Intervention de Manuel Valls

Commission d'enquête menace terroriste après chute de l'Etat islamique — Réunion du 12 avril 2018 à 15h00
Audition de M. Manuel Valls député ancien premier ministre

Manuel Valls, député, ancien Premier ministre :

Par patriotisme et par solidarité, je sais que gouverner dans ces périodes est difficile. Je crois beaucoup à la nécessité pour le Gouvernement d'associer pleinement les parlementaires à cette lutte, à la condition que le secret soit une réalité. Cela fonctionne bien aux États-Unis. Ce serait une manière de responsabiliser davantage le Parlement.

Certes, il y a ce qui est de l'ordre de la bataille militaire, policière et judiciaire, mais si nous partons du principe que nous sommes en guerre et qu'il y a sur notre territoire des centaines ou des milliers de personnes capables de passer à l'acte dans notre pays, alors nous savons que nous connaîtrons de nouveaux attentats. Dès lors, ce qui s'est passé ces derniers mois n'est pas de la responsabilité du Ministre de l'Intérieur. L'attentat de Trèbes a donné le sentiment d'une forme de surprise, comme si après la défaite de Daech au Levant, il en était terminé des attentats. La caractéristique de cet acte - au-delà du sacrifice du colonel Arnaud Beltrame -, c'est le fait qu'il a eu lieu dans une petite ville de 10 000 habitants qui ne s'attendait pas à être visée. Les victimes sont un retraité agricole, un retraité maçon et un responsable de rayon boucher. Nous sommes ainsi loin de cibles comme Paris ou Nice où, avec toute la mesure nécessaire à cette expression, les actes commis étaient plus compréhensibles. Cet attentat a aussi relancé la question, dans l'opinion publique, des dispositifs des services pour prévenir ces actes.

Comment faire mieux et être plus efficace ? Il faut continuer le travail engagé depuis mars 2012. Je tiens à cette date car je crois à la continuité de l'action de l'État. Il faut continuer à donner le maximum de moyens à la DGSI et à la DGSE. Je pense d'ailleurs que davantage de moyens doivent être principalement accordés à la DGSI. En effet, la DGSE a été très bien dotée ces dernières années car elle intervient dans un cadre complexe. Les nouveaux moyens pour la DGSI doivent lui permettre d'élargir son recrutement afin de sortir d'une culture uniquement policière. Il faut des linguistes, des arabo-parlants, des hackers. D'ailleurs, très souvent, lorsque nous sommes victimes d'une attaque informatique, l'on va chercher l'un de ceux qui ont, par le passé, participé à ce genre d'attaques pour remettre en ordre notre réseau. Il faut continuer à créer un grand service puissant de la sécurité intérieure. La coopération internationale et la coordination entre les services du ministère de la Défense, de l'Intérieur, de la DGSE, de la Direction du renseignement militaire et de la DGSI autour du chef de l'État est une bonne chose. Je pense que ceux qui ont la main sur les services doivent rester le ministère de la Défense et le ministère de l'Intérieur afin d'être le plus opérationnel possible. Le Président de la République a parfaitement compris qu'autant il fallait une information et une coordination, autant il ne faut pas agir à la place des services. Ses prédécesseurs partageaient la même idée.

Il faut renforcer le renseignement territorial. La première action est d'ordre essentiellement administratif. Il faudrait sans doute que ce renseignement territorial - et il s'agissait d'une proposition du rapport Urvoas-Verchère que nous n'avons pas reprise à l'époque - soit rattaché à une grande direction générale de la sécurité intérieure afin de gagner en efficacité et de renforcer les liens entre les différents niveaux. Vu ce qui s'est passé à Trèbes, ce qui se passe depuis des années dans l'Ariège et l'évolution du terrorisme, je crois beaucoup au rôle de la gendarmerie. Elle a évolué - et il faut reconnaître que la réforme de Nicolas Sarkozy intégrant cette dernière au ministère de l'Intérieur a été une réforme réussie, notamment grâce au travail du général Favier puis du général Mézuret. Elle doit gagner désormais en opérabilité, en croisant davantage les fichiers. Les brigades de la gendarmerie ont cette capacité à travailler avec les directions départementales de sécurité publique (DDSP) et avec l'ensemble des services de renseignement. En outre, il faut approfondir le maillage territorial. Nous avons la capacité, grâce au numérique - et il faut en faire plus - de suivre le haut du spectre. À l'évidence, la coopération internationale peut nous y aider. Une réflexion pourrait également être engagée sur les relations entre la DGSI et la Direction du renseignement de la Préfecture de Paris (DRPP). Certes les liens se sont resserrés. J'ai fait en sorte que les inspections soient désormais les mêmes, mais je crois qu'il y a encore une déperdition. La DRPP est d'une très grande qualité depuis longtemps et il ne s'agit pas de dégarnir la capitale de ses moyens actuels. Mais il me semble que des marges de manoeuvre existent.

En outre, le recours à la biométrie et à l'interconnexion des fichiers doit être amélioré. Le numérique est un élément important.

J'évoquais les travailleurs sociaux. Un travail important doit être fait sur les droits sociaux. Je ne suis pas en train de dire que tous les terroristes touchent le RSA et que le RSA est la cause du terrorisme. Une organisation terroriste est constituée de cadres et de militants. Ils sont connectés, parfois sans se connaître directement, grâce à internet. Parmi les terroristes sur les terrains d'opération irako-syriens, certains touchaient le RSA. Je ne dis pas que cela éviterait des actes terroristes, mais il faut s'attaquer à toute forme de financement, notamment à un moment où Daech est en difficulté.

Enfin, il faut être attentif à la réorganisation de cellules en Europe. L'attentat de Barcelone m'a inquiété car il s'agissait presque de « cellules dormantes » pour reprendre le vocabulaire de la Guerre froide : nous étions en présence de gens intégrés, parlant catalan, managés par un imam passé entre les gouttes et qui ont failli commettre un attentat de l'ampleur de celui du 11 septembre 2001.

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