Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 28 mars 2018 à 16h35
Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 — Audition du général françois lecointre chef d'état-major des armées

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Mes chers collègues, nous étions presque tous aux Invalides ce matin pour l'hommage rendu au colonel Arnaud Beltrame. Les mots du Président de la République ont été suffisamment forts ce matin, il n'est pas besoin d'ajouter de commentaire, mais la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ne peut passer cette journée sans se recueillir quelques instants.

L'ensemble des membres de la commission ainsi que le chef d'état-major des armées se lèvent et observent un moment de recueillement.

Mon général, nous sommes très heureux de vous entendre sur la loi de programmation militaire 2019-2025, dont les rapporteurs ont déjà commencé l'étude approfondie. Ce projet de loi est meilleur que les précédents et notre commission est a priori bien disposée à son endroit. L'hémorragie est effectivement terminée et les décisions prises dans ce texte par le chef de l'État et le Gouvernement vont dans le bon sens.

Vous aviez vous-même parlé d'une armée éreintée par une décennie de sacrifices budgétaires imposés par les gouvernements successifs. Nous ne sommes plus dans ce contexte aujourd'hui, et, par exemple, la priorité accordée à la condition militaire et aux familles des soldats est un point important, qui est apprécié.

Néanmoins, le travail de la commission s'apparente à l'examen d'un verre à moitié vide ou à moitié plein. En effet, nous ne sommes pas entièrement convaincus par les moyens que ce projet de loi prévoit. La commission, notamment son ancien président Jean-Pierre Raffarin, a beaucoup travaillé à la définition du contenu de ce que devait être une « bonne » loi de programmation militaire (LPM).

Selon nous, une bonne LPM comportait une augmentation de 2 milliards d'euros par an, et l'on n'atteint en l'espèce que 1,7 milliard. Nous souhaitions commencer la hausse dès 2018, alors que la LPM prévoit une année blanche neutralisée par les reports et la budgétisation des opérations extérieures (OPEX). Nous voulions que l'effort soit constant, alors que la LPM reporte les principaux efforts au dernier tiers de la période, avec toute l'incertitude que cela comporte, suscitant l'inquiétude de notre commission et de Dominique de Legge, ici présent, rapporteur spécial de la mission « Défense » auprès de la commission des finances. Enfin, nous estimions qu'il fallait rehausser les contrats opérationnels, ce qui n'est pas le cas.

Il y a de bonnes choses, comme la remise à niveau et la sécurisation des programmes d'équipements militaires, dont nous avons grandement besoin, mais le Sénat soulignera aussi les éléments qu'il aurait aimé voir figurer dans le projet de LPM.

Nous allons donc être très attentifs à votre analyse.

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées. - Je remercie votre commission de m'accueillir de nouveau. Le vote solennel du projet de loi de programmation militaire a eu lieu hier à l'Assemblée nationale. Je veux rendre hommage à la ministre des armées pour son investissement personnel fort, et remercier le Sénat pour la rédaction de l'article 6 bis, relatif à l'exclusion de la défense du champ d'application de l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques, dont l'initiative lui revient.

Nous entrons dans une nouvelle phase du travail parlementaire, qui vous sollicitera beaucoup jusqu'à l'examen du texte en séance publique, à la fin du mois de mai. Je vous remercie aussi d'avoir su convaincre les acteurs politiques et institutionnels de la nécessité d'aller vite. Nous battons en effet des records dans la rapidité d'élaboration de ce projet de LPM. Cela a demandé un investissement important des équipes du ministère - armées, directions et services, état-major des armées, Direction générale de l'armement (DGA), Secrétariat général pour l'administration (SGA). Toute une communauté rassemblée autour des armées, comprenant les parlementaires des deux assemblées, a permis de conduire très rapidement ces travaux, et de faire comprendre l'urgence de redonner aux armées les moyens de remplir durablement leurs missions.

Nous avons évoqué la situation internationale lors de la présentation de la revue stratégique. L'irruption brutale du terrorisme sur le territoire national et la dégradation sensible du contexte sécuritaire et géopolitique mondial imposaient une réponse claire, responsable, pour dépasser la période d'irénisme qui prévalait depuis de nombreuses années. Une partie de cette réponse claire et responsable réside dans ce projet de LPM. L'effort consenti par la Nation, monsieur le président, est important, dans le contexte de maîtrise de la dépense publique. Notre volonté est claire : tenir les armées à l'écart du risque de déclassement, alors que, dans le monde, la puissance s'affirme avec virulence par un recours de plus en plus décomplexé à la force et par une contestation dangereuse du multilatéralisme.

Dans ce système international marqué par l'instabilité et l'incertitude, la France doit conserver sa capacité d'agir et de décider seule pour défendre ses intérêts, c'est-à-dire son autonomie stratégique. Celle-ci confère à notre pays la capacité d'entraîner et de fédérer ses partenaires. C'est pour cela que nous avons fait le choix de préserver notre modèle d'armée complet et équilibré, instrument essentiel de la souveraineté d'une France demeurant maîtresse de son destin.

Ce projet équilibré permet de dégripper trois principaux leviers, indispensables à la bonne marche des armées et à la conservation de leur supériorité opérationnelle, aujourd'hui et demain. Il s'agit du levier budgétaire, du levier de l'activité et du levier des ressources humaines.

Le levier budgétaire est le plus important, il permettra de déverrouiller tous les autres. Le Président de la République a engagé un effort inédit à hauteur de 198 milliards d'euros courants au profit des armées sur les cinq premières années de la LPM, soit jusqu'en 2023. Cela se traduit par une augmentation de 22 % des crédits de la mission « Défense » par rapport aux lois qui ont régi la programmation militaire de 2014 à 2018, et cette hausse concerne l'ensemble des agrégats.

Ainsi, les crédits affectés au renseignement et à la cyberdéfense augmenteront de 53 %. L'effort en matière de dissuasion croîtra de 35 %, pour permettre le renouvellement et la modernisation des moyens des deux composantes, océanique et aéroportée, de la dissuasion. L'accélération du processus de modernisation représente un flux annuel moyen de 5 milliards d'euros, contre 3,7 milliards sur la période de la LPM en vigueur. C'est important, car la dissuasion constitue le coeur de notre appareil de défense.

Le budget des études amont augmentera de 35 %, de même que celui des programmes à effet majeur (+34 %). L'entretien programmé du matériel bénéficiera d'un effort supplémentaire de 30 % et l'effort en matière d'infrastructure progressera de 29 %.

Ce projet ne fait aucune impasse ; au contraire, il rétablit des équilibres. L'effort en matière d'infrastructure est à cet égard emblématique, car le parc immobilier souffre de plusieurs années de sous-investissements. Ce projet est donc marqué du sceau de la responsabilité et de la volonté de limiter les risques. Ainsi, il ne comporte pas de réductions de cible. Il ne prévoit aucun étalement de programme majeur. Enfin, la provision consacrée aux OPEX croîtra, pour atteindre 1,1 milliard d'euros en 2020.

Lors des années précédentes, malgré le principe de solidarité interministérielle affirmé dans la LPM en vigueur, ce sont les armées qui ont supporté l'essentiel du financement des surcoûts des OPEX, ce qui a désorganisé la programmation. C'est pourquoi l'élévation de la provision doit permettre de ne pas remettre en cause les investissements prévus dans la LPM, en faisant, si nécessaire, jouer le mécanisme de solidarité, à un niveau acceptable pour les autres ministères.

Enfin, troisième élément qui illustre le sérieux et l'esprit de responsabilité du projet de loi, la trajectoire financière n'intègre aucune ressource exceptionnelle, par nature incertaine. En outre, l'actualisation de la programmation prévue en 2021 permettra de vérifier la pertinence des choix et d'ajuster ceux-ci.

J'en arrive au levier de l'activité. Je le dis sans provocation, les armées n'ont pas besoin d'être engagées pour être utiles ; cela est solidement éprouvé par les faits. Une force prête à l'engagement est plus dissuasive qu'une force engagée au-delà de ses capacités. Il est donc indispensable que les armées, pour demeurer performantes, restent actives et prêtes. Ce message est souvent peu entendu des concitoyens et parfois mal compris des parlementaires, voire des armées, qui peuvent penser que leur surengagement permet de conserver des ressources en démontrant leur utilité.

La préparation et l'entraînement ont souffert du surengagement des dernières années - 30 % au-delà des contrats fixés dans la LPM en cours - et de la dotation sous-calibrée du budget d'activité. Par conséquent, le projet de LPM consacre un effort en hausse de 17 % au soutien de la préparation et de l'activité opérationnelles. Notre objectif est d'atteindre, en 2025, 100 % des normes d'activité de l'OTAN, en qualité et en quantité.

En outre, l'effort consenti en matière d'entretien programmé du matériel aura un effet immédiat sur la régénération des équipements, très sollicités au cours des dernières années. Ainsi, d'ici à 2023, l'effort en la matière représentera 11 % de la ressource de défense, soit une augmentation de 30 % par rapport à la période 2014-2018. Tous les milieux d'engagement sont concernés, cela représente en moyenne 1 milliard d'euros supplémentaires par rapport à la LPM en vigueur.

À cet effet, nous compterons sur différents plans concernant le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T), la réforme de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la défense (SIMMAD), ou encore l'optimisation de la supply chain.

La maintenance bénéficiera d'importantes perspectives de progrès, avec les nouvelles technologies - robotisation, numérisation, maintenance prédictive - et avec des contrats qui impliqueront plus fermement les industriels, en leur fixant des objectifs exigeants en termes de performance.

Enfin, l'accroissement des investissements dans les infrastructures dévolues à l'entraînement, à la simulation ou à l'accueil des nouveaux programmes permettra l'amélioration du niveau de qualité de la préparation de nos forces.

Enfin, le dernier levier, les ressources humaines, est important, car il influe sur la compétence technique des armées, mais aussi sur leur état d'esprit, leur force morale. La ministre des armées a voulu améliorer le quotidien du soldat, avec, entre autres, le « plan famille ».

Le projet de LPM répond aux besoins les plus pressants, notamment dans les domaines du renseignement, de la cyberdéfense et de la sécurité des emprises. Évidemment, l'augmentation de 6 000 postes sur la durée ne permettra pas de gommer intégralement certaines fragilités, en raison de la nécessaire maîtrise des ressources affectées au titre II et au fonctionnement. Nous devrons nous assurer que les mesures d'accompagnement destinées à fidéliser les compétences rares et à garantir la gestion des flux seront adaptées.

La libre disposition d'une jeunesse disponible, compétente et volontaire pour être formée et servir son pays est un défi relevé au quotidien. Ce défi pourrait être compliqué par les effets de la réforme des retraites, qui concentrera donc notre attention, de même que la nouvelle politique de rémunération des militaires, mise en oeuvre à compter de 2021. Sur ce sujet, nous comptons sur votre attention car cela conditionnera la préservation de la spécificité militaire, à laquelle je suis attaché, car c'est une condition essentielle de l'efficacité des armées au service de la Nation. En la matière, le rôle premier du chef militaire consiste à prendre en compte les préoccupations du personnel des armées, suivre son moral et écouter les aspirations légitimes des soldats.

En conclusion, je veux vous assurer de la détermination des armées à tirer tout le profit de cette LPM, que j'estime sincère et équilibrée. Ce projet de loi est un projet de régénération et de modernisation. C'est maintenant que tout commence. Au-delà de ce projet de loi, l'exécution année après année de ce programme fera l'objet de votre attention constante. Nous en aurons besoin pour que les promesses se transforment en faits.

Je ne m'interdirai pas, pour ma part, de questionner la philosophie de transformation de nos organisations qui prévaut depuis quelques années. La rationalisation conduite au travers des deux LPM précédentes sous une contrainte budgétaire forte a conduit à une atomisation des processus décisionnels, sur laquelle il faut, me semble-t-il, revenir. Il faut revoir les principes d'organisation des armées pour que l'armée de temps de paix ne soit pas trop différente, dans son organisation et ses modes de fonctionnement, d'une armée de temps de guerre, car la distinction entre ces deux situations est de moins en moins nette.

Merci de cet éclairage, mon général. Je note des éléments de satisfaction, dont nous nous réjouissons. Vous pouvez compter sur nous pour vérifier la bonne application des programmations prévues. Rien ne serait pire que des promesses non tenues.

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