Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense -. examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Mes chers collègues, je me limiterai à quelques observations générales, avant de laisser la parole aux rapporteurs délégués, que je tiens vraiment à remercier, car chacun a beaucoup auditionné et travaillé ces dernières semaines.

Notre commission attendait avec impatience cette loi de programmation militaire. Nous en avions même fixé le cahier des charges, en mai 2017, dans le fameux rapport « 2% du PIB pour la défense ». C'est donc en toute liberté, et éclairés par nos précédents travaux, que nous allons nous prononcer ce matin.

Il y a deux façons d'analyser cette loi, selon que l'on regarde le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide.

Si l'on regarde le verre à moitié plein, c'est la fin de l'érosion des moyens des armées, des régiments qui ferment, des dizaines de milliers d'emplois supprimés, la fin de décennies d'éreintement, faites de sous-investissement et de sur-engagement. C'est la remontée en puissance qui s'amorce. Inutile de dire combien elle était indispensable, comme l'a bien montré la revue stratégique. La loi affiche la volonté de réparer le passé, de préparer l'avenir, tout en améliorant les conditions de vie des soldats et des familles.

Je le dis d'emblée : c'est pour ces raisons que je vous proposerai de voter ce texte, après l'avoir amélioré par nos amendements.

Si l'on regarde le verre à moitié vide, la prise en compte des besoins des armées n'est que partielle. La crédibilité de la trajectoire est douteuse, les 2/3 de l'effort financier pesant sur le dernier tiers de la programmation, avec des marches quasi infranchissables de 3 mds d'euros de hausse par an, après 2022, au moment où il faudra aussi renouveler les sous-marins nucléaires lanceurs d'engin. La première marche a été ratée puisque 2018, entre annulations de crédits et mise sous enveloppe des OPEX, a finalement été une année « blanche ».

Ce projet de loi comporte d'autres faiblesses :

Nous n'avons pas pu obtenir le détail précis année par année des livraisons d'équipements, des répartitions détaillées des crédits d'études amont, non plus que de la remontée des taux d'entrainement anormalement bas ; le Parlement doit se contenter d'indicateurs globaux en 2025 et 2030. C'est inquiétant et surtout insuffisant pour nous permettre d'asseoir un contrôle parlementaire vigilant sur l'exécution. Car c'est à sa bonne exécution que nous jugerons in fine cette LPM ! Et le rôle du Parlement est bien évidemment essentiel en la matière.

J'ajoute que la modernisation des équipements, le comblement des lacunes capacitaires et du déficit d'entrainement ne seront que très progressifs. Les recrutements seront assez limités et concentrés sur la fin de la période. Le fameux volet « à hauteur d'homme » sur la condition du personnel, est finalement modeste, avec très peu d'effort sur des services de soutien pourtant exsangues. Il faudra donc gérer l'attente qu'aura fait naitre une communication très optimiste de la part du gouvernement sur cette LPM. Rien ne serait pire que de décevoir !

Les objectifs politiques de cette LPM sont ambitieux : garder un modèle complet d'armée, agir en autonomie, pouvoir entrer en premier, intégrer l'innovation. Leur réalisation repose toutefois sur des coopérations européennes. Or, c'est un pari ! On ne peut être que très prudent, voire inquiet. Notre partenaire traditionnel (le Royaume-Uni) est affaibli et marginalisé par le Brexit ; le partenariat avec l'Allemagne repose aujourd'hui plus sur une affirmation politique que sur une réalité, pour plusieurs raisons :

- La seule armée européenne comparable à l'armée française est celle du Royaume-Uni, par son format, par sa culture militaire de projection et d'engagement au sol, par le caractère structurant de la dissuasion nucléaire ;

- Sur le plan doctrinal et politique, l'approche allemande est très différente de la nôtre. On le voit bien avec la question cruciale des restrictions à l'exportation ; ou avec l'armement des drones ; ou encore avec nos différences de conception sur l'artillerie du futur.

Ainsi, la LPM fait le pari d'un développement franco-allemand du futur avion de combat européen, le SCAF. Quand on regarde la position allemande sur le raid en Syrie, quand on sait que cet avion devra pouvoir emporter des charges nucléaires, on a des doutes légitimes sur une coopération industrielle qui ne serait pas portée par une vision politique partagée. Bien sûr notre commission va y travailler : notre réunion franco-allemande est fixée à la rentrée parlementaire d'octobre. Mais enfin, il reste du chemin.

Nos rapporteurs vous présenteront des amendements avec 5 priorités :

- Sanctuariser les crédits de la LPM : en traçant une ligne de séparation claire d'avec le SNU ; en neutralisant le mécanisme malthusien de limitation des « restes à payer » ; en sécurisant le retour à la défense de ses recettes immobilières ;

- Prévoir un volet « logement » pour nos soldats, la LPM n'en comportant pas ;

- Affirmer le contrôle du Parlement : en renforçant les outils de suivi de l'exécution de la LPM et en raffermissant les pouvoirs de la délégation au renseignement ;

- Rendre plus agiles les processus d'acquisition pour une diffusion plus rapide et moins chère de l'innovation, de plus en plus issue du civil ; et repenser un cadre juridique parfois éloigné des besoins des forces armées et des réalités industrielles ;

- préserver les droits des pensionnés dans le contexte de la réforme du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

Maintenant, la parole est aux rapporteurs !

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