Intervention de Jean-Marie Bockel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense -. examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Mes chers collègues, pour la préparation et l'emploi des forces, le programme 178, si vous me permettez une formule un peu vive : la programmation qui nous est soumise est particulièrement décevante. Lorsqu'on s'intéresse au « coeur » de nos armées que sont la préparation opérationnelle des soldats et à la disponibilité des équipements qu'ils utilisent, la LPM qui nous est présentée manque, si ce n'est d'ambition, tout au moins d'objectifs précis, fixés et quantitatifs ! Je vais illustrer mon propos en me penchant rapidement sur quatre thèmes.

Le premier est évidemment l'effet de ciseaux entre les moyens de l'armée française, surutilisés depuis plusieurs années, et l'inclusion sous enveloppe des OPEX qui va accentuer encore la pression.

Évidemment, j'ai bien noté que la provision OPEX montait de 450 millions à 1,1 milliard d'euros. De même, la commission a dit qu'elle n'était pas en soi défavorable au financement sincère et entier des OPEX dès la loi de finances initiale. Mais la solidarité interministérielle qui prévalait jusqu'ici était somme toute logique s'agissant d'une décision politique du Président de la République. En outre, nous avions demandé que la sincérisation s'accompagne d'une hausse de l'enveloppe. Enfin, je m'inquiète, dans un contexte budgétaire contraint que ce choix d'intégrer à l'enveloppe budgétaire les OPEX ait été fait alors même que la LPM n'a pas prévu la remontée des contrats opérationnels à hauteur des besoins constatés.

En effet, depuis 2014, les contrats opérationnels ont été si amplement dépassés que la nécessité de leur évolution semblait s'imposer d'elle-même. Le niveau d'engagement des armées a ainsi été d'environ 30 % supérieur aux contrats opérationnels définis dans le Livre blanc de 2013.

Pourtant la LPM n'apporte que des changements modestes aux contrats opérationnels fixés en 2013, plus limités que ce que l'on pouvait espérer. Nos armées vont donc durablement rester dans ce format « juste insuffisant » que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat dénonce depuis plusieurs années.

Pourquoi un tel choix ? Pour des raisons budgétaires. Le niveau de ces contrats détermine pour le format d'armée, et notamment les équipements. La forte pression budgétaire que cela représente a eu raison de l'ambition qui aurait consisté à mettre les contrats opérationnels au niveau des besoins constatés depuis 4 ans. Ce choix peut s'expliquer, mais est-il réaliste, dans le contexte géostratégique décrit par la Revue stratégique, de ne rendre possible aucune nouvelle marge de manoeuvre d'engagement des armées, en restant à trois théâtres d'opérations, à la capacité à être nation cadre sur un seul théâtre et à être contributeur majeur au sein d'une seule coalition ? Peut-on ainsi exclure d'emblée l'ouverture de tout nouveau théâtre pendant toute la période de programmation, ou bien escompte-t-on pouvoir se désengager d'un des théâtres d'opérations ? Et si c'est le cas, lequel ?

Je tire de cette constatation deux conclusions. D'une part, la suractivité qui découle déjà du dépassement des contrats opérationnels ne devrait guère diminuer et doit nous conduire à la plus grande vigilance sur l'évolution de la disponibilité technique opérationnelle des équipements. D'autre part, nous devrons être particulièrement vigilants lors du rendez-vous d'actualisation qui nous est fixé en 2021.

Je vous présente maintenant rapidement l'esprit des amendements que je détaillerai tout à l'heure. Pour prendre en compte les éventuels dépassements des contrats opérationnels taillés « au plus juste », je vous proposerai un amendement afin que les conséquences des décisions prises lors des sommets de l'OTAN, soient prises en compte dans l'actualisation de la LPM devant intervenir avant 2021. De plus, il faudra prendre en compte les répercussions des actions de soutien de nos armées aux grands contrats d'armement, le fameux SOUTEX. La précédente LPM a été construite sur des hypothèses ambitieuses d'exportation. Pari gagné certes, mais le poids que représente le SOUTEX pour nos armées n'est pas complètement pris en compte, alors que les décalages de livraison et l'usure supplémentaire des matériels maintenus en activité est bien loin d'être négligeable.

Le lien avec la disponibilité technique opérationnelle est évident. Le projet de loi prévoit une augmentation très conséquente des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels. Plus d'un milliard d'euros supplémentaire par an par rapport à la précédente loi de programmation. Je vous présenterai un amendement pour que nous soyons mieux informés du détail de cet effort. Nous ne pouvons plus accepter le principe du « tonneau des danaïdes », avec des crédits d'EPM qui augmentent, les coûts unitaires d'entretien aussi, et à l'inverse la disponibilité technique opérationnelle des équipements qui reste en berne.

Enfin, et c'est le dernier thème que je voulais évoquer devant vous, la réserve militaire opérationnelle fait l'objet de plusieurs articles dans le présent projet de loi. Plusieurs mesures vont dans le bon sens. Il s'agit notamment de permettre aux militaires aux compétences rares qui souhaitent prendre un congé pour élever leurs jeunes enfants, de rester disponibles pour l'armée en souscrivant un engagement dans la réserve opérationnelle, de rationaliser l'articulation des différents régimes de réserve, de les rendre plus lisibles pour les employeurs, de renforcer l'attractivité en améliorant les conditions d'avancement, en augmentant la limite d'âge et en améliorant la protection sociale des réservistes.

S'agissant de la durée de la réserve opérationnelle, l'article 10 la double pour atteindre soixante jours au minimum (au lieu de trente jours actuellement). Un amendement de nos collèges députés a augmenté de 5 à 10 jours la durée de l'autorisation d'absence qu'un salarié peut opposer à son employeur pour satisfaire son engagement dans la réserve opérationnelle. Je vous proposerai 8 jours, en effet, notre commission dans son rapport de 2016 sur la « Garde nationale » (que j'ai eu le plaisir de préparer avec Gisèle Jourda) recommandait avant tout une concertation avec les organisations patronales. Nous en reparlerons tout à l'heure.

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