Intervention de Alain Miras

Commission d'enquête état des forces de sécurité intérieure — Réunion du 10 avril 2018 à 14h10
Audition du dr gaëlle encrenaz docteure en épidémiologie et du dr alain miras médecin légiste maître de conférences des universités expert agréé par la cour de cassation

Alain Miras, expert agréé, par la Cour de cassation :

Parallèlement à l'enquête, nous avons mené une cinquantaine d'entretiens avec les acteurs de la police nationale s'agissant de la prévention du passage à l'acte, afin de disposer des éléments d'information nous permettant de décrire les modalités de gestion du phénomène suicidaire (acteurs concernés, niveau des connaissances, représentation et perception du sujet, attentes des services). Si l'ensemble des services n'a pu être contacté, nous avons néanmoins interrogé quarante-neuf personnes : chefs de service, chefs d'unité ou de brigade, partenaires sociaux, services de médecine du travail (statutaire et de prévention), auprès desquelles l'information fut difficile à obtenir au-delà de considérations générales en raison de l'opposition du secret médical, assistantes sociales, SSPO (directrice et psychologues), responsables des ressources humaines et responsables de la formation de la police nationale. Parmi les services rencontrés, nous dénombrons notamment dix ou onze syndicats, sans lesquels cette enquête n'aurait pas été menée, des CRS, le secrétariat général pour l'administration de la police (SGAP) du Rhône et la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de la Gironde - deux contacts facilités par mes affectations successives à Lyon et à Bordeaux -, et la sous-direction de la police technique scientifique (PTS).

La méthode retenue consistait en des entretiens non directifs retravaillés de façon à pouvoir les exploiter. Les thèmes abordés relevaient de la spécificité du métier de policier, sur laquelle l'ensemble des personnes interrogées a insisté. Le recrutement et l'affectation dans un premier poste, souvent en Ile-de-France pour des fonctionnaires d'origine majoritairement provinciale, parfois adjoints de sécurité, avant une mutation francilienne consécutive à leur succès au concours, apparaissent facteurs de déstabilisation et de vulnérabilité en ce qu'ils entraînent un déménagement, source éventuelle de déracinement et de rupture avec le milieu familial.

Parfois, les conditions de logement de ces policiers sont frustres : certains dorment dans leur voiture ou se partagent un minuscule studio. Par ailleurs, l'exercice du métier de policier expose à la violence, physique autant que psychologique, même s'il convient, comme pour la température, de distinguer le ressenti du subi. Nos interlocuteurs ont évoqué une charge de travail croissante à effectifs constants, des affaires de plus en plus complexes, la difficulté, mêlée de fierté, à être policier en permanence et pas seulement au cours du service, ainsi qu'une pression hiérarchique et judiciaire écrasante en raison d'injonctions contradictoires et de modifications législatives itératives nécessitant des adaptations fréquentes souvent mieux connues des services du procureur que de la hiérarchie policière.

Ils ont également fait état de la stigmatisation crainte en cas d'arrêt de travail ou de retrait du port d'arme. A l'instar de l'administration pénitentiaire, les services de police sont le lieu de conflits de génération entre fonctionnaires : les supérieurs hiérarchiques peuvent y être plus jeunes que leurs troupes et mieux maîtriser certaines méthodes de travail, notamment lorsqu'elles impliquent de nouvelles technologies. Nous ont en outre été rapportés des cas de harcèlement professionnel sous différentes formes.

Les entretiens ont, par ailleurs, abordé les problématiques liées à la gestion du stress et à la prise en charge résultant de situations traumatisantes. Les relations avec les organes de presse, le rôle de réseaux sociaux sur lesquels circulent des vidéos « sauvages » de certaines interventions policières, le décalage entre la fonction sociale du policier et son image ternie auprès du public, même si celle-ci s'est nettement améliorée depuis les attentats de 2015, et l'impression de mise au pilori qui résulte des auditions administratives de policiers faisant suite à des plaintes, jugées infondées, de justiciables ont également été l'objet de nombreuses interventions.

Outre la dégradation des conditions de travail et les rapports insatisfaisants avec la population, les services interrogés ont rappelé les violences propres à l'exercice de leur métier, y compris psychologiques - je pense notamment au traumatisme que constitue l'écoute de certains enregistrements de sévices et d'actes de barbarie par la PST.

En matière de prévention des actes suicidaires, les intervenants sont multiples : au côté des assistantes sociales interviennent le SSPO pour la prise en charge psychologique, ainsi que les services de médecine statutaire et de prévention, lesquels, ne poursuivant pas les mêmes objectifs, peuvent être amenés à entretenir des relations pour le moins tendues. Nous nous sommes intéressés aux actions de prévention menées dans les commissariats et au bilan qui pouvait en être tiré. Dans ce cadre, nos interlocuteurs ont formulé diverses propositions que retrace notre enquête. Tous ont notamment insisté sur la nécessité de renforcer le dépistage et de faire la promotion des moyens d'alerte (campagnes de sensibilisation, groupe de soutien, brochures ad hoc, etc.), parfois méconnus des fonctionnaires. S'agissant de la prise en charge, il est proposé de développer le SSPO, de favoriser les aménagements de postes et d'améliorer la communication de la hiérarchie lorsque survient un suicide. Les avis sont partagés concernant les modalités de désarmement et le dépôt de l'arme à la fin du service, tant le sujet demeure tabou. Il est pourtant avéré qu'en Grande-Bretagne, où les policiers ne sont pas armés, leur taux de suicide est inférieur... L'absence d'arme semble toutefois dangereuse à des policiers qui, rentrant dans certains quartiers à l'issue de leur service, pourraient être reconnus et importunés. Quoi qu'il en soit, la question se pose, depuis les attentats, de manière très différente qu'au moment de notre enquête. Enfin, nos interlocuteurs ont estimé qu'un travail devait être mené sur les conditions de travail et le stress professionnel via notamment l'amélioration de l'image de la police auprès du public, la reprise du dialogue avec la hiérarchie et la responsabilisation des chefs de brigade et d'État-major en la matière.

Il ressort de nos entretiens que la connaissance des situations à risque (tentative de suicide, modification des habitudes, des attitudes et du comportement, difficultés personnelles, dysfonctionnements professionnels, troubles du comportement et de l'humeur) favorise le dépistage, qui pourrait, bien que cela soit complexe et coûteux, être effectué dès l'école de police par une étude de la trajectoire de vie et de la biographie des candidats et un avis systématique d'un psychiatre en cas de doute. Reste à déterminer s'il disposerait ou non d'un droit de veto. Le dépistage peut être réalisé par chacun et, en cela, la vigilance et la protection de l'environnement professionnel sont essentielles, même s'il apparait que les partenaires sociaux (80 % des policiers sont syndiqués) représentent des interlocuteurs privilégiés. L'alerte auprès d'un ou plusieurs services médico-sociaux compétents doit être facilitée et la coordination entre les acteurs améliorée. La prise en charge psychologique assurée par le SSPO semble fonctionner convenablement, mais la collaboration entre psychologues et psychiatres mérite d'être renforcée. S'agissant de la prise en charge médicale, les deux services compétents apparaissent par trop cloisonnés et le secret professionnel peu à même de faciliter l'échange d'informations.

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