Entre 1998 et 2009, 66% des policiers s'étant suicidés ont utilisé une arme à feu. Dans 53 % des cas, il s'agissait de leur arme de service.
Une deuxième étape de l'étude a consisté à explorer plus finement les 49 cas de suicides de policiers survenus en 2008 par la méthode de l'autopsie psychologique. Concrètement, les données disponibles sur la personne - assurance maladie, hôpital, travail - ont été analysées et des psychologues ont interrogé des personnes ayant connu le défunt - un proche, un collègue de travail ainsi que le responsable hiérarchique.
Les psychologues ont recueilli différentes données sur les événements de vie, les particularités du décès, la personnalité, le stress au travail, les diagnostics psychiatriques probables et le niveau d'agressivité puis les ont compilées dans un calendrier de « trajectoire de vie », conçu par Monique Séguin, professeure de psychologie au Québec. Un panel multidisciplinaire de 10 experts a ensuite évalué par consensus chacun des dossiers pendant 6 jours, en attribuant un « score d'adversité » de 1 à 6 pour chaque période de vie. On a généralement constaté une accumulation des difficultés au fil du temps, avant le passage à l'acte suicidaire.
Sur les 49 cas étudiés, 39 dossiers ont été jugés exploitables. Il s'agissait d'hommes à 82 %, dont l'âge moyen était de 36 ans, 50 % étant mariés ou en couple. On a estimé que des difficultés psychologiques avaient contribué au passage à l'acte dans 75 % des cas, la vie affective dans 59 % et la vie professionnelle dans 36 %. Sur les 39 personnes étudiées, 24 présentaient des troubles de l'humeur, 12 avaient déjà tenté de se suicider et 22 avaient déjà eu recours à des soins avant le passage à l'acte.
En utilisant les données des scores d'adversité déterminés par l'expertise, nous avons attribué un score pour chaque période de l'existence et, ainsi, pu mettre en évidence quatre typologies de trajectoire de vie au sein du panel étudié. La première concerne dix individus : dans le cadre d'une existence sans adversité connue, un événement isolé survient, créé une détresse et conduit à un passage à l'acte dans un délai rapproché, souvent avec une arme de service. Cette trajectoire, pour laquelle la prévention est particulièrement délicate, rassemble majoritairement des hommes et le facteur professionnel y joue un rôle déterminant. La deuxième trajectoire s'applique à onze cas ayant connu des difficultés dès l'enfance. Une consommation élevée d'alcool et des antécédents de tentative de suicide ont été également observés. La troisième trajectoire se rapproche des critères de la première, mais le passage à l'acte suicidaire y est moins rapide ; il constitue davantage l'issue à une accumulation de difficultés relevant de diverses sphères, notamment la vie affective, que la conséquence d'un événement isolé. Elle s'applique à cinq individus du panel, majoritairement des femmes. Enfin, la quatrième trajectoire, dont ressortent cinq dossiers, concerne des individus victimes d'abus et de négligences dans l'enfance. Le score d'adversité s'améliore lorsque la sphère familiale s'éloigne à l'âge adulte, mais, du fait de leur vulnérabilité, tout élément susceptible de dégrader une situation peut conduire à un suicide chez les individus concernés.
Toutes trajectoires confondues, l'ensemble des fonctionnaires ayant mis fin à leurs jours présentait les signes d'une détresse psychologique. À l'exception d'un cas, les symptômes observés permettaient d'établir un diagnostic de trouble psychiatrique, notamment de dépression. Les facteurs de vulnérabilité les plus fréquents concernaient la sphère affective et celle des relations avec les parents, les fragilités en lien avec l'exercice du métier apparaissant de fait moindres : dans un tiers des cas, la vie professionnelle avait contribué (« beaucoup » dans 13 % des cas, « modérément » dans 23 % des dossiers) au passage à l'acte suicidaire. Il convient en outre de remarquer que la vie privée comme la vie professionnelle sont également facteurs de protection.
La détermination de quatre trajectoires de vie distinctes conduisant à un suicide réfute l'hypothèse d'un profil unique d'individu suicidaire et confirme, partant, la nécessité d'une vigilance pluridisciplinaire, du dépistage à la prise en charge. Pour les cas relevant de la première trajectoire, l'arme de service est utilisée impulsivement, par des hommes, en conséquence d'un événement de vie isolé : à rebours des exemples appartenant aux trois autres types de trajectoires, la sphère professionnelle y occupe une place prépondérante et l'accès au moyen létal apparait déterminant.