Au cours de la dernière décennie, des réformes du marché du travail sont intervenues dans la quasi-totalité des pays membres de l'Union européenne. Le bureau de notre commission a inscrit l'année dernière à son programme de travail un déplacement en Italie sur ce sujet. Après quelques péripéties, liées notamment aux anticipations sur le calendrier des élections générales italiennes, ce déplacement est intervenu du 18 au 21 septembre dernier. La délégation était composée de nos collègues Jean-Marc Gabouty, Patricia Morhet-Richaud, qui ne sont plus membres de notre commission depuis le 1er octobre dernier, et de Catherine Génisson, dont le mandat n'a pas été renouvelé. C'est donc seul que je procède au compte rendu de cette mission.
Son objectif était, deux ans après les réformes du Job's Act de Matteo Renzi, de recueillir les éléments d'un premier bilan. Nous avons, pour ce faire, rencontré des acteurs institutionnels (ministère du travail, Agence nationale pour les politiques actives, Institut national pour la prévoyance sociale, Banque d'Italie), les partenaires sociaux (CGIL, CISL et UIL pour les salariés et Confindustria pour les employeurs), le président de la commission des affaires sociales du Sénat et ancien ministre Maurizio Sacconi, un professeur de droit du travail, Michele Tiraboschi et des représentants d'entreprises.
Pour situer le Job's act dans le contexte économique italien, je ferai quelques brefs rappels. La croissance italienne reste convalescente. La crise de 2008 a fortement affecté l'Italie qui a connu une double récession : son PIB s'est contracté de 9 % entre 2008 et 2014, contre une moyenne de 1,7 % en zone euro. D'après les prévisions de la commission européenne du 3 mai dernier, l'Italie devrait encore connaître en 2018 et 2019 la croissance la plus faible de la zone euro avec 1,5 % et 1,2 % de croissance du PIB contre 2,3 % puis 2 % pour la zone euro. L'Italie est entrée en crise avec des finances publiques dégradées : si le déficit public est moins important que celui de la France avec une prévision de - 1,7 % pour 2018, il ne suffit pas à engager une décrue significative de la dette qui s'élève à 132 % du PIB. Cette situation a clairement limité la capacité du pays à mobiliser des marges de manoeuvre pour faire face à la situation de l'emploi.
Celle-ci se caractérisait, au moment de l'introduction du Job's act, par un taux de chômage important, de 12,7 % de la population active ; un taux de chômage des jeunes parmi les plus importants d'Europe, de 42,7 % ; de fortes disparités régionales : le Nord du pays affiche de meilleures performances que l'Allemagne, tandis que le Sud est plus proche des statistiques roumaines ou bulgares ; une très forte dualité du marché du travail avec, comme en France, une part très majoritaire des embauches en CDD (86 %). S'y ajoutait une dégradation de la productivité avec des coûts salariaux dynamiques malgré un taux de chômage élevé.
Traditionnellement, les amortisseurs sociaux étaient faibles. L'assurance chômage de droit commun ne couvrait, jusqu'en 2012, qu'environ 30 % des salariés relevant des grandes conventions collectives. Pour en bénéficier, il fallait être inscrit au système d'assurance chômage depuis au moins deux ans et avoir cotisé au moins 12 mois. La durée d'indemnisation était de 8 mois pour les moins de 50 ans et de 12 mois pour les plus de 50 ans.
Dans ce contexte, qu'est-ce que le Job's act ? J'évoquais en introduction les réformes du marché du travail à la fois parce que le Job's act désigne un ensemble de mesures prises tout au long de l'année 2015 en application de la loi d'habilitation du 10 décembre 2014 mais aussi parce que ces mesures s'inscrivent dans un mouvement de réformes plus vastes depuis la loi Fornero de 2012 visant à flexibiliser le marché du travail. A la suite du départ de Matteo Renzi, ces réformes ont été poursuivies par le Gouvernement de Paolo Gentiloni avec une conservation de son portefeuille par le ministre du travail, Giuliano Poletti.
Les huit décrets d'application de la loi de décembre 2014 comportent quatre volets principaux : la suppression pour l'avenir de l'article 18 du statut des travailleurs qui permettait une réintégration en cas de licenciement abusif a fait place à une obligation d'indemnisation plafonnée ; le droit à réintégration subsiste en cas de licenciement discriminatoire. Des outils de flexibilité ont été mis en place, dont le CDI à protection croissante ; la négociation collective a été décentralisée pour partie ; l'assurance chômage a été profondément réformée.
Avant d'apporter quelques précisions sur le contenu, je voudrais souligner la dimension « psychologique » de la réforme. Avec son intitulé anglais et sa référence explicite aux mesures prises par le président Obama, la réforme se voulait un signal à usage intérieur autant qu'extérieur de la capacité de l'Italie à se réformer. Ces réformes se sont faites sans négociation avec les syndicats et ont été revendiquées comme telles. Tout en mécontentant les syndicats qui ont privilégié des recours juridiques, elles n'ont cependant pas suscité de mouvements sociaux majeurs. Je dois dire que, de ce point de vue, l'objectif a été atteint, le déplacement de notre commission apportant un nouveau témoignage de l'intérêt suscité par ces réformes.
J'évoquerai très sommairement le contenu des mesures. La mesure emblématique du job's act, le CDI à protection croissante, est de fait une réforme du droit du licenciement, un nouveau contrat de travail facilitant le licenciement des salariés embauchés après le 7 mars 2015 au cours des trois premières années suivant l'embauche, les indemnités de licenciement croissant avec l'ancienneté du salarié.
En cas de licenciement injustifié, il a été mis fin à la réintégration automatique des salariés, en application du fameux article 18 du statut des travailleurs. Je dois dire qu'avec nos collègues, nous n'avons pas été en mesure d'évaluer la portée véritable de cette mesure dont la charge symbolique était extrêmement forte. D'un côté, la réintégration, bien que non-applicable dans les petites entreprises, était présentée comme une dissuasion majeure pour les embauches. Pour d'autres interlocuteurs, notamment ceux des grandes entreprises que nous avons rencontrés, la réintégration n'était de fait pas effective et se traduisait par une transaction. Le ministère du travail n'avait, quant à lui, pas de chiffres disponibles sur ce sujet.
Le barème mis en place est de 2 mois de salaire par année d'ancienneté, dans la limite de 24 mois. Pour les entreprises de moins de 15 salariés, ces montants sont divisés par deux et le maximum est de six mois de salaires.
Parallèlement, les contrats de collaboration sur projet, qui organisaient la relation de travail avec leur entreprise de travailleurs indépendants économiquement dépendants, ont été supprimés et devaient être transformés en contrats de travail ordinaires. Le recours aux CDD a été assoupli.
Pour ce qui concerne la négociation collective, les textes encouragent, par des allègements fiscaux, la négociation d'augmentations de salaire consenties dans le cadre d'accords locaux. Il s'agit davantage d'une mesure sur le coût du travail que d'une décentralisation de la négociation collective, dont peu d'entreprises se sont au demeurant saisies. Le niveau de négociation interprofessionnel reste le plus développé.
Nous avons appris avec intérêt l'existence, pour les entreprises dépourvues de représentation syndicale, d'un dispositif permettant de conclure un accord avec une organisation syndicale présente au nouveau régional. Ce dispositif dérogatoire reste toutefois peu utilisé. Devant une délégation française, les partenaires sociaux rencontrés se sont plu à rappeler le taux de syndicalisation italien (37 % en 2013), l'importance de la négociation collective mais aussi la qualité de cette négociation. Le représentant de la Confindustria a notamment insisté sur ce point, considérant - je cite - que les syndicats de salariés avaient « joué le jeu » pendant la crise.
Nous avons également appris que le seul point du job's act à ne pas avoir trouvé de traduction concrète, la mise en place d'un salaire minimum, s'expliquait par la volonté des partenaires sociaux qui, opposés à cette mesure, souhaitent conserver leurs prérogatives en matière de négociations salariales par branche et concevaient plutôt le salaire minimum national comme une mesure de modération des salaires.
Nos interlocuteurs nous ont cependant alertés sur les difficultés liées à l'absence de mécanisme de reconnaissance de la représentativité syndicale qui permet à des organisations de se constituer pour des besoins de négociation ad hoc.
Enfin, la facilitation des licenciements dans le cadre des nouveaux contrats avec pour objectif de lever les freins à l'embauche a été accompagnée par le développement de ce que les italiens appellent les « politiques actives » en faveur de l'emploi jusqu'alors peu développées et parfois déficientes, singulièrement dans les régions où les besoins sont pourtant les plus criants (Calabre, Sicile...).
Une agence nationale pour les politiques actives du marché du travail (ANPAL) a été créée avec l'objectif de renationaliser les politiques d'accompagnement, qui relevaient des régions. Avec l'échec du référendum qui portait également réforme des compétences des régions, l'ambition pour cette agence a dû être revue. Elle doit désormais coordonner les actions menées par l'ensemble des entités publiques et privées et définir un ensemble de standards minimaux communs à l'ensemble des régions italiennes.
La réforme de l'assurance chômage nous a paru très substantielle. Une nouvelle assurance chômage, la Naspi, a vocation à s'appliquer à l'ensemble des travailleurs. Versée pendant 24 mois maximum, 18 mois à partir de 2017, et fortement dégressive à partir du quatrième mois de versement, elle est de 75 % du salaire antérieur jusqu'à 1 195 euros et plafonnée à 1 300 euros. Elle s'accompagne d'obligations de recherche active d'un nouvel emploi et de participation aux programmes de formation proposés.
Ce nouveau dispositif a vocation à se substituer au recours à la CIG (Cassa integrazionze Guadagni), caisse publique de compensation des revenus des salariés en période de suspension d'emploi ou de réduction du temps de travail, dont le champ a été progressivement élargi et qui était un outil de flexibilité interne aux entreprises. En 2009, 2 % de la population active relevait de la CIG. Ce dispositif était à la fois coûteux, restrictif (7 millions de salariés sur les 12 que comptaient la population active en 2014 n'en bénéficiaient pas) et peu incitatif à la reprise du travail, le contrat du salarié n'étant pas formellement rompu, la situation de chômage pouvait se prolonger.
L'universalisation de l'assurance chômage se traduit, comme l'ont souligné certaines organisations syndicales, par une baisse potentielle des droits pour les salariés qui étaient éligibles à la CIG. Elle incite cependant à une plus grande mobilité sur le marché du travail.
Dernier point pour compléter le Job's act : un Job's act des travailleurs autonomes, adopté le 22 mai 2017, a introduit de nouveaux droits pour ces personnes, notamment en matière de protection sociale.
Très brièvement résumées, ces mesures sont donc les réformes emblématiques du gouvernement Renzi. Quels résultats ont-elles obtenu?
Entre 2014 et 2017, 900 000 postes de travail ont été créés, soit une augmentation de 3,4 % du nombre des équivalents temps plein. En 2015 et 2016, le nombre d'emploi à durée indéterminée a connu une croissance importante. Depuis, la croissance des embauches en CDD a repris. Le nombre de licenciements n'a pas augmenté, voire a légèrement baissé, tandis que les contentieux introduits en matière de licenciement ont fortement diminué.
Si ces données sont objectivement partagées, les différents observateurs ne les imputent pas forcément au Job's act. Sont ainsi relevés la conjoncture plus favorable, l'effet des incitations fiscales associées aux embauches en CDI ou encore la moindre qualité des emplois créés par rapport à l'avant-crise. Autre fait marquant, la majorité des emplois créés semblent avoir bénéficié à des personnes de plus de 50 ans, devant prolonger leur activité sous l'effet de la réforme des retraites de 2012 et plus enclines de ce fait à accepter la signature des nouveaux CDI.
À la différence des choix français en matière d'allègements de cotisations, l'Italie a instauré des mesures temporaires et dégressives d'allègement du coût du travail. Ces mesures prenant fin en 2018, ce n'est qu'à la fin de cette année que les effets sur les CDI à protection croissante pourront être observés. Certains de nos interlocuteurs craignaient que la fin des allègements ne se traduise par une augmentation des licenciements et plaidaient pour une prolongation du dispositif, en particulier pour les jeunes et les régions les plus en difficulté.
Autre point, l'introduction d'une plus grande flexibilité dans le fonctionnement du marché du travail, même si elle doit être relativisée par le fait que l'écrasante majorité des contrats de travail restent régis par l'ancien système, ne s'est pas accompagnée d'un réel développement de l'accompagnement vers l'emploi. Le volet « sécurité » de la flexisécurité à l'italienne reste encore limité et ne représente que 80 millions d'euros, souvent rapportés par nos interlocuteurs aux 20 milliards d'euros d'exonérations de charges patronales. Le développement de cette politique a été clairement entravé par l'échec du référendum.
Plus largement, nos voisins italiens s'interrogent, comme nous, sur les effets sur l'emploi et la protection sociale du développement du numérique.
Enfin, il est évident que le Job's act n'a pas suffi à répondre aux trois défis majeurs auxquels est confrontée l'Italie en matière d'emploi : l'emploi des jeunes, dont le taux de chômage est supérieur à 35 % ; l'emploi des femmes, dont le taux de participation au marché du travail est très faible (48 %) ; la situation dans la partie sud du pays où ces déséquilibres sont encore accrus (jusqu'à 60 % de chômage des moins de 35 ans en Calabre).
Il n'est pas rare de trouver des articles sur le désarroi de la jeunesse italienne ou la fuite des cerveaux. L'institut italien de recherche socio-économique, dans un rapport intitulé « les enfants plus pauvres que leurs grands-parents, le KO économique des jeunes » indique ainsi que la génération née entre 1980 et 2000 bénéficie d'un revenu inférieur de plus de 15 % de la moyenne des italiens. Le revenu des jeunes a baissé de 26,5 % en 20 ans tandis que celui des retraités a augmenté de 24,3 %. Depuis la crise, 2 millions d'emplois ont été perdus chez les 15-24 ans. Entre 2008 et 2015, 260 000 italiens de moins de 40 ans ont quitté leur pays, à la recherche d'opportunités d'emploi à l'étranger.
D'autres questions, qui dépassaient le strict cadre de notre mission ont également été soulevées. La question des compétences et de l'adéquation des formations aux besoins des entreprises est souvent revenue dans les entretiens. Malgré un taux de chômage élevé, l'Italie connaît aussi plusieurs dizaines de milliers de postes vacants. Cette question serait culturelle, avec une décorrélation forte entre le milieu universitaire, les formations privilégiées par les familles et la réalité du monde des entreprises. La performance globale du système éducatif a été pointée, l'apprentissage restant très limité et jouissant d'une mauvaise image. L'environnement des entreprises est également affecté par une amélioration nécessaire de la qualité des services publics et privés et des infrastructures. Le pays a pourtant des atouts avec un tissu de PME très innovantes et de bons résultats à l'export. Malgré la crise, les résultats du commerce extérieur italien et de sa production industrielle restent de très bon niveau.
Surtout, la question de l'évolution politique et institutionnelle du pays était très présente, l'hypothèse d'un pays rendu ingouvernable par le résultat des élections à venir sous l'empire de la nouvelle loi électorale était dans tous les esprits. Ses effets sur la relation bilatérale mais aussi sur la place de l'Italie au sein de l'Union européenne suscitaient l'inquiétude. Parmi les projets de la coalition qui se dessine entre la ligue du nord et le mouvement cinq étoiles, la remise en cause de la réforme des retraites et du Job's act figurent en bonne place. Ces sujets, dont notre délégation a pris connaissance avec beaucoup d'intérêt, resteront donc sans doute à suivre par notre commission.