Intervention de Cédric Perrin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense -. examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Cédric PerrinCédric Perrin :

Monsieur le Président, mes chers collègues, avec Hélène Conway-Mouret, nous avons examiné ces dernières semaines les aspects de ce projet de LPM qui se rattachent au programme 146 et à l'équipement des forces.

Il faut le reconnaître, notre travail sur le texte nous conduit à la plus grande prudence, pour ne pas dire à une certaine préoccupation.

Certes, pour la première fois depuis 30 ans, les crédits de la défense vont prendre une trajectoire ascendante jusqu'en 2025. Il faut le reconnaître, et les nombreuses auditions d'industriels que nous avons menées nous ont permis de mesurer le soulagement de la BITD à l'idée d'une fin de l'érosion des moyens de la défense.

Mais enfin, nous sommes loin, malheureusement, des perspectives que le rapport de notre commission « 2% du PIB pour la défense » avaient proposées. En effet, au lieu d'une progression régulière, l'essentiel de l'effort (57 %) portera sur les années 2023 à 2025. La progression des crédits de la mission « Défense » serait en effet de 1,7 Md€ de 2019 à 2022, puis de 3 Mds€ à partir de 2023. Est-ce crédible ? On peut avoir de sérieux doutes. Mais ce sera la responsabilité du Gouvernement d'atteindre ces objectifs, ou du moins d'en avoir pris le chemin avant les élections de 2022.

Notre responsabilité à nous sera d'être très vigilants sur l'exécution de cette LPM, quelles que soient les déceptions dont elle peut aussi être porteuse, en plus des grands espoirs que des annonces ont fait naître.

Alors, concrètement, que prévoit cette LPM en matière d'équipement ? Nous prendrons naturellement la voie de la modernisation des matériels, par exemple avec le programme Scorpion ou avec la livraison des A330 MRTT. Mais l'essentiel se déroulera dans la seconde phase de la LPM après 2022, sur laquelle pèsent les plus grandes incertitudes budgétaires, comme nous le savons.

Sur le programme Scorpion, par exemple, il faut mettre en regard le fait que, d'un côté, les Griffon n'arriveront réellement qu'à partir de 2019, et les 4 premiers Jaguar ne seront livrés qu'en 2020 ; et que de l'autre côté, la plupart des VAB, dont l'usure est connue, resteront en service encore des années.

Le Gouvernement a fait une présentation habile du programme Scorpion. Mais la réalité concrète est qu'en 2025, dans le meilleur des cas, 58 % des VAB actuels seront encore en service !

A côté de ça, on trouve certaines impasses lourdes : c'est le cas des hélicoptères interarmes léger (HIL), par exemple, qui sont repoussés à la LPM suivante : on revient donc sur les annonces de mars 2017. Du coup, la Marine devra louer des hélicoptères pour remplacer les Alouettes III. La déception est là aussi pour les drones de la marine (SDAM). Pour ce qui est du drone MALE européen, il faudra attendre... 2025, la dernière année de la LPM.

Quant à la question difficile des patrouilleurs, elle n'est pas vraiment résolue, puisque ce qui est proposé est d'avancer la résorption du trou capacitaire à 2024 en outre-mer (au vu notamment de l'expérience de l'ouragan Irma) au lieu de 2030. En métropole, la réduction capacitaire ne serait comblée que dans 12 ans, en 2030...

Alors, quelle attitude adopter face à ce bilan assez mitigé du projet de loi ? Eh bien, nous avons travaillé dans trois directions, qui nous amèneront à vous présenter plusieurs amendements :

- Sécuriser, autant que faire se peut, les crédits de la défense, que ce soit dans l'impact du surcoût des OPEX (Hélène Conway-Mouret y reviendra) ou du coût des facteurs, notamment les carburants ;

- Définir des outils de contrôle et de suivi pour nous permettre, au cours de la programmation, de savoir si les promesses du Gouvernement sont en voie d'être tenues, et de pouvoir en débattre avec lui si ce n'est pas le cas. A ce titre, nous vous présenterons des amendements assez ambitieux, qui seront peut-être jugés excessifs par le Gouvernement, mais qui nous semblent important pour donner au Parlement des moyens efficaces et simples d'accéder à l'information. C'est d'autant plus important qu'en réalité tout va se jouer en 2021, au moment de l'actualisation. En effet, peu de matériels auront été livrés d'ici-là et c'est à ce moment qu'il faudra confirmer la trajectoire, et faire de cette LPM une vraie loi de remontée en puissance ;

- Commencer à défricher le lourd dossier des processus d'acquisitions, qui manquent terriblement d'agilité et parfois, de pragmatisme, que ce soit à travers de longues procédures de qualifications de matériels déjà utilisés par nos partenaires, ou au travers d'une approche très conservatrice des marchés publics de défense et de sécurité. Nous ne résoudrons pas tous les problèmes sur ce point, mais nous voulons déjà entamer la discussion avec le Gouvernement, autour d'une proposition concrète.

Avant de céder la parole à Hélène Conway-Mouret, j'évoquerai brièvement deux dispositifs prévus par le texte et qui viennent améliorer le cadre juridique de nos forces.

L'article 23 répond à une forte demande de nos militaires engagés en OPEX, en particulier au Sahel où ils sont confrontés à des ennemis mal identifiés qui mènent des actions imprévisibles et meurtrières, à l'exemple des explosions d'engins explosifs improvisés. En réponse à cette problématique, le texte de l'article 23 crée une nouvelle possibilité d'effectuer des relevés d'empreintes et des prélèvements biologiques sur des personnes « dont il existe des raisons précises et sérieuses de penser qu'elles présentent une menace pour la sécurité des forces ou des populations civiles ». Concrètement, il s'agit par exemple d'identifier des personnes se trouvant à proximité d'une explosion ou qui suivent et espionnent un convoi militaire.

Je souligne que seuls les prélèvements salivaires seront autorisés, à l'exclusion des prélèvements sanguins, et qu'en outre, les personnes concernées devront être informées des motifs et finalités de ces opérations. Enfin, d'autres garanties importantes sur un plan concret ont vocation à être intégrées aux « règles opérationnelles d'engagement » qui préciseront les cas dans lesquels il est souhaitable d'utiliser cette nouvelle faculté. Ce dispositif, très utile pour nos armées, et très attendu notamment par Barkhane, est donc bien encadré et nous vous proposons de l'adopter.

Quant à l'article 21, il permettra, par l'application des règles du SOFA OTAN, de simplifier tous les exercices bilatéraux menés sur notre territoire avec nos alliés.

Je vous remercie.

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