qui sont présents depuis l'origine rapportent même que l'on peinait à voir l'océan. Aujourd'hui, le Signal est à moins de 10 mètres de l'océan et menace de tomber. Les propriétaires, expulsés depuis 2014, demandent à être indemnisés pour leur bien.

La nécessité d'apporter une réponse à cette situation est partagée par l'ensemble des parties prenantes du sujet, mais la formalisation de la solution tarde à arriver.

La proposition de loi que nous examinons vise à rendre éligibles les propriétaires de l'immeuble du Signal à une indemnisation par le fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), c'est-à-dire le fonds Barnier, créé en 1995. Je suis tout à fait favorable à cette proposition.

Le dossier du Signal est très spécifique, car il présente un double caractère ubuesque et kafkaïen. Ubuesque d'abord, parce que c'est l'État qui a décidé de lancer une opération d'aménagement de grande ampleur à Soulac-sur-Mer, c'est l'État qui a accordé le permis de construire et c'est l'État qui, à cette époque, ne pouvait ignorer que plusieurs immeubles du front de mer étaient déjà tombés de la falaise dunaire à Soulac-sur-Mer en 1928 et dans les années 1930. La situation actuelle relève donc de la responsabilité de l'État. Or les propriétaires se sentent abandonnés et nous ont rapporté avoir cruellement manqué d'informations de la part tant des services de l'État que de la mairie au sujet de l'évolution de l'érosion et de la réalité des initiatives conduites pour leur apporter une solution. Ils n'ont pris connaissance, par exemple, des rapports d'expertise que plusieurs années après leur écriture !

En outre, en 2014, le ministre de l'écologie, Philippe Martin, s'était rendu sur place avec le préfet et avait promis « un règlement rapide et équitable ». Ces deux objectifs, la rapidité et l'équité, ne sont toujours pas atteints quatre ans plus tard.

Ensuite, le dossier est kafkaïen parce que la situation juridique des propriétaires est absurde ! Une procédure contentieuse a été menée par les propriétaires : d'abord, pour demander au maire et au représentant de l'État dans le département de mettre en place un enrochement autour de l'immeuble, ce qui a été refusé au motif que le coût de protection s'élevait à 17 millions d'euros, ce qui dépassait largement la valeur de l'immeuble estimée à 10 millions d'euros, le tout sans prendre en compte le risque de recul du trait de côte ; ensuite, pour contester le refus d'une indemnisation par le fonds Barnier.

Les propriétaires ont appris que le sujet d'une indemnisation par le fonds Barnier était sur la table depuis plus de dix ans alors que la collectivité n'a jamais constitué un tel dossier ! À l'heure actuelle, la situation est inextricable : un arrêté portant ordre d'évacuation et interdiction d'occupation de l'immeuble a été publié le 24 janvier 2014 par le maire de Soulac-sur-Mer au titre de ses compétences de police administrative. Les habitants sont donc privés de la jouissance de leur bien et des fruits de leur propriété tout en restant propriétaires ! S'ils n'ont pas été expropriés de jure ils le sont de facto ! Ils pourront par ailleurs voir leur responsabilité engagée en cas d'accident consécutif à la chute de l'immeuble.

L'affaire du règlement de cette procédure est pendante devant le Conseil d'État. Le Conseil constitutionnel ayant rendu sa décision sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les propriétaires le 6 avril dernier, le Conseil d'État devrait se prononcer en juin. Deux moyens étaient soulevés : d'une part, l'atteinte au principe d'égalité devant la loi, entre le propriétaire d'un bien situé sur un terrain exposé au risque d'érosion et le propriétaire d'un bien situé sur un terrain menacé par l'un des risques mentionnés à l'article L. 561-1 du code de l'environnement ; d'autre part, l'atteinte au droit de propriété. Le Conseil constitutionnel a écarté ces deux moyens et jugé conformes à la Constitution les dispositions contestées.

Une fois la décision du Conseil d'État rendue, les propriétaires pourront ultimement saisir la Cour européenne des droits de l'homme.

À ce stade, l'administration refuse toujours d'accéder à la requête des propriétaires visant à obtenir une indemnisation via le fonds Barnier pour deux motifs. D'abord, parce que l'érosion dunaire n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 561-1 du code de l'environnement, qui définit le champ d'intervention du fonds Barnier. Ensuite, parce que l'une des conditions d'éligibilité au fonds, « la menace grave à la vie humaine » ne serait pas remplie en l'espèce.

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