Intervention de Bruno Coquet

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 avril 2018 à 9h30
Réforme de l'assurance chômage — Audition de Mm. Bruno Coquet et stéphane carcillo

Bruno Coquet, économiste :

L'assurance chômage est souvent traitée de façon assez simpliste sur la place publique : l'excès de générosité du système conduirait à un déficit et à une dette trop élevés ; il faudrait donc être moins généreux...

Pour comprendre l'assurance chômage, il faut examiner le paysage institutionnel qui l'entoure depuis l'ordonnance de 1984. À l'époque, le régime d'assurance est certes délégué aux partenaires sociaux et à l'Unédic, mais l'État garde le contrôle du régime de solidarité et des préretraites, et l'autoassurance du secteur public concerne déjà 25 % des salariés. L'État exerce également, outre un pouvoir d'influence, un contrôle sur l'Unédic en agréant sa convention et son règlement d'application ainsi qu'en garantissant sa dette.

Depuis, le dispositif des préretraites a été abandonné dans les années 1990 et il a été mis fin au régime de solidarité en 2017, à la suite d'un rapport de la Cour des comptes de 2016 montrant que, de 1997 à 2017, le Fonds de solidarité avait accumulé 31,2 milliards d'euros de dette, contre 28 milliards euros pour l'Unédic, malgré un budget dix fois inférieur. La lecture de ce rapport suscite d'ailleurs un sentiment de malaise quant à la défense de l'intérêt général en la matière. En outre, 30 % des salariés travaillant pour le secteur public aujourd'hui ne sont pas affiliés à l'assurance chômage. Enfin, la surveillance du régime d'assurance chômage a été renforcée à partir de 2014.

Le budget de l'Unédic représentait 1 point de PIB en 1984, contre un peu moins de 1,8 point aujourd'hui. Les effectifs à la charge du régime ont régulièrement augmenté, en raison de la hausse du chômage, mais aussi des réformes successives. L'Unédic indemnise aujourd'hui 1 chômeur sur 2.

Le résultat annuel d'exploitation de l'Unédic, disponible depuis 1990, fait apparaître un déficit chronique, qui s'est accentué depuis le début des années 2000, à l'exception des trois années précédant la crise financière de 2008.

En revanche, une décomposition comptable de ce résultat montre un excédent structurel de 2 milliards d'euros par an en moyenne sur l'activité assurantielle de droit commun.

Les déficits sont dus au régime des intermittents du spectacle, dont la spécificité coûte environ 1 milliard d'euros par an à l'Unédic - le financement de cette politique culturelle ne devrait-il pas plutôt incomber à l'État ?-, au régime des intérimaires -ils sont désormais intégrés au droit commun-, au coût du service public de l'emploi - il a explosé depuis 2008 et représente 3,5 milliards de dépenses annuelles pour l'Unédic, soit 10 % des recettes de cotisations- et à des charges exceptionnelles dues à des décisions de l'État.

La dette totale de l'Unédic est certes de 36 milliards d'euros à l'horizon 2019, mais l'assurance chômage de droit commun a dégagé plus de 60 milliards d'excédent dans le même temps. Si l'on veut pouvoir réformer efficacement le système, il faut s'interroger sur l'origine de la dette. Celle-ci ne provenant pas du système d'assurance de droit commun, mais principalement de charges liées au financement de politiques publiques, on peut estimer qu'elle relève plutôt de l'État. En outre, elle est déjà comprise dans la dette publique selon les critères européens et l'Unédic ne pourra pas raisonnablement la rembourser. On pourrait donc très bien lever cette hypothèque en préalable à une négociation.

Le périmètre de l'assurance exclut les employeurs publics, qui totalisent 30 % de l'emploi salarié, ce qui n'est pas optimal. En Allemagne, tout le monde contribue à l'assurance chômage, y compris les salariés bénéficiant d'une sécurité de l'emploi. L'universalisation permettrait de baisser le coût du travail de 1,2 point dans le secteur marchand et de mettre tous les employeurs sur un pied d'égalité. Les employeurs publics peuvent s'affilier ponctuellement à l'Unédic, par exemple pour les contractuels des collectivités publiques, mais ils n'apportent que des déficits au régime, jamais d'excédents.

En matière d'assurance chômage, il est préférable de parler d'optimalité que de générosité : il est aussi mauvais de ne pas avoir d'assurance que d'en avoir trop. L'idéal est d'avoir des paramètres adaptés aux réalités du marché du travail.

Les réformes de l'assurance chômage intervenues depuis 2009 sont souvent considérées comme généreuses. Les chiffres montrent pourtant clairement que, depuis cette date, on indemnise plus de chômeurs avec un niveau de dépenses équivalent. Les partenaires sociaux ont donc instinctivement adapté le modèle aux transformations du marché du travail, notamment la multiplication des contrats courts. Le nombre de chômeurs indemnisés ayant une activité professionnelle réduite a fortement augmenté depuis 2009.

Les stabilisateurs automatiques sont plutôt bons en France, l'assurance chômage étant assez optimale. Si le système était trop généreux, l'aléa moral serait élevé, ce qui n'est pas le cas. Sur les 40 millions de contrats de travail signés chaque année, le plus souvent des contrats courts, la plupart sont conclus par des chômeurs indemnisés. L'assurance n'est donc pas aussi désincitative qu'on le croit généralement.

Pour 100 euros de salaire, un chômeur va toucher 52 euros de revenu de remplacement de l'assurance chômage en France, contre 40 euros en Allemagne et 48 euros en moyenne dans l'UE-15. Mais il ne touchera que 10 euros de transferts publics - allocations sociales et aides en faveur du logement pour l'essentiel -, contre 25 euros en Allemagne et 19 euros dans l'UE-15. Le revenu total du chômeur français sera donc légèrement inférieur.

En économie, un système assurantiel qui fonctionne est préférable à une redistribution, même bien conçue. Or l'assurance chômage française est plutôt performante.

Trois idées me semblent à reconsidérer sur la prétendue générosité du système français. On estime souvent que le seuil d'éligibilité à l'assurance chômage est trop bas. Certes, l'indemnisation est très accessible, mais pour une durée faible. On prétend aussi que la durée maximale des droits serait trop élevée. Or 60 % des chômeurs ne l'obtiennent pas. De plus, si le chômage est de longue durée, il est plutôt optimal d'assurer longtemps. On juge enfin l'allocation maximale trop élevée. N'oublions pas que le salaire assurable l'est également, et que c'est plutôt rentable pour l'assureur, les personnes acquittant des cotisations très élevées étant aussi plus rarement au chômage que les autres affiliés.

Je reviens sur le financement de politiques publiques par l'assurance chômage. La Cour des comptes a chiffré en 2006 les interventions de l'État dans les comptes de l'Unédic : au total, plus de 9 milliards d'euros de sa dette s'expliquent par des transferts budgétaires vers l'État. En outre, l'organisme finance annuellement Pôle emploi à hauteur de 3,5 milliards d'euros. Est-ce vraiment aux chômeurs indemnisés de financer les deux tiers du budget de Pôle emploi, sachant que le coût marginal de l'inscription d'un chômeur et de son actualisation mensuelle est de 440 millions d'euros par an pour 2,7 millions de chômeurs ?

Intermittents du spectacle, prélèvements exceptionnels, financement du service public de l'emploi : ces charges ne devraient logiquement pas peser sur l'Unédic. On propose le plus souvent comme seule piste de réforme de réduire les droits, en oubliant que l'assurance chômage finance finalement autre chose que des droits...

J'ajoute que le régime des frontaliers, fruit d'un accord européen, est également financé par l'Unédic. On constate que la dette de l'assurance chômage suisse se réduit chaque année à due proportion du versement de l'organisme français...

En conclusion, l'assurance chômage française est un très bel outil, qui s'est plutôt bien adapté aux évolutions du marché du travail. Il lui manque surtout une structure équivalente au Conseil d'orientation des retraites (COR), qui permettrait d'éclairer utilement le débat et de fournir un socle d'informations partagées. Tout le monde avance des solutions, mais personne n'a vraiment la liste des problèmes. Dans ces conditions, on ne peut pas faire une bonne réforme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion