Intervention de Richard Yung

Réunion du 17 mai 2018 à 14h30
La politique de concurrence dans une économie mondialisée — Débat organisé à la demande du groupe la république en marche

Photo de Richard YungRichard Yung :

Les économistes, disais-je, ont mis en lumière les vertus de la concurrence, outil essentiel au bon fonctionnement d’une économie, en ce qu’elle génère une baisse des prix, améliore la qualité des produits et stimule l’innovation. Nous savons bien sûr que ce sont des modèles théoriques et que, dans la pratique, les choses ne se passent pas tout à fait comme cela.

Au sein d’une économie mondialisée, la concurrence entre les entreprises de différents pays est rendue possible grâce au libre-échange, qui permet de baisser les barrières de l’échange, les obstacles non tarifaires, les normes, par exemple en matière de santé, de sécurité, mais aussi la propriété intellectuelle. Il permet en théorie aux pays de se spécialiser en fonction de leur productivité – c’est ce que l’on appelle l’avantage comparatif – et aux consommateurs d’avoir accès à un large éventail de biens et de services.

Le libre-échange a pourtant bien peiné à s’imposer. Après plusieurs siècles de protectionnisme, il a fallu attendre véritablement la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les freins au commerce international soient réduits, à l’exception notable du Zollverein, qui a permis l’unification de l’Allemagne au travers de son unification douanière.

La France elle-même a toujours eu un problème avec la mondialisation, considérée souvent comme négative ou dangereuse. Au contraire, les Pays-Bas, par exemple, ont constamment fait du commerce extérieur le principal moteur de leur développement économique.

La mondialisation telle que nous la connaissons aujourd’hui a engendré des géants économiques qui opèrent sur les différents marchés du monde. La position dominante de ces multinationales constitue un réel avantage, dont celles-ci abusent d’ailleurs trop souvent afin de restreindre l’accès au marché d’autres concurrents.

Le rôle d’une autorité de la concurrence efficace doit être de sanctionner ces pratiques. C’est ce que fait l’autorité de la concurrence française, qui a notamment réussi dans le domaine de l’internet mobile en 2012.

Sur le plan européen, la pratique de la commissaire européenne à la concurrence mérite notre considération, puisque celle-ci a prononcé l’une des peines les plus lourdes en matière d’abus de position dominante, avec une amende de 2, 4 milliards d’euros infligée à Google il y a à peine un an.

Malgré ces avancées, force est de constater que la situation demeure critique. Nous avons encore de grands progrès à réaliser, même si, avec le développement de l’OMC, nous espérions une régulation des flux commerciaux internationaux, un accès des pays les plus pauvres aux marchés et la résolution de différends. La pratique est plus décevante.

La planification fiscale est pratiquée par certains États ; nous en connaissons un certain nombre en Europe qui ont recours au dumping fiscal, afin d’attirer des entreprises sur leur sol. Cette politique peu morale, bien que la morale n’ait pas grand-chose à faire avec ces questions, et ce traitement de faveur s’appuient sur des failles juridiques et posent un double problème : la difficile émergence d’acteurs européens compétitifs et, bien sûr, le manque à gagner pour les États.

Nous devons aussi nous pencher sur les subventions étatiques non déclarées. Je pense à la Chine, dont les producteurs d’acier et d’aluminium tirent avantage de larges aides publiques ; sur ce point, Donald Trump n’a pas tout à fait tort. Ceux-ci ne sont en outre pas soumis aux mêmes contraintes en matière d’émission de CO2 que leurs concurrents européens. Même si elle peut entraîner une baisse des prix pour le consommateur, cette concurrence déloyale ne peut avoir que des effets négatifs sur le long terme.

La situation est difficile entre l’Union européenne et ses plus proches partenaires, à savoir les États-Unis et la Chine, dans le domaine de l’accès aux marchés publics. Nous avons bien des difficultés à accéder aux marchés publics américains et plus encore chinois, alors que nos marchés publics sont largement ouverts.

Doit-on considérer que les secteurs d’une économie nationale, y compris ceux qui présentent un intérêt stratégique particulier, doivent être ouverts sans discrimination à la concurrence étrangère ? Nos partenaires chinois et américains ont adopté un certain nombre de mesures restrictives. L’Allemagne et la France demandent depuis trois ans à l’Union européenne de prendre des mesures en la matière, mais ce n’est pas encore chose faite.

La France joue un rôle actif. Nous l’avons fait pour la directive sur les travailleurs détachés. Nous le faisons en essayant d’instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires des géants du numérique, qui devrait rapporter entre 3 milliards et 5 milliards d’euros, mais celle-ci est difficile à mettre en œuvre.

Concernant la préservation de nos intérêts stratégiques, l’extension du décret dit « Montebourg » constitue également une avancée positive. Prévue dans le cadre du futur Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, le projet de loi PACTE, elle obligera les investisseurs étrangers à obtenir une autorisation de Bercy pour investir en France dans des secteurs comme l’intelligence artificielle, le domaine spatial, le stockage de données, les technologies les plus modernes.

Enfin, je citerai le Buy European Act, l’équivalent du Buy Americain Act pratiqué aux États-Unis, qui figurait dans le programme d’Emmanuel Macron.

Vous l’avez compris, mes chers collègues, beaucoup a été réalisé en peu de temps afin que notre politique de concurrence soit refondée. Le Gouvernement a montré sa volonté de faire évoluer la situation au niveau national et international, mais force est de constater que beaucoup d’obstacles se dressent sur notre route. La question se pose désormais de savoir comment surmonter ceux-ci pour atteindre notre objectif d’un modèle de concurrence équitable et durable.

C’est, je l’espère, ce que nous permettra de clarifier le débat de cet après-midi.

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