Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 17 mai 2018 à 14h30
Comment repenser la politique familiale en france — Débat organisé à la demande du groupe la république en marche

Agnès Buzyn :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chère Patricia Schillinger, je vous remercie de me donner aujourd’hui l’occasion de débattre avec vous de la politique familiale, de ses objectifs et de son sens.

Madame la sénatrice, vous avez brossé un tableau très complet de la politique familiale. Nous voyons qu’elle a beaucoup évolué au cours du temps. Elle n’est heureusement pas restée figée, tandis que s’opéraient des changements majeurs dans les conceptions de la famille et dans les réalités que ce terme recouvre.

Mais vous avez raison : on peut, on doit aller plus loin. C’est la raison pour laquelle je vous livrerai brièvement ici mes priorités. Je répondrai ensuite aux questions sur des points plus particuliers qui suscitent votre intérêt.

La politique familiale est tout à la fois l’un des piliers majeurs de la sécurité sociale, donc un lieu de démocratie sociale via la branche famille, un levier puissant de redistribution au service de la réduction des inégalités de revenus et de conditions d’existence et un vecteur essentiel pour aider toutes les familles à concilier engagement dans la vie professionnelle et vie familiale.

Je tiens à l’ensemble de ces objectifs, et il me semble que c’est justement dans leur correcte articulation que se trouve l’originalité de la politique familiale française. Si je suis donc d’accord avec vous, madame la sénatrice, pour dire qu’il faut repenser la politique familiale, je suis également attachée à ses équilibres et je ne prône pas de bouleversement majeur.

Plusieurs chantiers mobiliseront en revanche toute mon attention et mes ambitions : le soutien à la parentalité, la promotion de l’intérêt de l’enfant et un meilleur accompagnement des familles au moment des situations de rupture.

La parentalité, tout d’abord, est le parent pauvre – si je puis dire ! – de la politique familiale aujourd’hui. Or, de plus en plus, les familles ont besoin d’être soutenues et épaulées. Les prestations monétaires, la garde des enfants sont des éléments essentiels, bien sûr, mais il faut aussi des lieux de médiation où échanger sur la fonction parentale, trouver des conseils, exposer ses difficultés sans être jugé. Je ne vous parlerai pas ici de la « maison verte » de Françoise Dolto, mais disons que l’idée est tout simplement de développer ces sortes de lieux qui nous aident à vivre ensemble, parents et enfants, alors que ce n’est pas toujours un long fleuve tranquille…

Les crèches peuvent et doivent aussi jouer ce rôle. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé, dans le cadre de la future convention avec la branche famille, de permettre aux personnels des établissements d’accueil du jeune enfant de prendre davantage de temps pour accueillir les parents et échanger avec eux.

C’est aussi le rôle des services de la protection maternelle et infantile, la PMI, et je souhaite qu’ils puissent le tenir davantage, en se rendant au domicile des personnes les plus fragiles pour les accompagner dès les premiers jours de l’arrivée d’un enfant à la maison, moment crucial pour l’avenir.

Je vais me pencher, avec l’Association des départements de France, sur les missions des services de la PMI et sur les moyens à leur donner pour mieux appuyer concrètement les familles, y compris en allégeant certaines de leurs tâches qui me paraissent aujourd’hui moins utiles.

S’agissant ensuite de l’intérêt de l’enfant, vous le savez, mon périmètre ministériel comporte la protection de l’enfance en général et l’aide sociale à l’enfance en particulier. Je ne parlerai pas de ce dernier sujet aujourd’hui, mais, sur le premier, il y a sans doute des questions à se poser en ce qui concerne la politique familiale. Celle-ci s’est construite autour d’un objectif louable, qui fait encore aujourd’hui consensus : le soutien à la natalité.

Le soutien à la natalité s’intéresse avant tout aux adultes, à leurs contraintes, à leurs soucis, à leurs conditions matérielles d’existence. C’est bien naturel et c’est indispensable, mais l’enfant ? Bien sûr, en aidant les parents, on aide les enfants, indirectement mais nécessairement ; pour autant, on ne les aide pas « exactement » et pas toujours comme il le faudrait. L’enfant a des besoins propres qu’il faut protéger en tant que tels, auxquels il faut accorder une place. Là encore, je citerai brièvement une référence importante pour moi, Janusz Korczak, que vous connaissez sans doute tous. Il disait qu’il faut se mettre à la hauteur des enfants, c’est-à-dire non pas se baisser, mais s’élever jusqu’à eux, s’étirer, et ce dans un but bien précis : pour ne pas les blesser. Je trouve que ce mot est très juste. Alors je serai attentive à tout ce qui peut blesser les enfants et je chercherai, a contrario, à développer ce qui est propre à répondre à leurs besoins fondamentaux : jouer, partir en vacances, apprendre, découvrir.

C’est la raison pour laquelle la prochaine convention avec la branche famille et la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté seront fondées sur des axes permettant de porter une attention particulière à ces sujets à travers le soutien à l’apprentissage précoce du langage en crèche et aux activités extrascolaires, le financement de projets pour les adolescents, par exemple développer une activité de quartier ou soutenir une association par un travail collectif. Ces projets sont parfois minuscules à notre échelle, mais ils ont du sens, parce qu’ils permettent à tous les enfants de s’émanciper, de trouver une place propre, d’agir.

Il y a aussi des sujets plus difficiles, notamment celui des violences faites aux enfants, de leur repérage, de leur prévention par tous les acteurs : ceux de la petite enfance, de la santé et de l’éducation nationale. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire en termes de formation, de levée de certains tabous, de travail en réseau pour mieux protéger et éviter le pire.

Je recevrai prochainement les conclusions d’un important rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur les violences faites aux enfants et j’ai demandé que cette inspection puisse se pencher sur les moyens de développer la prévention en matière de protection de l’enfance.

Je terminerai mon propos en évoquant la question des ruptures et de leur accompagnement.

Vous l’avez dit, madame la sénatrice, notre politique familiale représente des dépenses importantes et remplit correctement ses objectifs. Elle soutient les familles et nous permet un niveau de natalité élevé. Mais je souhaite ouvrir un chantier : celui de l’amélioration de l’accompagnement des familles au moment des ruptures.

Ces ruptures, nous les connaissons bien : il s’agit du divorce, de la maladie, du décès d’un parent ou encore de l’annonce du handicap d’un enfant. Dans ces moments, la cellule familiale a besoin d’un soutien fort, adapté à ses besoins, rapide. Il faut favoriser la résilience, l’adaptation à ce qui arrive, et aller de l’avant. Il faut des guichets réactifs et souples, un travail en réseau, des aides versées en urgence, des services adaptés.

Tout cela, notre système ne le permet pas suffisamment. Ses maux sont bien connus : cloisonnement, démarches inutiles, contrôles superflus. Rien ne les justifie, ni la lutte contre la fraude ni le souci légitime de s’assurer du juste droit. Il s’agit d’un défaut de nos organisations et souvent d’une conception encore assez paternaliste de la solidarité.

Je rends ici hommage à la Caisse nationale des allocations familiales pour l’efficacité de ses agents, leur souci de proximité, mais je souhaite que nous allions plus loin via l’allégement des démarches, le développement des téléprocédures, l’information sur les droits et l’établissement d’une relation de confiance avec celui qui demande. Ces chantiers seront inscrits dans la future convention d’objectifs et de gestion. Cela permettra le redéploiement des énergies et des crédits au service de ce qui compte vraiment.

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