Intervention de Jean Bizet

Réunion du 9 mai 2018 à 14h30
L'union européenne face aux défis de la compétitivité de l'innovation du numérique et de l'intelligence artificielle — Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

Photo de Jean BizetJean Bizet :

La compétitivité économique de l’Union européenne est un défi majeur.

Le marché unique est une grande réalisation. Mais il doit d’abord être un atout pour les producteurs européens. Certes – et heureusement ! –, l’Europe n’a pas fait le choix du repli, dont les conséquences économiques seraient néfastes. Elle s’est ouverte sur le monde. Mais, en acceptant l’ouverture, elle doit aussi veiller à préserver ses intérêts économiques. Nous souhaitons en particulier que l’Union soit ferme et unie face aux initiatives américaines concernant l’aluminium et l’acier. Où en est-on des discussions avec les autorités américaines ? Nous attendons vos réponses sur ce sujet qui fait votre quotidien, madame la secrétaire d’État.

Le marché unique doit bénéficier aux producteurs européens. Pour cela, l’action de l’Union doit développer une ambition. Or nous sommes loin d’une véritable stratégie industrielle européenne qui permettrait à notre continent de reconquérir le terrain perdu dans ce domaine.

L’Europe doit rattraper son retard en matière d’investissement. Nous avons soutenu l’augmentation de la capacité et de la durée du Fonds européen pour les investissements stratégiques. La Commission européenne propose désormais de créer un nouveau fonds d’investissement qui permettrait, par le jeu de garanties, de mobiliser 650 milliards d’euros d’investissements. Il faut parallèlement lever les obstacles réglementaires aux investissements.

L’énergie doit être une priorité. L’Europe ne sera pas compétitive sans une énergie sécurisée, accessible et bon marché. Nous appuyons le projet d’une Union de l’énergie, tout en veillant à une bonne articulation entre les compétences de l’Union et celles des États membres. Pouvez-vous nous éclairer sur l’état des discussions en cours sur le paquet de textes présentés par la Commission européenne ?

Je voudrais également souligner que les membres de la commission des affaires européennes du Sénat ont été extrêmement attentifs s’agissant de l’émergence de Nord Stream 2. L’Allemagne sera demain un hub gazier européen. À mon avis, cela l’oblige économiquement et politiquement à certains engagements vis-à-vis d’autres États membres.

L’innovation doit constituer une autre priorité. L’Europe peut apporter une réelle plus-value dans ce domaine. La Commission européenne propose un nouveau programme, intitulé Horizon Europe, doté de 97, 6 milliards d’euros, soit 53 % d’augmentation par rapport au cadre actuel. Elle souhaite afficher clairement la priorité accordée à l’innovation, avec un Conseil européen de l’innovation, qui constituerait un guichet unique en matière d’innovation de rupture. Quelle est l’appréciation du Gouvernement sur ces initiatives ?

Personnellement, j’attire depuis quelque temps déjà l’attention du Gouvernement sur deux points bien particuliers. D’une part, l’Europe n’est pas dotée de supercalculateurs de nouvelle génération alors que nos voisins d’outre-Atlantique et le bloc asiatique le sont. D’autre part, sur le sujet un peu délicat de l’évolution de la sélection variétale et les biotechnologies, j’aimerais avoir votre analyse à propos des fameux NBT, pour New Breeding Techniques, qui constituent à mon avis un passage obligé s’agissant de la compétitivité de certaines filières agricoles.

Dans cette mobilisation pour la compétitivité européenne, l’Union économique et monétaire doit occuper une place centrale. C’est pourquoi son approfondissement doit demeurer une priorité. Dans le cadre du groupe de suivi sur la refondation, le Sénat avait formulé des propositions. Pour le prochain cadre financier, la Commission européenne prévoit un programme de soutien aux réformes, à hauteur de 25 milliards d’euros, et une fonction de stabilisation de l’investissement, avec une capacité de prêts de 30 milliards d’euros. Une feuille de route franco-allemande a été annoncée. Mais, à ce stade, on constate plutôt des divergences. Cela nous désole. Pouvez-vous nous rassurer sur une position commune de la France et de l’Allemagne d’ici au prochain sommet de la zone euro et au Conseil européen de fin juin ?

Le numérique est un autre grand défi de l’heure. L’Europe a pris conscience de son retard dans l’innovation et la régulation, mais également de sa faiblesse vis-à-vis des grands acteurs privés de l’internet. Face à des comportements contestables, comme l’optimisation fiscale ou l’abus de position dominante, les pouvoirs publics paraissent plus enclins à la fermeté. La Commission européenne a proposé une stratégie globale et ambitieuse. L’entrée en vigueur du règlement sur la protection des données personnelles doit être saluée.

Et si l’Europe a eu un retard technologique important, elle a, je le crois, aujourd’hui ouvert une nouvelle porte, celle de l’éthique. Songeons au contentieux entre Facebook et Cambridge Analytica. Il y a là, me semble-t-il, une piste à creuser de plus en plus.

Le droit européen de la concurrence doit être aussi plus efficace. Le Sénat préconise de simplifier le déclenchement des mesures conservatoires, afin d’éviter que ne persistent des entorses aux règles de concurrence pendant la durée souvent très longue des procédures déclenchées par la Commission européenne. Je pense à l’affaire Google ou – c’est le dossier de l’heure – à l’affaire Air France-KLM, à la suite du contentieux entre l’entreprise et Ryanair ou certaines compagnies du Golfe.

Nous devons encadrer spécifiquement les plateformes numériques structurantes pour l’économie, en leur appliquant notamment le principe de loyauté. Que peut-on attendre des propositions de la Commission européenne dans ce domaine ?

Nous devons aussi parvenir à une taxation effective des revenus créés par l’activité numérique, en matière de fiscalité directe comme indirecte, avec une assiette rattachée au territoire de l’activité effectivement réalisée, que l’on appellerait « présence digitale significative ». Pouvez-vous éclairer le Sénat sur les discussions en cours ?

Je regrette que le Conseil européen n’ait pas cru bon d’adopter la position de la France en la matière et ait préféré se retrancher sur la position de l’OCDE. Je sais bien que la position française n’est pas parfaite. Mais le dispositif aurait au moins le mérite d’être enclenché dès maintenant.

À l’ère numérique, le droit d’auteur et les droits voisins doivent être pérennisés par une assise territoriale réservée. Il faut parallèlement veiller à favoriser l’accès aux œuvres et à préserver la juste rémunération des auteurs et le financement de la diversité culturelle. Nous avons besoin d’un pilotage stratégique et d’une grande cohérence entre la politique de concurrence et la politique industrielle. Il faut soutenir la croissance des start-up européennes en Europe, en mobilisant les outils de financement et en levant les barrières à leur développement européen. L’Union européenne doit aussi défendre son ambition numérique dans les négociations commerciales en cours.

Je veux souligner l’enjeu de la cybersécurité et l’importance stratégique de développer des compétences et des capacités publiques et privées. C’est la souveraineté proprement dite des États qui peut être mise à mal, de même que le développement d’une économie numérique, lequel ne peut que reposer sur la confiance de ses acteurs.

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