Intervention de Manuel Valls

Commission d'enquête menace terroriste après chute de l'Etat islamique — Réunion du 12 avril 2018 à 15h00
Audition de M. Manuel Valls député ancien premier ministre

Manuel Valls, député, ancien Premier ministre :

La question de l'islam est très compliquée car les amalgames sont souvent faciles et une grande partie du populisme en Europe et aux États-Unis est basée sur une haine de l'immigré et des musulmans. Mais, en même temps, il faut traiter cette question de l'islam. J'avais d'ailleurs dit que le problème de nos sociétés est l'islam. Le terrorisme que nous connaissons actuellement est très différent d'autres mouvements qui ont pu ébranler notre société, comme Action directe ou les Brigades rouges, dont l'idéologie marxiste-léniniste peut être rapidement traitée. Action directe n'avait pas d'assises et, dès que l'équipe avait été éliminée, nous n'avons plus eu d'attentats. Dans le cas présent, la base est très large et puissante. Un milliard de personnes ont l'islam pour religion. Une des plus grandes offensives de l'État islamique se situe en Asie, aux Philippines et en Indonésie. En Afrique, on constate une évolution ces vingt dernières années, liée au wahhabisme financé par l'Arabie saoudite et l'Iran. C'est le cas au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso et dans le Sahel, sur fond de trafic, de pauvreté et de flux migratoires. C'est une réalité qui nous intéresse directement car les flux migratoires n'échappent pas à ces influences. Il y a une bataille au sein même de l'islam, difficile à maîtriser.

En Égypte, pour des raisons stratégiques, après l'épisode du Président Morsi, nous avons fait du Maréchal al-Sissi un allié. Or, il considère devoir donner des gages aux islamistes sur le plan religieux. On assiste ainsi à une vague de puritanisme dans ce pays. L'islam continue son mouvement vers le conservatisme et une certaine conception de la société.

L'islam est aujourd'hui une religion européenne. En France, les Français qui sont musulmans sont dans notre pays depuis deux ou trois générations. La compatibilité de l'islam avec nos valeurs - la laïcité, la République, l'égalité femmes-hommes, l'acceptation de la conversion - est un enjeu long et difficile. Le sunnisme se caractérise par une absence d'organisation, une pauvreté intellectuelle - on se réfère à chaque fois à Averroès, comme si rien n'avait existé depuis. La mosquée et l'université d'Algaza ne suffisent pas pour permettre de réelles évolutions. Que ce soit Nicolas Sarkozy ou moi-même, nous nous sommes rendus sur place pour faire passer des messages. Mais, aujourd'hui, les jeunes se réfèrent à « l'imam Google ». D'ailleurs, on trouve sur internet des messages radicaux très bien faits. Ils ont plus d'impact que n'importe quel imam.

Sur le primat de la religion sur les lois de la République, chez beaucoup de personnes, en leur for intérieur, Dieu prime sur les textes normatifs, sans pour autant remettre en cause la République. On le retrouve dans d'autres religions. En revanche, ce que je trouve plus inquiétant dans les études de l'Institut Montaigne, du CNRS ou dans le livre d'El Karoui, c'est la part importante de musulmans de France qui contestent les lois de la République, directement ou indirectement. Cela représente à moyen et à long termes, lorsque l'on voit la sédimentation, un véritable danger. C'est la raison pour laquelle il faut construire la relation entre l'islam et la République. Je n'ai pas de solution. Je suis ainsi très sceptique sur ce que l'on peut faire avec le CFCM ou avec l'institution que nous avions voulu mettre en place avec Bernard Cazeneuve. On parle moins de l'islam turc qui a un assise très forte à Strasbourg et dans l'Est de la France. Il a un lien très politique avec Erdogan, sous contrôle - ce qui peut parfois nous arranger, mais qui comporte aussi ses risques. Toutes les solutions dites concordataires, la tentative de Nicolas Sarkozy, ont démontré leurs limites. Je n'ai pas de leçons à donner car je n'ai pas trouvé de solutions. Ce qu'il faut arriver à faire, c'est créer de nouvelles chaires d'islamologie dans nos universités, faire monter une nouvelle génération de musulmans, d'intellectuels musulmans. Mais cela ne suffit pas car il faut toucher la masse.

En ce qui concerne le salafisme, on ne peut pas interdire un courant de pensée. L'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 nous en empêche comme l'a rappelé le Premier ministre. Mais il faut avoir une déclaration politique forte indiquant que le salafisme, comme les Frères musulmans, pose un problème à la République. Il s'agit d'une bataille politique. Je ne crois pas au salafisme quiétiste. Sans interdire le salafisme, on pourrait remettre sur la liste des sectes toutes les organisations s'en revendiquant, permettant de les dissoudre, de fermer des structures. L'État a la capacité de mettre en place des suivis et de reprendre la main, quartier par quartier, ville par ville. Je vous recommande d'interroger les élus de Mulhouse qui sont très concernés par ces pratiques. Comme le souligne Malek Boutih, il s'agit d'un corps à corps pour désamorcer l'influence du salafisme sur la jeunesse.

Il faut préparer un contre-discours en direction des jeunes, non pas à travers des sites officiels du Gouvernement, car ils ont leurs limites - même si nous l'avons fait -, renforcer la sensibilisation dans les écoles, les quartiers sensibles, les clubs sportifs, appeler les rectorats à faire de cette lutte une priorité, renforcer l'apprentissage de l'histoire des religions et des humanités. Je reste convaincu qu'il faut étendre la loi sur le voile de 2004 à l'université. Les considérations juridiques expliquant qu'il ne faut interdire les signes religieux qu'à l'école ne me conviennent pas. Dans certaines universités, il y a désormais des listes se réclamant d'organisations musulmanes venant d'obtenir un score élevé. Il y a des choses qui se passent et on ne peut pas faire comme si cela n'existait pas. Les autres religions, à ce stade, ne présentent pas les mêmes problématiques car il y n'a aucune autre religion que l'islamisme ayant la caractéristique d'avoir une radicalisation aussi puissante et un rapport au monde aussi global. Il peut y avoir des intégristes, mais la dimension politique, sociologique et globale est très loin de ce que nous sommes en train de connaître. Il faut aborder le sujet, l'affronter, sortir de ce discours qui voudrait qu'il ne faut pas faire de vague pour ne pas stigmatiser, ou de celui de quelqu'un comme Edwy Plenel qui, dans son livre Pour les musulmans, au fond, fait des musulmans le prolétariat d'hier. Et comme ils sont le prolétariat et les victimes du capitalisme, on peut tout excuser. C'est le pire, on amalgame les musulmans dans un ensemble dangereux. Une déclaration politique puissante nous permettrait d'être plus forts dans cette lutte. C'est le meilleur service que nous puissions rendre à nos concitoyens musulmans que de les aider à combattre ce poison qui ronge l'islam.

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