La prise en charge des détenus radicalisés est une problématique complexe sur laquelle le Contrôleur général travaille depuis 2015. Les derniers dispositifs annoncés en janvier 2018 n'étant pas encore entrés en application, nous n'avons pas encore pu les visiter - or le Contrôleur général fonde ses avis et recommandations sur des visites.
Je commencerai par un bref rappel historique. Avant 2015, les retours de Syrie inquiétaient déjà l'administration pénitentiaire. Le directeur de la maison d'arrêt de Fresnes avait ainsi créé en novembre 2014, sans aval de sa hiérarchie, une unité dédiée regroupant 22 détenus radicalisés revenant de Syrie, ayant constaté un prosélytisme croissant dans sa prison déjà surpeuplée. La garde des Sceaux de l'époque s'était montrée très réservée. Mais après les attentats de janvier 2015, le Gouvernement décidait dans l'urgence de créer cinq unités dédiées : outre Fresnes, deux à Fleury, une à Osny et une à Lille-Annoeullin.
C'est à ce moment que le Contrôleur général s'est emparé de la question, visitant l'unité dédiée de Fresnes pour jauger l'opportunité de la dupliquer. Les 22 détenus regroupés présentaient des degrés de radicalisation très variables : l'un, de 18 ans à peine, était parti en Syrie sur des idéaux humanitaires quand d'autres étaient ancrés dans la radicalisation. Ce mélange nous a paru dangereux, d'autant que ces détenus étaient à deux ou trois par cellule.
J'ai par ailleurs visité la maison d'arrêt d'Osny qui expérimentait un programme « recherche-action » : les responsables pénitentiaires y travaillaient avec des sociologues dans une optique de dé-radicalisation - même si je n'aime guère ce terme.
Notre rapport sur l'unité dédiée de Fresnes, assorti d'un avis négatif publié au Journal officiel le 30 juin 2015, critiquait l'orientation discrétionnaire, les voies de recours inexistantes, une détention sans statut, s'apparentant à un isolement qui ne dit pas son nom.
L'ouverture des cinq nouvelles unités dédiées début 2016 a donné lieu à un deuxième rapport, après six mois sur le terrain, publié le 7 juin 2016. Nous y constations que la réflexion de l'administration pénitentiaire avait progressé, qu'une doctrine d'emploi se dessinait - elle a fait l'objet d'une note en février 2016 - et qu'une évaluation était désormais faite pendant huit semaines. En mai 2016, le Premier ministre réaffirmait le principe des unités dédiées, assorties d'un service de renseignement pénitentiaire de plein exercice. Parallèlement, le parquet de Paris criminalisait tous les retours de Syrie. Notre deuxième avis était également assez négatif : malgré l'intérêt des programmes de dé-radicalisation, le regroupement de personnes dangereuses nous paraissait présenter plus d'inconvénients que d'avantages et entraîner des effets pervers : les détenus sont privés de droits fondamentaux comme la possibilité de travailler ou de suivre une formation et le placement en unité dédiée est perçu comme une circonstance aggravante par les magistrats.
L'agression très violente d'un surveillant par un détenu radicalisé dans l'unité dédiée d'Osny en septembre 2016 a donné lieu à un nouveau plan, en octobre 2016. Le Garde des Sceaux, M. Urvoas, annonçait la fin des unités dédiées, mais, en réalité, les consacrait en les élargissant. Il reconnaissait que l'absence d'évaluation avait pu expliquer le dérapage d'Osny. L'étanchéité n'était pas effective puisque l'agression avait été concertée. Le plan prévoyait que 27 établissements pénitentiaires accueillent ces détenus, avec des programmes de prise en charge spécifique. Pour les plus dangereux, on instaure les quartiers pour détenus violents (QDV).
En février 2017, les unités de prévention de la radicalisation (UPRA) étaient à leur tour remplacées par les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), pouvant accueillir 120 personnes pour quatre mois, avec une centaine de places pour les femmes. Fin 2017, on annonce six QER et trois QDV. Le principe est celui de sessions de quatre mois, regroupant douze détenus, avec trois issues possibles, selon le degré de dangerosité : la mise à l'isolement, le placement en quartier de prévention de la radicalisation ou la détention ordinaire. Les trois nouveaux QER ouvrent à Condé-sur-Sarthe et à Vendin-le-Vieil. Sont concernés les 500 TIS, écroués pour faits de terrorisme, et environ 1 200 détenus de droit commun qui apparaissent radicalisés. La plupart sont encore hébergés hors quartiers dédiés, mais ne peuvent être affectés que dans les 27 établissements pénitentiaires disposant d'un programme de prévention de la radicalisation violente.
Les règles y sont très strictes - fouilles systématiques, changement de cellule fréquent - mais les programmes évoluent très doucement et très différemment. Le problème tient au pilotage insuffisant de l'administration pénitentiaire dont la doctrine d'emploi n'est pas bien établie et aux difficultés de recrutement des binômes de soutien. À ma connaissance, ce qui a été fait n'a pas été évalué.
Faut-il regrouper ces détenus ou les disperser tout en les contrôlant plus strictement ? Le sujet est éminemment complexe et personne n'a trouvé la solution, ni en France ni ailleurs.
Le problème s'est accru avec le mouvement social dans la pénitentiaire en janvier 2018, déclenché par l'agression d'un surveillant à Vendin-le-Vieil. En réponse aux revendications des organisations syndicales, le Gouvernement a annoncé 1 500 places en quartiers totalement étanches, dont 450 d'ici la fin de l'année. Comment faire, avec les six QER et les trois QPR qui ne peuvent accueillir, tout compris, que moins de 450 détenus ? Comment garantir l'étanchéité totale ? Bref, sur ces nouveaux programmes de prévention de la radicalisation violente, peu d'informations, pas de bilan et peu de pilotage national ; sur les régimes de détention actés à la fin du conflit, interrogation sur l'étanchéité des quartiers. Attention à ne pas tomber dans l'excès et reconstituer les quartiers de haute sécurité (QHS), avec des mesures qui ne seraient ni efficaces, ni respectueuses des droits fondamentaux. Même dans la prise en charge de détenus radicalisés, il faut un équilibre entre des mesures de sécurité renforcées, légitimes, et le respect d'un tronc commun de valeurs. Ce n'est pas le cas pour Salah Abdeslam, soumis à une vidéo-surveillance 24 heures sur 24.
Le Contrôleur général va continuer un troisième cycle de visites, après l'été. Nous recevons d'ores et déjà des requêtes de détenus sur l'absence de reconnaissance des droits fondamentaux.