Intervention de Delphine Gény-Stephann

Réunion du 17 mai 2018 à 14h30
La politique de concurrence dans une économie mondialisée — Débat organisé à la demande du groupe la république en marche

Delphine Gény-Stephann :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Richard Yung, je suis très heureuse d’être aujourd’hui avec vous pour débattre d’un sujet qui est au centre de nos réflexions économiques : la politique de la concurrence, notamment son évolution dans le contexte de la mondialisation de notre économie.

La concurrence est une caractéristique intrinsèque de nos économies de marché : sans concurrence, pas de nouveaux entrants, pas de nouveaux produits, pas de mécanisme efficient de formation du prix. Sans concurrence, c’est la logique de la rente qui s’installe.

La politique de concurrence ne bénéficie pas seulement au consommateur : quand elle est bien utilisée, elle permet de faire progresser l’économie dans son ensemble, en faisant respecter l’ordre public économique.

Comme vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur, ce débat a passionné plusieurs générations d’économistes, et il prend un relief nouveau avec la construction européenne et l’approfondissement du marché intérieur, avec l’irruption de la mondialisation comme fait économique majeur ces dernières décennies et, très récemment, avec certaines décisions d’un grand partenaire commercial de la France.

Permettez-moi de commencer par cette actualité récente. Le 8 mars dernier, le président Donald Trump a annoncé la mise en place de droits de douane additionnels sur les importations américaines d’acier et d’aluminium pour des motifs de protection de la sécurité nationale.

L’effet de ces mesures va essentiellement se faire sentir sur les alliés des États-Unis, qui sont les principaux fournisseurs de ce pays dans ces deux secteurs : l’Union européenne, mais aussi le Brésil, le Canada, l’Argentine, le Mexique ou la Corée.

L’Union européenne a instantanément fait valoir une position ferme, par la voix de la Commission, avec le plein soutien de la France et, unanimement, de tous les États membres.

Certes, nous savons que des surcapacités existent dans ces secteurs, mais nous n’en sommes pas l’origine. En outre, l’Europe est un allié des États-Unis et non une menace pour leur sécurité. En tout état de cause, des mesures unilatérales prises par un État en contradiction avec les règles de l’OMC ne sont pas une solution à un problème d’ordre structurel.

L’administration Trump a accepté une exemption temporaire de plusieurs États, dont l’Union européenne, qui a été renouvelée le 30 avril, jusqu’au 1er juin prochain. Néanmoins, l’Union européenne reste ferme et demande aux États-Unis une exemption permanente et inconditionnelle des mesures sur l’acier et l’aluminium, car nous refuserons, bien sûr, toute négociation commerciale sous la menace.

Parallèlement, nous nous sommes mis en capacité de répondre, conformément au droit de l’OMC, aux mesures qui seraient éventuellement mises en œuvre par les États-Unis, à la fois par la saisine de l’organe de règlement des différends à l’OMC, la mise en place de mesures de sauvegarde pour protéger l’industrie européenne de l’acier et des mesures de compensation sur des produits américains ciblés.

Enfin, et c’est très important, nous restons ouverts à un dialogue avec les États-Unis sur le futur de l’OMC et sur un renforcement des règles de concurrence mondiale, en particulier sur le contrôle des subventions industrielles. Voilà une illustration concrète, qui continue de fortement mobiliser le Gouvernement, des enjeux mondiaux de la concurrence dans le commerce international.

Plus généralement, la France considère que les règles du commerce mondial, telles qu’elles résultent des accords fondateurs de l’OMC datant de 1994, ne répondent que partiellement à la situation d’aujourd’hui. Le fait que certains membres de l’OMC continuent de développer des politiques industrielles reposant sur des systèmes de subventions massives et d’avantages considérables donnés à leurs entreprises nationales constitue bien sûr l’un des principaux défis posés à la compétitivité de nos entreprises et de nos économies.

Nos entreprises ne luttent pas toujours à armes égales. Il est donc nécessaire de lutter collectivement contre les surcapacités et de discipliner bien davantage, au niveau multilatéral, les pratiques de subventions massives développées et amplifiées ces dernières années par certains États.

Les surcapacités concernent potentiellement de très nombreux secteurs, y compris des secteurs de haute technologie industrielle, comme les batteries automobiles.

Le cadre multilatéral est alors indispensable. Le renforcement des disciplines multilatérales dans le cadre de l’OMC est un enjeu prioritaire sur lequel l’Union européenne, les États-Unis, mais également les puissances émergentes et les pays en développement doivent travailler ensemble.

Par ailleurs, la construction d’une « Europe qui protège », voulue par la France, appelle des instruments européens robustes en matière commerciale, car l’Union européenne doit non seulement contribuer au renforcement des règles multilatérales, mais également renforcer ses propres instruments dédiés à la protection de ses intérêts légitimes, dans le strict respect des règles de l’OMC.

Or nous avançons : l’Union européenne vient d’adopter une réforme de ses instruments de défense commerciale, dont les deux principaux piliers sont en train d’entrer en vigueur. La nouvelle méthode antidumping de l’Union nous permettra de maintenir des instruments de protection justes et proportionnés, mais parfaitement efficaces pour contrer les pratiques commerciales déloyales. De plus, l’Union s’apprête à publier une réforme de « modernisation des instruments de défense commerciale », qui permettra de renforcer l’arsenal de défense européen. Ce dernier sera rendu plus efficace, plus réactif et plus transparent.

D’autres projets méritent d’être signalés pour rétablir des conditions de concurrence équilibrées : le règlement sur l’examen des investissements étrangers en Europe, le règlement relatif à la mise en place d’un instrument de réciprocité dans les marchés publics et l’instauration d’un « procureur » commercial européen.

Toutefois, notre politique de la concurrence ne doit pas seulement se contenter de s’adapter à la mondialisation. Elle doit aussi répondre aux nouveaux défis que représentent les acteurs du numérique.

Vous avez mentionné, monsieur Yung, le cas emblématique des GAFA. Ces nouveaux acteurs, tout en ayant pu stimuler la concurrence et répondre aux attentes des consommateurs, requièrent de nouvelles approches. Nous avons appelé de nos vœux une initiative européenne pour tenir compte de cette économie des plateformes.

D’une part, le marché unique numérique reste, à ce stade, dominé par des acteurs extraeuropéens, ce qui implique que l’Europe doit résolument adopter une stratégie offensive afin de permettre l’émergence d’acteurs européens leaders. D’autre part, sur certains marchés de plateformes B to B, l’existence de dysfonctionnements majeurs fortement préjudiciables à l’efficacité des marchés concernés a été mise à jour.

Dans ce contexte, il importe d’appréhender au mieux les relations contractuelles entre acteurs économiques du numérique, notamment pour protéger les PME face aux incontournables mastodontes du marché.

Notre droit français des pratiques restrictives de concurrence est en pointe pour appréhender certaines pratiques des acteurs du numérique, à l’instar de celles de la grande distribution. Sur ce fondement ont été condamnées les sociétés Booking et Expedia, pour des pratiques déloyales à l’encontre des hôteliers français. Nous avons assigné, avec Bruno Le Maire, Amazon, Google et Apple pour pratiques commerciales déloyales liées au fonctionnement des places de marché ou aux magasins d’applications.

Nous plaidons pour que l’Union européenne se dote, elle aussi, d’un cadre juridique adapté. Il faut saluer l’initiative de la Commission européenne de proposer un règlement européen qui mettrait en place un encadrement renforcé des plateformes numériques en Europe.

Par ailleurs, vous le savez, la France porte avec beaucoup d’énergie le débat sur la fiscalité, qui est bien évidemment un enjeu majeur de régulation de l’activité des GAFA.

Les géants du numérique paient peu ou pas d’impôts dans la plupart des États où ils déploient leur activité et réalisent des bénéfices. Cette situation pose un problème d’équité et mine le fonctionnement du marché intérieur. À cet égard, la proposition de la Commission de taxe sur les services du numérique a permis d’engager la discussion très concrètement avec nos partenaires européens.

Ces deux exemples montrent combien nous sommes actifs, nous réfléchissons, nous nous adaptons, nous travaillons, pour que notre politique de concurrence soit pleinement ancrée dans l’actualité et dans les enjeux d’aujourd’hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous les points spécifiques que vous voudrez aborder.

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