Notre commission d'enquête a été mise en place après la nouvelle vague de suicides qui a touché les gendarmes mais surtout les policiers. Ces derniers nous ont fait part de leur colère et de leur mal-être profond, en dehors de tout cadre syndical. Nous avons auditionné depuis des mois et il nous est apparu que leurs difficultés étaient dues à plusieurs facteurs : sous-investissements depuis des décennies et changements brutaux de doctrines politiques à partir des années 1990 sans moyens suffisants pour satisfaire aux missions assignées. En outre, ces dernières années, les forces de l'ordre ont été extrêmement sollicitées du fait de la résurgence du terrorisme, des migrations et des grands évènements nationaux.
Mais il nous est aussi apparu qu'en dépit des mêmes difficultés rencontrées, la gendarmerie tenait bien mieux moralement que la police, dont la cohésion nous est apparue moindre. On nous a dit les gendarmes cultivaient un esprit de corps, alors qu'il existait un esprit de castes entre les corps de la police. À titre d'exemple, un général de gendarmerie parle d'un brigadier comme d'un camarade, chose impensable entre un commissaire et un gardien de la paix.
Ces corps distincts, qui n'ont pas reçu la même formation et qui ne travaillent pas ensemble, n'ont-ils pas été encore plus opposés les uns aux autres du fait de la politique du chiffre ? Certaines personnes nous ont d'ailleurs affirmé que cette politique n'avait jamais existé tandis que d'autres estiment qu'elle n'est plus en vigueur.
Sur tout le territoire, le malaise des unités est récurrent et son expression nous a tous surpris. En outre, le mal-être semble plus profond au sein des forces de sécurité publique que dans les forces mobiles. Est-ce parce que ces dernières sont moins disponibles pour prêter main forte aux premières ? Quoi qu'il en soit, le taux de suicide y est plus important, peut-être en raison d'un esprit de corps moins prononcé.
En 2010, votre direction a demandé à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de lancer une étude sur les suicides, mais vous ne semblez pas y avoir donné suite. Estimez-vous que la prévention des risques psycho-sociaux dans la police nationale soit suffisante ? Le management et la formation initiale et continue ne mériteraient-ils pas d'être revus ?
Alors que le manque d'effectifs est patent, on va vous demander de renforcer le contact avec nos concitoyens. En outre, la directive européenne sur le temps de travail va vous contraindre à réduire les horaires des policiers. Pensez-vous que les moyens budgétaires affectés aux personnels vous permettront de résoudre cette équation ?
Se posent aussi des questions matérielles : nous avons constaté l'immense misère des commissariats, et je ne parle pas seulement de celui de Coulommiers que nous avons visité la semaine dernière. Les policiers travaillent dans des conditions dégradées. Or, à chaque fois que nous interrogeons l'exécutif, on nous répond que la situation s'est améliorée par rapport à l'année précédente. Pourtant, qu'il s'agisse de l'immobilier ou des véhicules, nous avons la nette impression que la situation continue à se dégrader. De quels moyens devriez-vous disposer pour parvenir à un niveau décent pour exercer vos missions ?
Les policiers, comme les gendarmes, nous disent passer les deux-tiers de leurs temps à la procédure, ce qui ne leur laisse qu'un tiers de temps pour leurs missions opérationnelles. La réforme annoncée de la procédure pénale vous permettra-t-elle de dégager du temps pour mener à bien vos tâches indispensables ? Pensez-vous que les charges indues qui pèsent sur vous seront enfin allégées ? Je fais notamment allusion aux transfèrements dans les centres de rétention et aux procédures que la police nationale doit prendre en charge, à la suite des interventions des polices municipales. Quelles sont les charges qui resteront de votre ressort ? Vos réponses nous permettront d'enrichir les préconisations que nous présenterons dans notre rapport.
Pour ce qui est des rapports entre les policiers et la population, les caméras individuelles permettent de réduire les tensions et de rassurer les policiers sur la suite pénale apportée aux outrages et rebellions. Hélas, ces caméras ne sont pas encore systématiques.