Intervention de Elisabeth Borne

Réunion du 15 mai 2018 à 14h30
Les infrastructures routières à la suite de la présentation du rapport du conseil d'orientation des infrastructures du 1er février 2018 — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Elisabeth Borne :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de plaisir que j’interviens aujourd’hui à nouveau devant votre Haute Assemblée pour poursuivre nos échanges autour des travaux du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI.

Le 13 mars dernier, j’avais déjà eu l’occasion de vous exposer les grands principes de la politique globale de mobilité que nous entendons promouvoir. Le 28 mars, nous avons pu débattre ensemble de l’avenir des lignes à grande vitesse et de l’aménagement du territoire. Vous me donnez aujourd’hui l’occasion d’aller plus loin en matière de politique routière, et je vous en remercie.

Notre objectif est de bâtir une société de mobilité inclusive, dont chacun de nos territoires, chacun de nos concitoyens puisse tirer parti au quotidien.

Faire face à ce défi, qui conjugue efficacité économique, aménagement du territoire et cohésion sociale, c’est naturellement donner à la route la place qui doit être la sienne au cœur d’une politique de lutte contre le changement climatique qui doit favoriser le développement des modes alternatifs pour le transport des biens et des personnes, notamment le ferroviaire. Alors que 90 % du transport de marchandises et de voyageurs est à ce jour assuré par la route, le développement de ces modes alternatifs est une priorité fondamentale de la politique de mobilité que je défends.

Cela étant, n’oublions pas que le système routier français constitue un réseau de 1 million de kilomètres qui assure un maillage extrêmement fin de chacun de nos territoires.

Par ailleurs, la route du XXIe siècle n’aura que peu à voir avec celle qui a été cartographiée et développée par Daniel-Charles Trudaine au XVIIIe siècle. Demain, la route sera encore plus utile et pertinente, parce qu’elle sera plus propre, plus innovante, plus connectée et plus sûre. Elle devra favoriser le développement des véhicules électriques autonomes, du vélo, des nouveaux transports en commun à faibles émissions, du covoiturage, de l’autopartage et de la multimodalité.

Lors de son discours du 1er juillet 2017 à Rennes, le Président de la République a fixé un cap très clair : recentrer nos politiques de mobilité sur les transports du quotidien, la lutte contre la congestion dans les grandes agglomérations, l’accès à l’emploi et aux services dans les territoires et l’organisation de nos systèmes logistiques.

Comme vous le savez, les besoins de nos territoires, de nos concitoyens, de nos entreprises ont beaucoup évolué depuis vingt ans. Ils continuent à évoluer rapidement. Dans un contexte marqué par les contraintes qui pèsent sur les finances de l’État et des collectivités territoriales, la route du futur devra également être plus sobre. Nous devons anticiper et accompagner ces évolutions majeures en révisant en profondeur nos stratégies et nos modes d’action.

Ce besoin de changement, votre Haute Assemblée l’appelle de ses vœux depuis longtemps. J’ai déjà eu l’occasion, à cette tribune, de saluer les travaux de votre commission des finances et de votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Ce besoin de changement, nos concitoyens s’en sont eux-mêmes largement fait l’écho lors des Assises nationales de la mobilité, avec même une réelle impatience.

Cette impatience, je la comprends, je la partage, et je mesure l’urgence d’y apporter une réponse, afin d’éviter que ne se creusent les fractures sociale et territoriale. J’y insiste, la capacité de la route à devenir un facteur d’inclusion est l’un des grands défis de la mobilité de demain.

Le Gouvernement s’est donc employé à ouvrir une nouvelle page, sous le signe de l’écoute, de la cohérence et de la sincérité, pour redonner du crédit aux engagements de l’État sur un sujet qui, pour reprendre les mots prononcés à cette tribune par votre collègue Gérard Cornu en mars dernier, est « caractérisé depuis trop longtemps, il faut oser le dire, par les annonces et la fuite en avant, et par une technique bien connue en politique et bien éprouvée, qui veut que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ».

C’est le sens du travail confié au Conseil d’orientation des infrastructures, présidé par Philippe Duron. Le rapport qui m’a été remis le 1er février dernier est le fruit d’un travail considérable. Je me réjouis que les conclusions issues de cette démarche exigeante aient été adoptées à l’unanimité des membres du COI et je salue ici l’engagement de vos collègues, Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Gérard Cornu et Michel Dagbert. Leur travail est d’autant plus précieux qu’il pose les bases d’une véritable stratégie d’investissement pour les deux décennies à venir.

Comme vous le savez, trois scénarios sont désormais sur la table. Le premier, à ressources constantes, permet simplement de répondre aux besoins d’entretien du patrimoine existant. Le deuxième satisfait les priorités fixées par le Président de la République, mais au prix de moyens supplémentaires significatifs, à hauteur de 600 millions d’euros par an. Le troisième, enfin, prévoit une accélération des projets. Cependant, il mobilise environ 80 milliards d’euros sur une période de vingt ans, soit un doublement des dépenses par rapport à la période 2012-2016 pendant au moins dix ans.

Quel que soit le scénario retenu, le rapport recommande un certain nombre de priorités dans la façon de conduire nos politiques d’investissement.

S’agissant des routes, le COI insiste à juste titre sur la priorité absolue que constituent l’entretien, la régénération du réseau routier national non concédé et la modernisation de son fonctionnement. Cette recommandation rejoint les conclusions de l’audit externe qui m’a été remis en avril 2018, lequel souligne l’état critique de ce réseau : 50 % des surfaces des chaussées sont à renouveler et près d’un pont sur dix est en mauvais état.

Dans son rapport de mars 2017, le président Hervé Maurey tirait déjà la sonnette d’alarme en dénonçant « un réseau en danger ». Là encore, notre sous-investissement a été manifeste et, au rythme de l’effort actuel, deux décennies seraient nécessaires pour remettre en état l’ensemble du patrimoine. Qui pourrait s’en satisfaire ?

Au-delà, l’enjeu de la modernisation de nos routes est également posé. Celle-ci doit favoriser le développement des véhicules connectés et autonomes et améliorer la gestion des flux de trafic.

La première des priorités à laquelle je suis fondamentalement attachée est la desserte routière de nos territoires. Lors de chacun de mes déplacements, je suis confrontée à des habitants et à des élus qui se désespèrent en voyant la modernisation de certains de nos axes routiers, pourtant indispensables aux déplacements du quotidien, repoussée de contrat de plan en contrat de plan, de décennie en décennie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous dressez le même constat dans chacun des départements que vous représentez. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas de grands travaux, mais d’aménagements simples. J’ai l’absolue conviction que ce désenclavement routier mérite que l’on dégage les moyens suffisants et pérennes pour y parvenir.

Il faut également avoir en tête que, si le réseau routier national supporte près d’un tiers des trafics, il ne représente que 2 % des infrastructures linéaires routières de notre pays.

Sans chercher à se substituer aux collectivités locales, l’État doit leur apporter son soutien et poursuivre l’animation de la communauté routière pour développer et diffuser des techniques adaptées à des routes sobres, écologiques et peu coûteuses.

Enfin, le COI nous invite à sortir de la logique du « tout ou rien », qui a longtemps prévalu dans la réalisation des grands projets. À nous désormais d’être innovants et raisonnables à la fois. Concevons et phasons intelligemment les projets pour les mener à bien et répondre efficacement aux problèmes de congestion en mobilisant les moyens compatibles avec nos finances publiques. L’équation n’est pas simple, mais elle n’a rien d’insoluble.

Dans cette perspective, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures permet d’ouvrir une nouvelle page dans nos choix d’investissement, et ce afin de sortir des impasses financières et politiques sans renoncer à notre ambition collective en faveur de l’amélioration de la mobilité du quotidien.

S’inspirant de ces recommandations, le Gouvernement fera très bientôt connaître ses choix. C’est notamment l’objet du futur projet de loi d’orientation sur les mobilités que je présenterai avant l’été. Ce texte proposera une stratégie d’ensemble, ainsi qu’une programmation sincère de nos infrastructures pour les deux prochaines décennies. Nous aurons l’occasion d’en reparler précisément lorsque votre Haute Assemblée sera invitée à examiner et à enrichir ce projet de loi.

Dans le domaine routier, nous nous montrerons à la hauteur des défis qui sont les nôtres, si cette programmation sait conjuguer quelques objectifs aussi simples que fondamentaux.

Le premier objectif doit traduire une volonté sans faille de préserver et de moderniser le réseau routier national.

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