Permettez-moi de débuter par une présentation générale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui fait partie des directions du ministère de la justice. Elle travaille, avec la direction des affaires criminelles et des grâces, à l'élaboration des textes relatifs à l'enfance délinquante et elle est également compétente, en lien avec le ministère de la santé et des solidarités et avec la direction des affaires civiles et du sceau, pour l'élaboration des textes relatifs à l'enfance à protéger. Enfance délinquante et protection de l'enfance sont les deux champs de compétence des juges des enfants. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant a confié à la PJJ le pilotage de l'ensemble de la politique judiciaire de protection de l'enfance, ce qui comprend le versant « protection » qui est extrêmement intéressant. En effet, bien que nos outils statistiques soient perfectibles, il apparaît de façon assez claire que les mineurs délinquants ont eu, le plus souvent, un antécédent de protection ou qu'ils auraient dû en avoir un. La rénovation en cours de nos systèmes d'information devrait permettre de le mettre en évidence de façon encore plus nette.
Il existe un certain nombre d'idées reçues sur la délinquance des mineurs que démentent les statistiques.
En premier lieu, la délinquance des mineurs ne connaît pas une progression exponentielle, supérieure à celle des majeurs ; les deux courbes connaissent une progression parallèle. Après un pic observé dans les années 1980, le nombre de faits de délinquance commis par les mineurs a diminué de 30 %, atteignant un point bas en 2016. La baisse a été particulièrement forte pour les atteintes aux biens, mais plus limitée, de l'ordre de 8 % à 10 %, pour les atteintes aux personnes, qui recouvrent un champ très large d'infractions, y compris de simples menaces sans violence.
Deuxièmement, nous n'observons pas de rajeunissement important des mineurs délinquants, la plupart d'entre eux ayant plus de seize ans. Toutefois, on constate parmi les mineurs incarcérés une hausse de la population plus jeune. J'y vois un lien avec la question des mineurs non accompagnés (MNA), dont la délinquance est liée à la difficulté de leurs conditions d'existence.
Les mineurs délinquants sont à 90 % des garçons, même si l'on observe une augmentation du nombre de jeunes femmes, parfois du fait d'infractions en lien avec la radicalisation, comme l'apologie du terrorisme. Je tiens à préciser que la radicalisation concerne moins d'1 % des mineurs pris en charge par la PJJ. À ce jour, il n'y a pas eu de passage à l'acte terroriste de la part d'un mineur. Un travail de recherche mené par deux chercheurs de l'université de Nanterre, Laurent Bonelli et Fabien Carrié, fait le portrait d'une partie des auteurs de ces infractions et, là encore, balaie de nombreuses idées reçues.
Il convient de souligner également que 80 % des mineurs délinquants sont déscolarisés, souvent depuis plus d'un an. Si l'on considère l'ensemble des mineurs pris en charge par la PJJ, on observe que pour la grande majorité - 65 % - les mesures alternatives prononcées (rappel à la loi, stages de citoyenneté, mesures de réparation) sont une réussite : nous ne les reverrons plus. Il convient de préciser que le taux de réponse pénale à ces délits est très élevé, de l'ordre de 93 % ; nous ne sommes donc pas loin de la tolérance zéro.
Les 35 % restants tendent à s'ancrer dans la délinquance, qui concerne particulièrement la tranche d'âge qui va de 16 à 25 ou 28 ans. Dans une maison d'arrêt comme celle de Fleury-Mérogis, 80 % des détenus ont entre 20 et 25 ans. En revanche, dans les établissements où sont exécutées les peines plus longues, la moyenne d'âge est beaucoup plus élevée, de l'ordre de 45 ans. Il s'agit de deux types de criminalité bien distincts.
J'évoquerai maintenant l'ensemble des dispositifs de prise en charge existants. La PJJ dispose d'un panel de mesures et de structures, relevant du secteur public ou du secteur associatif habilité, pour prendre en charge les jeunes en conflit avec la loi : milieu ouvert, dispositifs d'insertion, hébergement collectif ou diversifié (familles d'accueil, foyers de jeunes travailleurs, lieux de vie et d'accueil).
Au début d'un parcours de délinquance, si la famille peut soutenir le mineur, sera privilégié l'accompagnement en milieu ouvert par un éducateur de la PJJ, qui fera un rapport au juge des enfants. Si l'environnement familial est déficient, voire générateur de difficultés, le juge peut prononcer un placement et décider de mesures d'accompagnement en parallèle. Il arrive que la délinquance prenne le dessus ; dans ce cas, un volant large de mesures pénales existe en fonction de la situation du jeune, pour une prise en charge individualisée. Les principes de spécialisation de la justice des mineurs et de primauté de l'éducatif, qui sont au coeur de l'ordonnance du 2 février 1945, demeurent. Les mineurs sont des êtres en construction que l'on peut faire évoluer en mettant l'accent sur l'action éducative.
Parmi les dispositifs d'hébergement diversifié, il faut insister sur le rôle des familles d'accueil, qui sont des bénévoles indemnisés. Le bilan qui en a été tiré, en 2012, par l'inspection générale de la justice est positif et doit beaucoup à l'engagement de ces bénévoles. Ces familles sont soutenues dans leur action par des éducateurs spécialisés de la PJJ, avec un taux d'encadrement d'un éducateur pour six jeunes, ce qui permet un accompagnement régulier.
L'hébergement collectif permet de placer les jeunes dans la vie en collectivité, ce qui ne les empêche pas de continuer à suivre une activité de jour en milieu ouvert. On compte quatorze éducateurs par unité éducative d'hébergement collectif (UEHC).
Viennent ensuite les centres éducatifs renforcés (CER), caractérisés par une prise en charge intensive du jeune par une équipe nombreuse, souvent de quinze ou seize éducateurs, et un accompagnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les CER fonctionnent par sessions de trois mois et sont souvent liés à une activité spécifique : voile, marche, chantier d'insertion, etc.
Enfin, dernière marche avant l'incarcération, les centres éducatifs fermés (CEF) font l'objet d'une attention toute particulière, le dernier rapport d'évaluation a été établi, en 2015, par les inspections générales de la justice et des affaires sociales. Je vous rappelle que le projet de loi de programmation pour la justice prévoit la création de vingt nouveaux CEF. Accueillant un maximum de douze mineurs, chaque CEF compte 26,5 professionnels en équivalent temps plein (ETP), dont des cadres, des éducateurs, une infirmière, du personnel de maison. En 2012, les effectifs ont été renforcés afin de mieux répondre à la problématique des difficultés psychologiques et psychiatriques, très prégnante faute de structures de prise en charge sanitaire adaptées. Il convient de souligner que la limitation de l'accueil des jeunes majeurs dans ces centres a entraîné un recul de la diversité des publics accueillis en CEF ; ceux qui y sont placés aujourd'hui tendent à cumuler les difficultés. Les problèmes que connaissent les établissements - dont certains sont en crise - expliquent que le taux d'occupation ne dépasse pas 85 %.
Les CEF ont fait l'objet de remarques positives qui expliquent leur succès auprès des magistrats : il s'agit d'une alternative crédible à l'emprisonnement, offrant un emploi du temps individualisé, qui met l'accent sur l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. La prise en charge est organisée autour d'un phasage en trois étapes : deux mois d'accueil, deux mois d'observation et deux mois de préparation à la sortie.
Deux critiques principales sont adressées aux CEF. En premier lieu, je rappelle qu'ils ne sont pas physiquement fermés ; les centres sont certes clôturés, mais ce sont des clôtures que l'on peut franchir, si on le veut vraiment, ce qui explique d'ailleurs que l'on constate régulièrement des fugues. Le caractère fermé des CEF est donc surtout un concept juridique qui signifie que le non-respect des obligations auxquelles ces mineurs sont astreints, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, avant la condamnation, ou dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve, est sanctionné par l'incarcération. Or, la compréhension de cette notion par les jeunes concernés est très variable. Ceux qui ont été souvent placés en protection de l'enfance ont par exemple du mal à comprendre qu'ils risquent maintenant la prison. Les équipes éducatives ont parfois tendance à se replier sur elles-mêmes pour contenir les jeunes, ce qui a pu donner lieu à des incidents.
La seconde critique porte sur la sortie des jeunes, qui passent sans transition d'un dispositif très cadré à un autre qui l'est beaucoup moins, comme le retour dans leur famille ou le suivi en milieu ouvert. C'est à ce stade que le risque de réitération est élevé.
C'est pour répondre à cet enjeu que le projet de loi de programmation pour la justice a pour objectif d'intégrer les CEF dans un dispositif global de prise en charge, dans lequel le milieu ouvert demeure présent, y compris pendant la durée du placement. Il s'agit aussi de mettre en oeuvre une nouvelle stratégie d'implantation des CEF, qui doivent être situés à proximité d'un bassin d'emploi et d'un réseau de transports afin de faciliter l'accès des familles et l'insertion professionnelle. Il s'agit également d'ouvrir des possibilités d'accueil hors des CEF, pendant la durée du placement, que ce soit pour permettre des soins, par exemple en cas de crise de santé mentale, ou pour des respirations en famille d'accueil ou dans des séjours encadrés par des éducateurs. En fin de placement, l'accueil à l'extérieur du CEF peut être utile pour préparer le retour en famille ou le parcours d'insertion professionnelle. Le projet de loi de programmation contient, à cet égard, une disposition qui vise à donner une base juridique à la pratique des magistrats consistant à accorder à la famille du jeune placé en CEF un droit de visite et d'hébergement.
Enfin, le projet de loi introduit une mesure éducative d'accueil de jour, qu'il convient de distinguer des activités de jour au sens de l'ordonnance du 2 février 1945 ; il s'agit de permettre au juge de confier un jeune à la PJJ pour la journée en vue d'une prise en charge globale ; c'est un moyen terme entre le milieu ouvert et le placement. La diversification des instruments est une réponse au constat que beaucoup de placements en CEF se font dans l'urgence du défèrement, alors même que les faits ou le profil du mineur ne le justifiaient pas forcément. Cette mesure d'accueil de jour est une expérimentation sur trois ans, qui nécessite un travail pluridisciplinaire, avec notamment l'intervention d'un psychologue, pour redonner à des mineurs déscolarisés le savoir-être nécessaire pour communiquer avec les adultes, et celle d'un assistant de service social pour aider le jeune à faire valoir ses droits.
Nous travaillons en interne sur un affinement des projets de service des UEHC, qui auraient vocation à être communiqués aux juges pour enfants, afin que ces derniers puissent faire le choix de la solution la plus appropriée en toute connaissance de cause.
Je tiens à préciser que nous sommes sortis de l'idée qu'il fallait garder les jeunes le plus longtemps possible dans les dispositifs de la PJJ ; au contraire, pour faciliter leur réinsertion, il s'agit de les ramener le plus vite possible dans la société.
Faciliter la réinsertion passe également par la collaboration, que nous cherchons à développer, avec les entreprises et les associations d'insertion et avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). J'ai pu observer, dans un restaurant d'insertion en Bretagne, que les jeunes relevant de la PJJ qui y travaillaient s'y investissaient d'autant plus qu'il s'agissait d'un vrai travail, au service d'une vraie clientèle. La future plateforme des travaux d'intérêt général (Tige) va faciliter ce type de démarches. Nous poursuivons aussi un développement du mécénat, à l'occasion notamment de manifestations nationales qui ont pour objet de favoriser les rencontres entre notre public et les entreprises partenaires. Je citerai « Les parcours du goût », le concours culinaire national de la PJJ dont la dernière édition s'est déroulée à Toulouse, le mois dernier, et à la suite de laquelle un des participants s'est vu proposer un emploi chez Lenôtre.
Je citerai aussi l'opération « Rêves de gosse », réalisée en partenariat avec l'association « les chevaliers du ciel », qui organise, au cours de ses neuf étapes, des baptêmes de l'air pour des enfants handicapés, accompagnés par les jeunes de la PJJ qui sont chargés de réaliser les repas, ce qui représente un total de 250 repas par jour. Des entreprises comme Carrefour ou Pomona participent à l'opération, ce qui permet de multiplier les contacts et contribue à changer l'image des jeunes de la PJJ. Nous sommes fiers de constater que lorsque l'accroche se fait, la qualité de la relation professionnelle qui en naît est très forte.