Intervention de Jean-Marie Luttringer

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Table ronde « formation professionnelle »

Jean-Marie Luttringer, expert en droit de la formation :

Le projet de loi modifie en profondeur la définition de l'action de formation. À l'origine, dans une perspective historique, c'était l'atelier industriel et l'école, c'est-à-dire le stage, avec une unité de temps, de lieu et d'action. La formation ne pouvait avoir lieu qu'en dehors du rapport de travail, dans un lieu protégé.

On est passé du stage à l'action de formation dont la définition est beaucoup plus ouverte. La question est de savoir, aujourd'hui, de quoi la formation est le nom. L'évolution de cette notion d'action de formation pose la question de ce qui se passe en amont de l'action, de ce qui se passe dans le processus pédagogique lui-même et de ce qui se passe en aval. L'ouverture de la définition dans le projet de loi correspond à des évolutions en matière d'ingénierie et de pratiques de formation. Encore faut-il que les choses soient clairement identifiées. La question mérite donc incontestablement d'être approfondie.

En ce qui concerne la gouvernance de la formation, le choix de cette réforme, tel que je le comprends, qui résulte d'ailleurs de la réforme précédente du code du travail, est de donner à l'entreprise une marge d'initiative beaucoup plus grande dans la manière de définir sa stratégie et sa politique de formation. À l'intérieur de l'entreprise, la gouvernance de la formation relève à la fois du nouveau conseil social et économique qui prend la place du comité d'entreprise et d'un renvoi à la négociation collective d'entreprise. Cela pose un vrai problème, puisque, dans la grande majorité des entreprises, les acteurs en capacité de négocier sur ce sujet n'existent pas. Depuis une trentaine d'années, seuls 1 % ou 2 % des accords d'entreprise concernent la formation. Ce n'est donc pas un sujet qui avait pu être appréhendé par la négociation d'entreprise, ce qui ne signifie pas qu'il ne puisse pas y avoir d'autres modalités de dialogue social.

En ce qui concerne la gouvernance externe à l'entreprise, on a évoqué tout à l'heure une reprise en main par l'État. La logique des corps intermédiaires des années 1970 n'est plus tout à fait de mise. La gouvernance est assurée pour l'essentiel par l'État, à travers France Compétences, à travers la Caisse des dépôts et consignations et à travers l'Urssaf en tant que collecteur. La gouvernance par les partenaires sociaux est renvoyée aux branches principalement, ainsi qu'à l'entreprise. La régulation reviendra donc aux branches reconstruites et remusclées, avec des opérateurs techniques à leur disposition, les OPCO.

Enfin, s'agissant du CPF monétisé, on fait le pari que cette formule soit davantage compréhensible par les individus et crée les conditions de la désintermédiation entre l'offre et la demande de formation. Incontestablement, il y a là-aussi un pari sur la capacité donnée aux individus d'acheter de la formation, ce qui renvoie à l'importance de la fonction de conseil en évolution professionnelle, mais aussi - et c'est un non-dit - à l'accroissement de la contribution des ménages au financement de leur propre formation.

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