Mon propos ne sera pas technique, mais j'interviendrai, fort de mon expérience d'éditeur d'un hebdomadaire sans publicité et reposant exclusivement sur les ventes en kiosque et les abonnements. Comme mes confrères, Madame Benbunan m'a prévenu par courriel du prélèvement unilatéral de 25 % de nos recettes du mois de décembre et 20 % de celles du mois de janvier, afin de faire face à la mauvaise situation de Presstalis. Ces sommes devraient être remboursées en juin prochain, et non en avril comme initialement prévu. Je doute néanmoins de la capacité de remboursement de cette institution. Par la suite, nous n'avons obtenu que quatorze jours pour nous prononcer sur un plan dont nous ne connaissions ni les tenants et les aboutissants, à l'exception de l'annonce d'un prélèvement de 2,25 % de notre chiffre d'affaires initialement jusqu'à 2022, puis à 2023 en vertu d'une décision du Tribunal de commerce, et désormais à 2033. L'État devra également être remboursé. Le renflouement de Presstalis est évidemment nécessaire ; aucun éditeur ne pouvant, à lui seul, assurer la distribution de ses publications. Je n'ai pas signé cet accord, faute de disposer des informations sur l'utilisation de ces montants. Force est donc de constater que le système d'information régissant l'information relève de la désinformation.
J'ai publié dans mon magazine « Le 1 » l'enquête consacrée par Philippe Kieffer à la situation de Presstalis, dont les fonds propres sont répartis à hauteur d'environ 300 millions d'euros. Vendre du papier, tout en déployant des infrastructures numériques, s'est avéré une démarche contre-productive qui a dû être abandonnée. L'affacturage, prévu dans les règlements de Presstalis, semble avoir donné lieu à une sorte de cavalerie financière. Les dirigeants de Presstalis ont refusé d'être entendus dans le cadre de notre enquête ! Au-delà de sa dimension technique, sur laquelle vous avez été dument informés, cette affaire pourrait conduire à la disparition de la presse indépendante en France.
La presse indépendante est aujourd'hui marginalisée. Désormais, quelques grands industriels possèdent les grands journaux et les chaînes de télévision. Or, la presse qu'ils détiennent perçoit l'essentiel des aides publiques. Ces grands industriels partagent l'idée que le numérique est voué à remplacer la presse papier et n'investissent par conséquent plus dans cette filière. Guy Debord avait, en son temps, annoncé que le vrai devait devenir un moment du faux. Nous y sommes désormais ! La crise de Presstalis met en danger les titres susceptibles de représenter le deuxième souffle de la presse et de l'information.
Dans ces grands journaux, les journalistes ne sont pas aimés et sont astreints à exprimer la pensée des industriels dont ils ne sont que les salariés. Les administrateurs de Presstalis et les grands éditeurs présentent également une forme d'entre soi. D'ailleurs, ce que ces industriels font peser sur le système représente davantage que leur contribution. Au final, ces centaines de petits éditeurs se voient appliquer des barèmes sans commune mesure avec ceux dont bénéficient les grands industriels. Ce système est relativement opaque : le montant des prestations hors-barème recréditées sur les comptes des grands éditeurs n'est jamais rendu public.
Ce système à deux vitesses est d'autant plus sclérosé qu'il repose sur un duopole formé par Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) ; cette société est à priori mieux gérée, mais ses zones de distribution et de dépôt demeurent dépendantes de Presstalis. Ainsi, un éditeur qui souhaite dénoncer son engagement auprès de Presstalis pour travailler avec les MLP, se voit imposer un délai de transition, trop long, fixé à 15 mois. Pour des journaux dépendants de la distribution en kiosque, le prélèvement pérenne de 2,25 % constitue un frein aux initiatives. Je n'aurais pas lancé, avec François Busnel, la revue America, si le plan Presstalis avait été appliqué. Or, cette revue trimestrielle, placée dans le réseau presse à côté du réseau librairie, fonctionne aujourd'hui très bien. L'assurance-vie des éditeurs de notre dimension reste l'innovation et nous priver des moyens d'innover ne peut qu'entraîner notre perte. Enfin, une banque, comme la Banque publique d'investissement (BPI), n'accordera jamais de prêt à taux modéré à des revues comme les miennes. Comment désormais financer une presse indépendante ?