Intervention de Delphine Gény-Stephann

Réunion du 9 mai 2018 à 14h30
L'union européenne face aux défis de la compétitivité de l'innovation du numérique et de l'intelligence artificielle — Débat organisé à la demande de la commission des affaires européennes

Delphine Gény-Stephann :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord de votre invitation. Nous le savons tous : le cadre européen est primordial pour notre économie. Et quel meilleur jour pour débattre des défis auxquels fait face l’Union européenne en matière de compétitivité, d’innovation, de numérique et d’intelligence artificielle ?

Nous vivons une époque où les innovations structurantes, les évolutions techniques, les approches nouvelles en termes de production, de collaboration, de services ou de consommation s’accélèrent fortement et bouleversent non seulement les chaînes de valeur, mais aussi nos modes de vie.

Ce qui est frappant également, c’est que l’origine de ces innovations se diversifie. Elles ne sont plus l’apanage des grandes puissances occidentales ni de grands groupes industriels historiquement établis. Il faut de plus en plus raisonner en dynamique, et anticiper plutôt que s’adapter.

La compétitivité de l’Europe dans la durée repose largement sur sa capacité à intégrer les nouvelles technologies dans les produits de ses entreprises, dans les processus de production, dans leurs relations avec les clients et les partenaires.

Dans la concurrence mondiale, notre continent a des atouts majeurs à faire valoir : une recherche de qualité, un tissu d’entreprises dynamiques, des têtes de filières qui créent de l’activité au sein de l’Union européenne, des compétences et des valeurs.

Mais il faut aller plus loin si nous voulons que l’Union européenne joue pleinement son rôle de grande puissance économique mondiale au profit des citoyens européens.

Nous devons définir et défendre une stratégie industrielle vraiment européenne, notamment sur l’innovation de rupture ; ce sera le premier thème de mon intervention. Nous devons aussi défendre nos valeurs, que ce soit en menant une politique commerciale ferme et sans naïveté ou en répondant aux défis posés par le développement des acteurs numériques ; ce sera le second thème de mon propos.

La période est décisive, car nous devons prouver notre capacité à relever ces défis, en particulier avec le lancement des discussions sur le prochain budget européen, qui doit être à la hauteur des enjeux.

Premier point, nous devons bâtir une Europe de l’industrie, à la pointe de l’innovation de rupture.

Face à la Chine ou aux États-Unis, une stratégie industrielle purement nationale n’a plus grand sens. Le Gouvernement entend bien pousser auprès de la Commission et de nos partenaires européens des initiatives ambitieuses et concrètes en matière de politique industrielle européenne.

C’est à l’échelle européenne que nous pouvons créer des écosystèmes industriels de pointe et des « champions » capables de peser sur la scène mondiale. C’est aussi par l’Europe que pourra s’établir notre autonomie stratégique dans des technologies-clés : la cybersécurité, le véhicule autonome et connecté, l’aéronautique et l’espace, l’intelligence artificielle. L’Europe nous donne la force de frappe nécessaire pour mener de grands projets industriels intégrés, du laboratoire à l’usage : dans les supercalculateurs, par exemple, ou les nanotechnologies. En matière de R&D, l’Union européenne s’est dotée de bons instruments, mais ils concernent surtout l’innovation incrémentale.

Les sujets complexes d’innovation radicale méritent une approche spécifique et un cadre fortement mutualisé en Europe.

Notre puissance de feu en matière d’innovation de rupture est déterminante pour notre compétitivité. Elle repose sur des projets qu’on appelle « deep tech », c’est-à-dire très intensifs en recherche et développement, qui requièrent dès le départ des financements massifs et risqués. La bonne échelle, c’est donc l’échelle européenne.

Pour répondre à cet impératif, le Président de la République a proposé la création d’une agence européenne pour l’innovation de rupture. Nous ne pouvons pas prendre de retard. Dès 2019, un prototype d’agence doit être mis en place au niveau européen.

Enfin, nous devons saisir le tournant de l’intelligence artificielle. Au niveau national, d’abord, où c’est une priorité avec le déploiement de 1, 5 milliard d’euros en cinq ans, mais surtout avec un programme très structuré. En Europe, ensuite, en soutenant la stratégie formulée par la Commission européenne, en particulier sur les trois axes proposés : la compétitivité technologique et économique ; l’anticipation des changements socio-économiques ; la création d’un cadre juridique et éthique.

Comme vous l’avez mentionné, monsieur le président de la commission des affaires européennes, le paquet énergie-climat est également un sujet essentiel pour notre industrie. Nous entendons bien pousser à la mise en œuvre des conclusions de la COP21, en particulier en ce qui concerne les enjeux environnementaux, tout en prenant en compte les défis industriels de certains secteurs – je pense notamment aux électro-intensifs.

Deuxième point : nous voulons une Europe ouverte, mais également capable de défendre ses valeurs, ses intérêts et son modèle économique. Il est absolument nécessaire de défendre des relations commerciales ouvertes et réciproques, à l’heure où se développent des pratiques commerciales déloyales et la tentation du protectionnisme. Nous devons agir fermement, dans le respect du droit, pour défendre, moderniser et renforcer les règles du commerce international et permettre ainsi à nos entreprises d’évoluer dans un environnement sûr et favorable à l’innovation et aux investissements.

Mais ouverture ne signifie pas naïveté ; nous voulons aussi nous protéger lorsque des pays tiers ciblent, de façon parfois agressive, des entreprises stratégiques en Europe. C’est pourquoi nous devons adopter rapidement le règlement sur le filtrage des investissements étrangers en Europe.

S’agissant des enjeux nouveaux liés à l’économie numérique, l’Europe doit proposer un modèle juste et efficace. Elle a su le faire en matière de protection des données personnelles. Il faut avancer sur deux autres défis qui sont posés.

D’une part, sur la fiscalité : il n’est pas acceptable que les grandes entreprises du numérique ne paient que 9 % d’impôts en Europe, contre 23 % pour les acteurs traditionnels.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion