Intervention de Jean-Marie Luttringer

Commission des affaires sociales — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Table ronde « formation professionnelle »

Jean-Marie Luttringer, expert en droit de la formation :

Concernant les demandeurs d'emploi, le projet de loi contient une disposition que j'approuve pleinement : que le refus par un demandeur d'emploi d'une formation n'est pas assimilable au refus d'un travail raisonnable. Jusqu'à présent, un tel refus pouvait entraîner la suppression des allocations, ce qui est contradictoire avec l'idée même de formation. Je rappelle le théorème de Bertrand Schwartz : on ne forme pas une personne ; elle se forme si elle y trouve un intérêt. Cette disposition permettra de sortir la formation pour demandeurs d'emploi d'une approche punitive, d'une approche parking, d'une approche négative. La question, c'est celle de l'aide au choix, celle de la fonction d'accompagnement, celle de l'utilisation du compte personnel de formation.

Le CPF est un droit universel : il concerne donc les salariés, mais aussi les travailleurs non salariés, les travailleurs indépendants. On compte 28 millions de salariés, 4 millions de travailleurs non salariés, 3 millions de demandeurs d'emploi et 5 millions de fonctionnaires. L'un des fondamentaux de la politique du Président de la République et du Premier ministre, c'est de libérer l'initiative, de créer de l'appétence pour l'entreprise, de développer les microentreprises, etc. Or aujourd'hui il existe sept fonds d'assurance formation des travailleurs non salariés, gérés non pas paritairement, mais par les organisations professionnelles sur le principe de mutualisation des ressources. Les contributions sont relativement modestes. Le projet de loi prévoit que les travailleurs indépendants, les professions libérales, les chefs d'entreprise, etc. auront un compte personnel, la Caisse des Dépôts étant chargée de la collecte. Or leur contribution n'est pas de nature fiscale : c'est une contribution, qui relève du droit privé.

On veut à la fois développer l'activité et l'initiative privée, mais on traite les non salariés comme des salariés en situation de subordination qu'il faut protéger. C'est incohérent.

Le compte personnel de formation peut financer pour partie la procédure de validation des acquis de l'expérience (VAE), laquelle permet de déboucher sur une qualification reconnue sans passer par l'étape institution de formation. Or comme le souligne un rapport récent de Terra Nova, il faut libérer la VAE, qui connaît des blocages administratifs parce qu'on ne reconnaît pas à parité d'estime la compétence acquise par le travail et les compétences acquises par des formations académiques. Il faut créer les conditions d'une libération de la VAE comme modalité d'acquisition d'un titre, d'un diplôme et d'une certification grâce au compte formation.

La question de fond du développement de l'apprentissage et de la formation en alternance est d'ordre culturel, c'est la question de la parité d'estime entre la formation générale académique et les formations professionnelles en alternance. Dans Les 400 coups, de François Truffaut, tourné dans les années cinquante, la mère d'Antoine, qui a été placé par le juge pour enfants en maison de redressement, lui dit qu'il rejoindra les enfants de troupe ou, à défaut, entrera en apprentissage. De même, un PDG d'une entreprise du CAC 40 répondait récemment que ses enfants n'étaient pas allés en apprentissage parce qu'ils étaient brillants. Le projet de loi sur l'alternance et l'apprentissage aborde cette question culturelle de l'apprentissage à travers des mécanismes juridiques, financiers, mais pas à la hauteur des enjeux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion