Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense -. examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le Président, mes chers collègues, concernant le programme 144, je m'attacherai plus particulièrement au point essentiel des études amont.

Mon appréciation à ce sujet est nuancée, puisque le projet de loi comporte un élément positif, à savoir l'augmentation des crédits d'études amont de 730 M€ par an en moyenne à 1 Md ; mais d'autre part, cette augmentation s'inscrit dans un contexte très flou, ce qui n'est pas sans conséquences.

Concernant en premier lieu cette hausse prévue de 37 %, elle est significative et elle correspond aux demandes passées de notre commission, exprimées notamment dans le rapport de l'année dernière « 2 % du PIB : les moyens de la défense nationale ». Il est vrai qu'on peut toujours se demander si, dans le même temps, l'accélération en R&T et R&D des autres pays n'est pas plus forte encore. La montée en puissance de l'effort d'armement chinois, mais aussi celui de pays comme l'Inde, la Turquie, la Corée du Sud se retrouve très directement dans la concurrence pour les marchés d'export. Or, bien évidemment, les résultats d'aujourd'hui à l'export sont le fruit des efforts d'hier (ou plutôt, en matière d'armement, d'avant-hier) en matière de recherche.

Plus près de nous, on assiste aussi à un réinvestissement très fort de l'Allemagne dans le secteur de l'armement.

Or la vitalité de notre BITD repose de façon importante sur ces crédits d'études amont. Ainsi, dans le cas de grands acteurs industriels qui sont présents dans le monde entier, comme Thalès, ces crédits contribuent de façon importante à l'attractivité de notre pays comme lieu de localisation des centres de recherche.

A l'autre bout de l'échelle industrielle, la question de l'accès des PME et ETI à ces crédits d'études amont est tout aussi cruciale. Le rapport annexé évoque ce sujet, qui fait toujours l'objet de débats entre les PME et ETI et les grands groupes. Il y a là un point de vigilance, et ce d'autant plus que l'on sait le rôle que jouent les PME et ETI dans l'innovation et la capacité à capter rapidement l'innovation duale pour l'adapter au secteur de la défense.

Une fois rappelée l'importance des crédits d'études amont, il faut tout de même bien reconnaître que le texte est assez flou. Le rapport annexé comporte ainsi des développements assez généraux sur l'innovation, mais pas d'éléments de calendrier sur le relèvement de crédits. Dans le cadre du questionnaire adressé par notre commission au ministère des armées, nous avons donc souhaité connaître la ventilation de ces crédits d'études amont, et leur évolution sur la période de programmation.

Nous avons posé la question à la mi-février, et n'avons reçu la réponse (incomplète) que fin avril !

Du moins sommes-nous en mesure de vous donner aujourd'hui le cadencement de la montée en puissance de ces études amont : de 730 M€ actuels, on passerait à 762 M€ l'an prochain, 832 M€ en 2020, 901 M€ en 2021, 1 Md€ en 2022 et 1,02 Md€ en 2023. Nous vous proposerons donc d'intégrer cette trajectoire dans le rapport annexé, afin de consolider les intentions du Gouvernement.

Quant à l'autre question qui nous intéresse, la répartition des crédits, le Gouvernement n'y a pas répondu, et ne semble pas particulièrement désireux de le faire, malgré la lettre de relance que Michel Boutant et moi-même lui avons adressée. Heureusement, il se trouve que cette information figure dans le récent rapport de la Cour des Comptes sur les coopérations européennes en matière de défense. De façon assez paradoxale, cette information que ni la DGA ni le ministère ne semble disposés à fournir aux Sénateurs, se trouve donc dans un rapport public...

On y trouve donc les principaux bénéficiaires des études amont en 2015, et on observe du reste que, selon la Cour des Comptes, le total des études amont du programme 144 s'élève, pour cette année 2015, à 852 M€, ainsi répartis : Thalès, avec 222 M€, soit un gros quart du total. Cela s'explique par la présence des équipements de Thalès dans les matériels des trois armées ; viennent ensuite Naval Group (109 M€), Safran (97 M€), Airbus (83 M€) et l'addition des établissements publics (CEA et CNES) avec 70 M€.

Dassault a reçu 59 M€ et MBDA 34 M€, ce qui est sans doute moins que ce que l'on aurait pu imaginer vu les enjeux technologiques associés à l'activité missilière.

Naturellement, on ne peut que remarquer la situation des entreprises de l'armement terrestre : Nexter ne reçoit que 13 M€ et Renault Trucks Defense... 4 M€, soit 17 M€ pour les deux principaux fabricants de matériels roulant, d'artillerie et de munitions terrestres. Cette disproportion au détriment du terrestre peut s'expliquer, naturellement, par le contenu technologique des différents matériels. Mais elle reste assez spectaculaire.

Sur la base de ces informations pour 2015, nous allons naturellement, dans les mois qui viennent et au cours de l'exécution, suivre cette question de près.

Comme pour les autres programmes, tout se jouera, pour le 144, dans l'exécution, c'est-à-dire finalement dans les lois de finances successives. Il nous faudra être mobilisés et vigilants dès cet automne.

Je vous remercie.

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