Intervention de Joël Ruiz

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Table ronde « formation professionnelle »

Joël Ruiz, directeur général d'Agefos-PME :

M. le président nous a demandé si ce texte répondait aux enjeux. Il me semble que la politique de l'emploi est la priorité affichée par la ministre. L'objectif prioritaire du Gouvernement est d'affecter massivement des ressources pour soutenir la politique de l'emploi, et en particulier pour lutter contre le chômage de masse, notamment le chômage des jeunes. Si on n'a pas cet objectif présent à l'esprit, on ne comprend pas la réforme. Accessoirement, il s'agit aussi de soutenir les mutations économiques, dont la transition numérique.

Dès lors que l'enjeu affiché est bien la politique de l'emploi, le Gouvernement considère qu'il relève de la responsabilité première de l'État de prendre en main l'essentiel des ressources pour pouvoir conduire cette politique. Il prend cette responsabilité dans un système qui était jusqu'à présent partagé entre plusieurs acteurs : les régions, les partenaires sociaux et l'État lui-même. D'un système régulé entre ces différents acteurs, on passe à un dispositif où l'État prend la main sur l'essentiel du financement, en laissant un individu autonome gérer son CPF. Si l'on n'a pas à l'esprit cette ambition du Gouvernement, on ne comprend pas la réforme qui s'annonce.

Nous ne sommes pas le Gouvernement, il nous est donc difficile de répondre à la question sur les enjeux de la réforme, puisqu'il est le mieux placé pour le faire. En tout cas, nous avons compris que le premier angle d'attaque de cette réforme est l'insertion des jeunes et la politique d'alternance.

En effet, jusqu'à présent, il existait deux mécanismes principaux en matière d'insertion des jeunes : d'une part, le contrat de professionnalisation, dont on parle très peu et qui a été créé et administrée par les partenaires sociaux - l'Agefos-PME notamment en finance 45 000 par an - et, d'autre part, le contrat d'apprentissage, dont tout le monde parle, dont le mode d'administration est complètement différent et où le régulateur principal est la région.

Le choix fait dans ce projet de loi consiste à rapprocher les deux mécanismes, considérant que le contrat de professionnalisation représente aujourd'hui environ 40 % des flux de jeunes entrant en alternance par an, le contrat d'apprentissage concernant les 60 % restant. Le premier se développe d'une année sur l'autre de façon constante, malgré la crise, et l'autre est globalement stable depuis une dizaine d'années. Ce constat amène donc le Gouvernement à vouloir s'appuyer sur ce qui a fait le succès du contrat de professionnalisation pour l'appliquer au contrat d'apprentissage et donner à ceux des acteurs qui en avaient la charge - en l'occurrence, les branches professionnelles appuyées par les OPCA - un peu plus de responsabilités à ce titre.

Pour Agefos-PME et pour tous les OPCA, demain, l'essentiel de l'activité concernera le soutien aux politiques de branche, l'enregistrement et le financement des contrats en alternance pour les jeunes : contrat d'apprentissage de nouvelle génération et contrat de professionnalisation continué. Si l'on oublie cette ligne d'horizon, on ne comprend pas vraiment l'esprit de cette réforme.

Il y a un deuxième sujet : la mutation économique, dont la transition numérique. Selon Conseil d'orientation de l'emploi, environ 40 % des emplois seraient touchés par cette transition, à une échéance variable selon les secteurs. Il faut donc investir massivement en matière de formation pour pouvoir l'accompagner. Or, même si c'est une intention de la réforme telle que nous la comprenons, l'essentiel des ressources est bien consacré à l'emploi des jeunes et au soutien des demandeurs d'emploi à travers le financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC) et sa déclinaison en régions. En dehors de cette priorité, l'Etat prendra la main, par appels d'offres, dans des domaines qui étaient auparavant partagés entre l'Etat et les partenaires sociaux.

Le financeur que nous sommes n'intervient que peu auprès des grandes entreprises qui ne nous confient pas la gestion de leur plan de formation. En revanche, notre valeur ajoutée est importante s'agissant des TPE-PME qui n'ont pas de spécialiste de la formation à même de les aider à formaliser un projet de formation et à monter un plan de financement.

Il est clair que, du fait de la réallocation de l'essentiel des ressources vers la politique de l'emploi, les entreprises vont être appelées à financer par elles-mêmes leurs besoins de formation. Les ressources dites mutualisées vont donc fortement baisser. Par ailleurs, le Gouvernement fait le pari que l'attribution d'un compte monétisé aux individus aura un effet d'impulsion et les incitera à utiliser ce compte pour partir en formation. On peut partager l'analyse de M. Luttringer sur ce point.

Pour nous, focaliser la compréhension du texte sur le seul compte personnel de formation revient à passer à côté de l'essentiel.

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