Intervention de Elisabeth Borne

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 16 mai 2018 à 17h00
Audition de Mme élisabeth Borne ministre auprès du ministre d'état ministre de la transition écologique et solidaire chargée des transports sur le projet de loi « nouveau pacte ferroviaire »

Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports :

ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. - Je suis très heureuse de reprendre avec vous les débats riches et constructifs que nous avons entamés lors de l'examen de votre proposition de loi. Nous partageons la même ambition : une politique des transports au service d'une société mobile, capable de s'adapter aux défis et de se rassembler autour d'objectifs et de valeurs communs, qui garantit une mobilité réelle de tous les citoyens et dans tout le territoire.

Les Assises nationales de la mobilité ont permis de dresser un état des lieux partagé, rigoureux et salué par les associations d'élus. À l'aune de ce travail, le Gouvernement s'est assigné une triple exigence dans laquelle s'inscrivent ce projet de loi et le projet de loi d'orientation des mobilités que je présenterai avant l'été. Exigence d'efficacité d'abord, pour remettre en état notre système de transport menacé par un sous-investissement chronique et insuffisamment préparé à intégrer les innovations ; exigence de justice sociale et territoriale, pour qu'aucun de nos concitoyens ne soit entravé et assigné à résidence ; exigence environnementale, avec la ferme volonté d'accélérer la transition vers une mobilité durable, plus sobre et plus propre.

Cela nécessite de tirer parti des nouvelles mobilités propres, partagées, connectées et autonomes, articulées avec un transport ferroviaire performant qui reste la colonne vertébrale de nos mobilités.

Un constat est partagé par tous, concitoyens et clients du fret ferroviaire : la dégradation de la qualité du service rendu, malgré l'engagement des cheminots, la dégradation des infrastructures liée au sous-investissement, et la dette qui menace le système ferroviaire.

Nous refusant à rester spectateurs de cet essoufflement, nous proposons à la nation un nouveau pacte pour bâtir le rail du XXIe siècle.

Comment réinventer notre politique ferroviaire pour la mettre au service de cette société mobile ? D'abord en demeurant fidèle à la grande histoire de la SNCF, faite de 80 ans d'engagement individuel et de prouesses collectives, qui a redessiné la géographie de notre pays en assurant le maillage de notre territoire ; ensuite, en lui permettant d'incarner une valeur fondamentale du service public : l'adaptabilité, pour prendre en compte les besoins des usagers ; enfin, en lui donnant les moyens d'accomplir les évolutions qui la projetteront dans le futur. Le pacte ferroviaire que nous proposons se résume ainsi à une ambition : augmenter et améliorer l'offre, pour mieux répondre aux besoins de nos concitoyens, de nos territoires et de nos entreprises.

Répondant à une inquiétude que certains d'entre vous ont exprimée lors de l'examen de la proposition de loi sur l'ouverture à la concurrence, je dis clairement que les petites lignes n'en sont pas à mes yeux : elles demeurent essentielles au lien territorial et social, ainsi qu'au développement du fret. L'État restera aux côtés des collectivités pour l'entretien de ce maillage. C'est un engagement fort, inscrit dans le marbre : 1,5 milliard d'euros seront attribués à ces lignes dans le cadre des contrats de plan. Le modèle retenu par le Gouvernement confortera la desserte des territoires par les TGV, qui ne se limite pas aux métropoles, puisqu'elle irrigue plus de 230 villes. C'est un objectif fort de la politique de mobilités que je porte.

Ce pacte repose sur un double engagement de l'État et de la SNCF. L'État s'engage en mobilisant des ressources sans précédent pour rattraper le retard d'investissement : 36 milliards d'euros, soit l'équivalent de 10 millions d'euros par jour pendant dix ans. Nous devons même aller au-delà, comme l'a indiqué le Premier ministre le 7 mai. Jamais la puissance publique n'aura consenti semblable effort. C'est le prix du rattrapage du passé, de la remise à niveau du réseau dès aujourd'hui et de l'excellence pour demain. Ce ne sont pas des chiffres abstraits, mais des améliorations concrètes du quotidien, pour que nous concitoyens bénéficient d'un réseau plus sûr et d'un service plus fiable et ponctuel.

Deuxième engagement pris par le Président de la République, la reprise progressive de la dette ferroviaire à partir de 2020, pour qu'à partir de 2022 la SNCF soit en mesure de financer ses investissements sans augmenter sa dette. Celle-ci s'élève à 46 milliards d'euros pour SNCF Réseau, pour 1,6 milliard d'intérêts annuels. Le montant des efforts supplémentaires pour la remise à niveau du réseau et les modalités de la reprise de la dette seront présentés dans les prochains jours, comme le Premier ministre l'a indiqué le 7 mai.

Il est légitime de demander à la SNCF et aux cheminots de contribuer à cet effort de redressement. Cela passera d'abord par une profonde réforme industrielle et managériale. Les dirigeants de la SNCF m'ont présenté le 15 mars leur programme de travail. Un nouveau projet d'entreprise devrait aboutir à l'été, avec pour objectif de mieux répondre aux attentes des clients, de proposer un cadre social motivant, et de mettre en oeuvre un fonctionnement plus souple, efficace, décloisonné et décentralisé.

Le Gouvernement a laissé toute sa place à la concertation, proposant au mois de février de grands axes, depuis précisés dans le texte de l'Assemblée nationale. Le premier est la transformation de l'entité, en passant de trois SNCF à une seule entreprise pleinement intégrée, dotée du statut que nos prédécesseurs lui ont donné en 1937 : celui d'une société nationale à capitaux publics. Ce changement sera le gage d'une plus grande responsabilisation. Le statut de la SNCF sera le meilleur rempart contre le risque de désendettement.

Dans le texte qui vous sera présenté, la SNCF reste une société publique à 100 %. La loi empêche toute cession de titre : l'intégralité des capitaux seront détenus par l'État. C'est la formule la plus protectrice, puisqu'elle empêche toute augmentation de capital souscrite par un autre opérateur.

Cela étant, consciente de la portée des symboles et puisque la répétition a des vertus pédagogiques, je suis favorable à l'inscription du caractère incessible du capital dans la loi, pour la SNCF ainsi que pour SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Observons enfin que le domaine public ferroviaire est par nature inaliénable. Nous sommes donc loin de la privatisation agitée par certains.

Enfin je me félicite que les députés aient voté la réunification de l'ensemble des gares au sein de SNCF Réseau, mettant fin à une situation ubuesque dans laquelle Gares & Connexions, au sein de SNCF Mobilités, gère les bâtiments et certaines installations, les quais, souterrains et certaines verrières relevant de SNCF Réseau... Cette réunification est un gage d'efficacité. Il y aura, demain, un vrai chef de gare.

Deuxième axe, l'ouverture à la concurrence, qui n'est pas une contrainte imposée de l'extérieur mais un choix validé lors du précédent quinquennat, demandé par les régions et assumé par ce gouvernement. C'est une opportunité pour la SNCF d'offrir plus de services à moindre coût. C'est aussi l'occasion de redynamiser certaines des « petites » lignes que nous évoquions, grâce à des modes d'exploitation plus innovants.

Le Gouvernement a souhaité une ouverture à la concurrence progressive et protectrice. Progressive, en permettant aux régions de l'engager au rythme qu'elles souhaitent et sur le périmètre qu'elles auront défini. Protectrice parce que des garanties importantes ont été inscrites dans le texte. En cas de transfert, les cheminots conserveront l'essentiel des garanties liées à leur statut, et bénéficieront même d'une portabilité de leurs droits en cas de mobilité volontaire vers un autre exploitant.

Au regard des principes de cohérence et d'équité, la question du recrutement au statut dans un monde ouvert à la concurrence se posait naturellement. Je connais l'attachement des cheminots à leur entreprise et aux valeurs du service public. C'est pourquoi les évolutions ne concerneront que les nouveaux recrutés à compter du 1er janvier 2020, qui bénéficieront d'un socle de droit commun à tous les salariés du secteur dans le cadre de la convention collective qui sera conclue avant cette date.

La loi garantira que tous les opérateurs assurant des services conventionnés relèveront de la convention collective du transport ferroviaire. Les négociations au sein de la branche constituent donc un enjeu fondamental, et l'État s'engage à ce qu'elles aboutissent dans les délais. Je recevrai l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) et les présidents de la SNCF vendredi pour faire le point sur l'agenda social qu'ils devront présenter au Gouvernement à la fin de la semaine prochaine.

Sans remettre en cause les principes structurants de la réforme, ce texte gagnerait à être enrichi et précisé par votre assemblée sur certains points. Votre proposition de loi sur l'ouverture à la concurrence prévoyait la possibilité pour les autorités organisatrices de reprendre la propriété des matériels roulants et des ateliers nécessaires à l'organisation des services. Dans la même logique, la loi pourra permettre de préciser que les autorités définissent, sur proposition de la SNCF, le périmètre des transferts - donnant ainsi aux régions, plus de 35 ans après les premières lois de décentralisation, les outils d'une autorité organisatrice de plein exercice ainsi que la maîtrise du périmètre et du rythme d'ouverture à la concurrence.

Le renforcement du rôle du Haut comité du système de transport ferroviaire est indispensable pour faire vivre ce lieu de dialogue ; il pourrait notamment se prononcer sur les orientations stratégiques et établir un bilan annuel de l'ouverture à la concurrence. Il convient que la loi consacre un véritable État stratège, en lui donnant en particulier la possibilité de s'appuyer sur le Comité des opérateurs du réseau pour mieux coordonner les acteurs.

Il convient aussi de renforcer la place des collectivités et des usagers, premiers intéressés au bon fonctionnement des gares, dans leur gouvernance. Je propose ainsi de préciser dans la loi que les missions de gestion des gares, d'ores et déjà réunifiées par les députés, soient concentrées dans une filiale de SNCF Réseau.

Enfin, sans attendre les ordonnances, l'organisation des missions « système » exercées jusqu'ici par l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de tête pour le compte de l'ensemble du secteur ferroviaire mérite d'être précisée. Le mieux est de confier la gestion de crise à SNCF Réseau et celle des enjeux de sûreté - avec la Suge (surveillance générale) - à la structure de tête ; et de mettre en place une instance de coordination de l'ensemble des acteurs du système en matière de sécurité, SNCF Réseau conservant ses fonctions régaliennes dans ce domaine.

Enfin, certaines dispositions ont été plus particulièrement discutées avec deux organisations syndicales qui ont accepté de s'inscrire dans une démarche constructive, dans l'intérêt des cheminots. Je les en remercie.

Deux séries de dispositions issues de ces échanges pourraient être intégrées au texte. La première série vise à maintenir l'unité sociale du groupe dans le cadre de sa nouvelle organisation. Des garanties communes à l'ensemble des cheminots, du droit à la mobilité interne à l'accès aux colonies de vacances, existent aujourd'hui. La définition d'un « périmètre ferroviaire unifié » correspondant aux activités exercées par les trois EPIC permettra ainsi la continuité de l'application du statut aux salariés actuels relevant de ce périmètre ; l'application de la convention collective du transport ferroviaire ; une représentativité syndicale consolidée au niveau du groupe ; l'organisation du dialogue social autour d'un principe de décentralisation des négociations à mettre en place par accord collectif ; et enfin le maintien d'institutions représentatives du personnel à travers un « comité du périmètre ferroviaire unifié » notamment chargé de la gestion des activités sociales et culturelles. Je ne peux qu'être favorable au maintien de cette unité sociale à laquelle les cheminots sont particulièrement attachés, d'autant qu'elle ne fait pas obstacle aux différents principes de la réforme.

La deuxième série de dispositions concerne l'ouverture à la concurrence et plus précisément les transferts de personnels. Il y aura nécessairement une part de transfert obligatoire, indispensable pour garantir la continuité du service public. C'est au demeurant la règle qui s'applique usuellement dans le transport urbain. Néanmoins, je suis attentive à la prise en compte des spécificités liées à l'attribution des premiers contrats, dans un système qui se met en place. Trois dispositions discutées avec les organisations syndicales pourraient ainsi enrichir le texte : le renforcement de la priorité au volontariat en l'élargissant à l'ensemble de la région, la proposition d'une offre alternative de reclassement à chacun des salariés qui consacre moins de la moitié de son temps de travail aux services transférés, et l'ouverture, pour une période transitoire, d'un droit d'option individuel permettant à un cheminot revenant à la SNCF de choisir entre le nouveau cadre contractuel et le statut.

Il est aussi apparu utile, dans les discussions avec les partenaires sociaux, de préciser que les allocations seront bien prises en compte dans le calcul du maintien de la garantie de la rémunération.

Je suis convaincue que les débats que nous reprenons aujourd'hui seront à nouveau riches, constructifs, à la hauteur des enjeux de cette réforme. Soyez assurés de ma détermination et de ma disponibilité.

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