Comme chaque année, il nous appartient de dresser le bilan de l'application des lois suivies par notre commission, qui porte sur les lois adoptées au cours des dix dernières années jusqu'au 30 septembre 2017. Sont comptabilisées, dans ce bilan, les mesures d'application prises jusqu'au 31 mars 2018.
Cette année, le bilan est moins fourni que les années précédentes en raison du faible nombre de lois - 4 - adoptées durant la session 2016-2017, du fait de la longue période de suspension des travaux parlementaires.
Sur ces 4 lois, une est d'ores et déjà totalement applicable, dans la mesure où elle était d'application directe : il s'agit de la loi du 28 décembre 2016 relative à une liaison ferroviaire entre Paris et l'aéroport Charles de Gaulle.
Les trois autres lois adoptées sont la loi du 24 octobre 2016 relative au renforcement de la sécurité de l'usage des drones civils, celle du 26 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne et celle du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public.
Ces lois nécessitaient au total 39 mesures d'application. Au 31 mars 2018, seulement 13 mesures avaient été prises, soit un taux d'application de 33 %, ce qui n'est pas satisfaisant. De plus, seulement 23 % des mesures ont été prises dans les six mois suivant la promulgation, c'est-à-dire dans le délai fixé par le Gouvernement.
Au cours de cette période, trois lois anciennes sont devenues totalement applicables : la loi du 27 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du principe de participation du public, celle du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire et celle du 2 décembre 2015 relative à diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la prévention des risques.
Cette année encore, nous constatons la lenteur de remise des divers rapports demandés au Gouvernement voire l'absence totale de remise. Sur les 57 rapports demandés au Gouvernement depuis le 1er octobre 2007 au titre de dispositions issues de loi suivies par la commission, 29 seulement ont été remis au Parlement, soit à peine plus de la moitié.
Si l'on prend l'exemple particulier de la loi « Biodiversité » promulguée en 2016, cinq des six rapports demandés par le législateur n'ont pas été remis dans le délai imparti.
Cette tendance doit nous inciter à la retenue sur les demandes de rapports, dans la mesure où le Gouvernement reste libre d'établir ces rapports lentement, voire pas du tout. Mieux vaut dans certains cas avoir recours à d'autres procédures, comme les questionnaires budgétaires, qui sont envoyés chaque année, et auxquels le Gouvernement a l'obligation, en application de l'article 49 de la LOLF, de répondre avant le 10 octobre. Il est aussi possible, pour les commissions permanentes, de demander les prérogatives d'une commission d'enquête, qui permet de demander une communication exhaustive de documents et rapports existants au Gouvernement.
Sur le plan qualitatif, j'attire votre attention sur le bon avancement de l'application de la loi Biodiversité lors de la dernière session, qui est désormais applicable à plus de 90 % pour ce qui concerne les décrets. Plusieurs textes importants ont été pris au cours de l'année écoulée : la réforme de la procédure de classement des parcs naturels régionaux est désormais pleinement applicable, l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties dans un site Natura 2000 est également applicable et les échéances d'atteinte du bon état écologique et chimique des eaux sont fixées.
Je vous rappelle que cette loi a prévu l'interdiction de l'utilisation des néonicotinoïdes à compter du 1er septembre 2018, des dérogations pouvant être accordées jusqu'au 1er juillet 2020 par arrêté, sur la base d'un bilan établi par l'ANSES sur la disponibilité des produits de substitution et une comparaison de leurs avantages et de leurs risques par rapport aux produits contenant des néonicotinoides.
À ce jour, aucun arrêté n'a été pris sur ce fondement. L'ANSES a publié un rapport intermédiaire sur les alternatives à ces produits le 5 mars dernier et une étude relative à l'impact sur la santé humaine des substances néonicotinoides. Cette étude ne met pas en évidence d'effets nocifs pour des usages respectant les conditions d'emploi fixées par les autorisations de mise sur le marché. L'agence recommande toutefois de réduire au maximum l'utilisation du thiaclopride compte tenu des dangers de cette substance. Le rapport final devrait être disponible à la fin du mois de mai. Nous organiserons, le 5 juin, dans la perspective de l'examen au Sénat du projet de loi relatif à l'alimentation, une table ronde en commission sur les produits phytosanitaires, qui permettra d'évoquer en particulier ce sujet.
Dans le domaine des transports, s'agissant de la loi du 24 octobre 2016 sur les drones civils, sur les 13 mesures d'application nécessaires, seuls 3 décrets ont été publiés, ce qui n'est pas satisfaisant.
En revanche, de nombreuses mesures d'application de la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue ont été pris, et cette loi est désormais quasiment totalement applicable (il ne manque que deux décrets d'application sur les 26 mesures réglementaires d'application prévues).
Enfin, en matière d'aménagement du territoire, s'agissant de la loi « Montagne » du 28 décembre 2016, sur les 10 mesures d'application prévues, 6 ont déjà été prises.
Je voudrais cette année en conclusion vous sensibiliser aux propositions de modification constitutionnelle formulées par le groupe de travail présidé par le Président du Sénat Gérard Larcher pour améliorer le contrôle parlementaire de l'application des lois. Parmi ses 40 propositions, le groupe a effet formulé plusieurs recommandations pour renforcer ce contrôle.
Dans l'état actuel du droit, le Conseil d'État a consacré, en tant que principe général du droit, l'obligation de prendre les mesures réglementaires d'application des lois. Saisi par toute personne intéressée, il peut sanctionner la carence de l'exécutif lorsque l'édiction des mesures réglementaires d'application d'une loi a dépassé un délai raisonnable, qui dépend des circonstances (difficultés techniques, changement de Gouvernement...) et oscille entre un et deux ans. Le juge peut enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au Gouvernement de prendre ces mesures dans un délai déterminé.
C'est ce qui vient de se passer sur deux sujets environnementaux très récemment : sur la pollution lumineuse d'abord : dans une décision du 28 mars dernier, le Conseil d'État a enjoint le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot à respecter les dispositions de la loi Grenelle II visant à lutter contre la pollution lumineuse. Il a donné au ministère un délai de neuf mois pour édicter les arrêtés nécessaires, et fixé une astreinte de 500 euros par jour à l'encontre de l'État à l'issue de cette période dans le cas où la décision ne serait pas exécutée. Sur la biodiversité ensuite : dans une décision du 9 mai, le Conseil d'État a ordonné au Gouvernement d'édicter dans un délai de six mois un décret fixant la liste des habitats naturels à protéger : ce décret aurait dû être pris à l'issue de l'adoption de la loi Grenelle II également ; cette injonction est assortie d'une astreinte de 500 euros par jour de retard.
Or jusqu'à présent, le Conseil d'État refuse de reconnaître l'intérêt à agir des parlementaires en cette seule qualité, contre le refus du pouvoir réglementaire d'édicter le décret d'application d'une loi.
Le groupe de travail du Sénat a donc proposé deux modifications constitutionnelles : il a proposé d'une part d'inscrire dans la Constitution l'obligation de prendre les mesures réglementaires d'application des lois et d'y consacrer explicitement le rôle du Parlement dans le contrôle de cette application. D'autre part, il a proposé de permettre aux présidents des deux assemblées et à 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil d'État en l'absence de publication des mesures réglementaires d'application d'une loi dans un délai raisonnable.
Ces dispositions me paraissent particulièrement intéressantes, et nous aurons à en rediscuter quand nous examinerons le projet de loi constitutionnelle, en principe au mois de septembre.
Voici les principales remarques qu'appelle cette année le bilan de l'application des lois suivies par notre commission, que vous retrouverez détaillé dans le rapport qui sera prochainement publié sous la signature de notre collègue Valérie Létard, vice-présidente en charge de ce domaine.
Le débat sur la question de l'application des lois aura lieu en séance mardi 5 juin prochain.