Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 16 mai 2018 à 11h00
Application des lois au 31 mars 2018 — Examen du bilan annuel

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente :

Comme mes prédécesseurs chaque année à cette période, il me revient de vous présenter le bilan de l'application des lois relevant de notre champ de compétences. Cet exercice est important : il s'agit d'analyser et de contrôler les textes règlementaires pris au cours de l'année, quantitativement mais aussi qualitativement.

L'étude de certains textes anciens n'étant plus jugée pertinente, le rapport établi cette année porte sur dix-huit lois promulguées entre 2008 et le 30 septembre 2017, soit de la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés jusqu'à la loi du 20 mars 2017 relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. Afin d'apprécier l'objectif énoncé dans la circulaire du 29 février 2008 d'une parution des textes d'application dans les six mois suivant la promulgation d'une loi, seules les mesures réglementaires publiées jusqu'au 31 mars 2018 entrent dans notre bilan.

Sur ces dix-huit lois, six sont totalement applicables, tous les textes réglementaires prévus ont été publiés ; mais trois étaient d'application directe, dont la loi du 1er juin 2016 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour réformer Action Logement. Cette loi a été suivie par l'adoption de deux ordonnances dans le délai imparti et du dépôt sur le Bureau du Sénat des projets de loi de ratification.

Comme l'année dernière - et fort heureusement ! - aucune des lois que nous suivons n'est totalement inapplicable. En revanche, l'étude des douze lois partiellement applicables, dont les taux d'application varient de 54 % à 98 %, aboutit à un bilan plus nuancé.

Je me limiterai à quelques « focus » sur les plus emblématiques. Rapportée notamment par Dominique Estrosi Sassone, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, est entièrement applicable s'agissant des dispositions relatives à l'urbanisme et au logement. Certaines mesures réglementaires intéressant la commission des affaires économiques sont encore attendues sur quelques sujets ; un point d'intérêt concerne en particulier les activités sur internet.

S'agissant du tourisme en ligne, notre précédent bilan rappelait que l'article 133 de la loi, introduit sur l'initiative du Sénat, a interdit la clause dite de « parité tarifaire », conférant ainsi la possibilité aux hôteliers de consentir des rabais par rapport aux prix affichés sur les plateformes de réservation. Le législateur allait, en cela, au-delà des engagements pris par Booking auprès de l'Autorité de la concurrence. Notre groupe de travail sur le tourisme devrait prochainement compléter les premiers éléments du bilan réalisé par l'Autorité de la concurrence.

Bien qu'elle n'entre pas formellement dans le champ du contrôle de cette année, un premier point sur l'application de la loi Hydrocarbures apparaît déjà riche d'enseignements. On se félicitera que quatre mesures déjà parues aient permis de mettre en oeuvre une bonne partie des réformes du stockage du gaz, à laquelle le Sénat a très largement contribué, et des règles de raccordement des énergies marines renouvelables.

Concrètement, le texte aura eu pour effet paradoxal, au regard de son objectif affiché, de débloquer l'attribution d'un certain nombre de demandes de prolongation de permis de recherche - douze à ce jour si l'on inclut le permis « Guyane maritime » - et d'octroi de concessions en application du droit de suite - cinq au total. L'administration avait jusqu'à présent refusé de statuer sur ces demandes, auxquelles il faut ajouter les six demandes de permis encore en cours d'instruction administrative, ainsi que les nombreux recours contentieux déposés ou à venir. A contrario, la loi aura aussi eu pour effet de « faire tomber » quarante-cinq demandes nouvelles de permis de recherche et trois demandes de nouvelles concessions qui ne pouvaient se prévaloir du droit de suite. Le texte a donc mis fin, dans un sens ou dans l'autre, à l'incertitude qui pesait depuis des années sur toutes ces demandes.

Pour les lois Transition énergétique d'août 2015 et Autoconsommation de février 2017, je dois déplorer l'absence d'application réglementaire de deux mesures en faveur des consommateurs en situation de précarité énergétique.

La mise à disposition d'afficheurs déportés permet aux consommateurs qui disposent déjà d'un compteur communicant de consulter en temps réel leurs données de consommation. Le dispositif devait entrer en vigueur au 1er janvier 2018 et plus de sept millions de compteurs Linky et un million de compteurs Gazpar ont déjà été installés. Mais on attend toujours la publication de deux arrêtés relatifs à la compensation des coûts occasionnés pour les fournisseurs. Un ménage français sur cinq est en situation de précarité énergétique selon l'Observatoire national de la précarité énergétique ; ce serait donc au moins un million de ménages précaires énergétiquement qui pourraient en bénéficier mais en sont jusqu'à présent privés. Comme de coutume, le Gouvernement nous annonce ces arrêtés pour les prochains mois, mais l'on ne sait rien ni du calendrier ni des modalités de déploiement des afficheurs déportés.

La seconde mesure est certes plus ponctuelle, mais non moins essentielle pour ses bénéficiaires : elle concerne l'accompagnement des consommateurs aux revenus modestes qui devraient remplacer un équipement en cas de changement de la nature du gaz distribué, comme cela sera le cas dès cette année dans une partie du nord de la France. Faute d'avoir pu introduire lui-même dans la loi une aide pécuniaire, le Sénat avait demandé un rapport que le Gouvernement n'a pas remis dans le délai d'un an imparti, indiquant qu'une mission avait été confiée à trois corps d'inspection pour étudier les différentes options juridiques et financières. Il est urgent d'aboutir, car la dépense sera difficilement finançable par des consommateurs aux revenus modestes. Pourquoi tant de temps pour définir les contours d'une aide dont l'enjeu budgétaire est limité ?

La loi relative à l'égalité et à la citoyenneté n'est pas prise en compte cette année dans les statistiques propres à notre commission. Je tiens quand même à dire quelques mots de ce texte, rapporté par Dominique Estrosi Sassone. Alors que le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières, le CNTGI, a été créé par la loi ALUR en 2014, le législateur est ensuite intervenu à deux reprises pour apporter des modifications : d'abord dans la loi Macron, afin de permettre l'application effective des dispositions aux personnes morales exerçant une profession en matière immobilière ; puis, justement, dans la loi Égalité et citoyenneté, non seulement pour fusionner le CNTGI et la commission de contrôle des activités de transaction et de gestion immobilières chargée de connaître de l'action disciplinaire, mais aussi pour préciser les modalités de la procédure disciplinaire et instaurer le versement d'une cotisation par les professionnels de l'immobilier.

Le décret en Conseil d'État du 10 mai 2017, pris pour l'application des nouvelles mesures introduites par la loi Égalité et Citoyenneté, prévoit une entrée en vigueur différée de ses dispositions, au 1er juillet 2018. Or le Parlement n'a jamais demandé d'entrée en vigueur différée ! En outre, le décret est encore incomplet, puisqu'il n'aborde ni les modalités de financement, notamment la cotisation des professionnels de l'immobilier, ni les modalités et le fonctionnement du répertoire des personnes sanctionnées.

Les mesures règlementaires manquantes pourraient cependant devenir bientôt sans objet. En effet, l'article 53 du projet de loi ELAN réforme à nouveau le CNTGI afin de supprimer sa compétence disciplinaire, supprimer la cotisation et revenir à sa composition initiale. Faire et défaire...

Un autre point me semble riche d'enseignements concernant la loi Égalité et citoyenneté. Son article 39 habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnance, notamment pour remplacer les régimes de déclaration d'ouverture préalable des établissements privés d'enseignement scolaire par un régime d'autorisation. Cet article a été déclaré contraire à la Constitution dans sa rédaction définitive issue de l'Assemblée nationale. La rédaction proposée à l'époque par le Sénat a été reprise dans la proposition de loi de Françoise Gatel, corapporteure de la loi Égalité et citoyenneté, déposée le 27 juin 2017. Cette proposition a été votée et promulguée le 13 avril 2018, devenant ainsi la loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. Beau travail du Sénat !

Sur les dix-huit lois dont l'application est suivie cette année par la commission, onze ont été votées selon la procédure accélérée. Nous pouvons nous étonner que sept d'entre elles ne soient encore que partiellement applicables...

Constatant une augmentation du nombre de demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances, une attention toute particulière a été portée pour la première fois cette année à ces textes. La moitié des lois que nous suivons, soit neuf sur dix-huit, autorisent le Gouvernement à prendre des ordonnances.

Dans ces neuf lois, vingt-neuf articles d'habilitation relèvent de notre examen, dont six n'ont fait l'objet d'aucune ordonnance dans le délai imparti. Il nous a semblé intéressant d'examiner notamment le rapport entre durée d'habilitation et présentation de l'ordonnance pour ratification. Par exemple, lorsque la durée d'habilitation est de neuf mois, le délai moyen de dépôt d'ordonnance est de plus de huit mois et demi. Je vous laisserai prendre connaissance de tous les chiffres dans le rapport, mais l'argument de célérité, souvent invoqué, n'est plus guère convaincant !

Par ailleurs, sur les dix-huit lois considérées, aucune n'a fait l'objet d'un rapport dit « article 67 » depuis le bilan de l'an dernier. Pour mémoire, l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit impose au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la mise en application de toute loi promulguée après le 9 décembre 2004 dans un délai de six mois suivant son entrée en vigueur.

Au total, seulement un tiers des rapports nous ont été remis par le Gouvernement. Je signale au passage le cas un peu particulier de la loi Transition énergétique, pour laquelle le Gouvernement considère que la transmission, en janvier 2017, d'un courrier de la ministre, qui comportait en annexe la liste des ordonnances et des décrets publiés, vaudrait remise de ce rapport. C'est très contestable, dès lors que n'y figurent pas, comme la loi de 2004 l'exige pourtant, les dispositions « qui n'ont pas fait l'objet des textes d'application nécessaires » et les « motifs » de l'absence de ces textes.

Comme Jean-Claude Lenoir le faisait les années précédentes, je tiens à insister sur la défaillance constante dont fait preuve l'administration en ce qui concerne les rapports demandés par le Parlement : pour six rapports remis à notre commission cette année, quarante-six autres sont encore attendus !

Certains, au motif qu'ils sont rendus publics, ne sont pas officiellement transmis au Parlement. Je pense notamment à certains rapports du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Or une procédure de transmission a été établie et nous devons veiller à ce qu'elle soit respectée, afin que les attentes du législateur soient mieux prises en considération. Il en va de notre mission de contrôle.

D'autres rapports sont prêts et patientent sur le bureau des ministres. Celui prévu à l'article 32 de la loi ALUR par exemple, concernant le statut unique pour les établissements et services de la veille sociale, de l'hébergement et de l'accompagnement, est depuis le début de l'année 2017 en attente de transmission au Parlement.

Il nous faut donc absolument poursuivre le combat contre cette solution de facilité consistant pour le législateur à prévoir un rapport faute d'obtenir une mesure concrète dans la loi. Je vous encourage aussi à solliciter aussi régulièrement que possible le Gouvernement par des questions écrites sur la mise en oeuvre des lois que nous suivons, afin d'obtenir des réponses précises.

Pour conclure, je ne saurais trop vous recommander de prendre connaissance du bilan sectoriel détaillé : il sera mis en distribution au début du mois de juin, avant le débat en séance publique (mardi 5 juin à 16 h 15) en salle Clemenceau, comme c'est désormais la tradition. Cette année, c'est notre collègue Valérie Létard qui, en tant que présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, centralise les contributions de toutes les commissions et rédige un rapport global. Je lui souhaite beaucoup de courage pour ce travail important, un peu fastidieux, mais très utile...

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