Je vous remercie de donner la parole aux MLP et à ses 600 éditeurs réunis en coopérative. Je tiens à préciser que je suis éditeur depuis trente ans et non un salarié de la messagerie.
Je suis mal placé pour vous parler de la crise de Presstalis, car je suis le président de la messagerie concurrente. J'insiste sur le fait qu'il faut faire une distinction entre la crise de la filière et celle de Presstalis. À défaut, il sera difficile de poser un bon diagnostic sur la situation et de proposer des solutions adaptées.
Pour commencer, permettez-moi de vous livrer quelques chiffres.
Le niveau 2 de la distribution, c'est-à-dire les dépositaires de presse - des grossistes organisés sous forme de plateformes régionales à caractère logistique et commercial -, est divisé en deux. Une partie est gérée par Presstalis, qui est du niveau 1, mais qui a des filiales au niveau 2, une autre par le groupement Alliance Distribution, les dépositaires indépendants, dont font partie les MLP. Il s'agit d'un groupement de dépositaires constitué en coopérative. Sur une partie du territoire, gérée par le groupement Alliance, il n'y a pas de retards de livraison. Les 34 sociétés de ce groupement sont bénéficiaires. Elles ont pourtant dû réaliser des investissements importants dans le cadre du regroupement des dépôts prévus dans le schéma directeur. Ces entreprises sont bénéficiaires ces trois dernières années à hauteur de 5 millions d'euros. Cela leur permet de faire face à leur endettement consécutif aux investissements qu'elles ont consenties et de continuer à développer leurs activités.
Cette partie du réseau est constituée de dépositaires indépendants, qui travaillent sous mandat. MLP n'est majoritaire que dans trois dépôts, mais détient des participations minoritaires dans quatorze autres dépôts. Dans notre plan stratégique, nous prévoyons de mettre progressivement fin à cette situation majoritaire et de mettre à la tête de chaque dépôt des entrepreneurs indépendants, car nous estimons que c'est plus efficient. Ils prélèvent 7,1 % sur les ventes auprès des éditeurs et réalisent 5 millions d'euros de bénéfice, alors que les dépôts contrôlés par Presstalis prélèvent 10,1 % et perdent 20 millions d'euros par an.
Les pertes de Presstalis se sont élevées à 46,28 millions d'euros en 2014, 38,3 millions d'euros en 2015, 48,8 millions d'euros en 2016 et 50 millions d'euros en 2017, soit un total de 350 millions d'euros et le double de son chiffre d'affaires annuel. Je rappelle en outre que, en dix ans, l'État a versé 200 millions d'euros d'aides à Presstalis. N'importe quelle autre entreprise en France dans cette situation serait placée en redressement judiciaire. Cette entreprise bénéficie d'un traitement particulier. Je ne suis pas en train de dire qu'il faut qu'elle disparaisse - nous avons toujours plaidé pour la concurrence -, nous souhaitons simplement que celle-ci s'exerce dans des conditions normales.
Certains considèrent que cette situation était prévisible. Aujourd'hui, l'entreprise est financée par des prêts des éditeurs, ce qui constitue une solution à court terme. La trésorerie des éditeurs est affacturée et sert à financer les pertes. Le conseil d'administration des MLP, totalement renouvelé au cours de l'été 2016, s'est très vite inquiété de la situation de son concurrent. Nous avons demandé une audition au Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) afin d'obtenir des informations sur sa situation réelle, qui nous paraissait très grave. Nous n'avons pas reçu d'informations, pour des raisons de confidentialité. Nous avons donc fait réaliser un audit par un cabinet, qui a confirmé la gravité de la situation. J'ai écrit au président du Conseil supérieur le 16 février 2017 pour lui dire qu'il fallait réagir, sortir de l'obscurantisme et du déni et redonner un nouvel élan à l'esprit coopératif que nous a insufflé Robert Bichet, fondé sur trois piliers : la liberté de la presse, la liberté de diffusion et la liberté d'entreprendre. Nos alertes n'ont servi à rien. Entre janvier et août 2017, nous avons informé de nos préoccupations les services du ministère de la culture, du Premier ministre et de la présidence de la République, que nous avons rencontrés le 5 septembre 2017.
L'annonce de la mission de Gérard Rameix a été pour nous un soulagement. Une réflexion commune sur l'avenir allait être possible et que nous allions pouvoir sortir de cette situation très contraignante. En effet, l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) a voulu dans le passé nous imposer un système informatique extrêmement onéreux - plus de 12 millions d'euros les premières années -, développé uniquement pour Presstalis et qui ne fonctionnait pas. Nous n'avons pas voulu licencier 50 personnes et supprimer notre service informatique au profit d'un système déficient et plus onéreux.
Par ailleurs, l'Autorité de régulation voulait que les MLP épousent le modèle d'organisation de Presstalis. Or ce modèle ne fonctionne pas, car il est fondé sur la massification. Nous sommes sur un marché en attrition, qui perd tous les ans 10 % de ses volumes. Le système mis en place par Presstalis était surcapacitaire : il n'était utilisé qu'à 55 % de ses capacités. Ainsi, un niveau intermédiaire a été créé entre la messagerie et les dépositaires et des fonctions ont été externalisées. Je tiens à souligner que la présidente de Presstalis partage notre constat d'échec.
Nous avons parfois fait figure de rebelles. Or, ce n'est pas parce que nous ne sommes pas coopératifs, mais bien parce que nous ne voulions pas nous engager dans une impasse. Si nous avions adopté le modèle d'organisation et le système d'information qui nous étaient proposés, nous serions aujourd'hui dans une situation plus grave que celle de Presstalis. Je considère l'existence de Presstalis comme étant une chance pour l'ensemble de la profession.
Comme vous le savez, le rapport Rameix n'a pas été rendu public. Très rapidement, le dossier a été dépaysé au tribunal de commerce de Paris. Nous aurions dû participer au protocole de conciliation, mais nous en avons malheureusement été complètement exclus. Nous n'avons été reçus que deux fois, la première pour nous entendre dire qu'on allait prélever 25 % sur nos recettes. Nous nous sommes opposés à cette ponction et nous avons décidé d'engager les actions judiciaires nécessaires pour recouvrer les créances qui revenaient à nos éditeurs.
Je dois souligner que durant cette période, Presstalis a retenu 100 % de tout ce qui passait par leurs dépositaires, pour un total de 10 millions d'euros d'impayés aux MLP. Par mesure de rétorsion, nous avons bloqué tous les comptes de Presstalis et de ses filiales, ce qui a conduit cette société à nous restituer nos fonds. Cela nous a permis de payer nos éditeurs.
Je ne me prononcerai pas sur le plan de Presstalis, sur lequel tout le monde émet quelques doutes. Par contre, le contenu du protocole de conciliation concernant la filière et les MLP nous a profondément alarmés. L'État s'y engage, en effet, à modifier la loi pour permettre le sauvetage de Presstalis, ce qui ne manque pas de me surprendre, au regard du rôle du Parlement. Je note d'ailleurs qu'une même action avait été entreprise en 2011, avec les résultats que l'on connaît. À la lumière de cette expérience, je trouve inquiétant que l'on veuille, une fois de plus, toucher à la loi Bichet pour sauver la filière, ou plutôt Presstalis. Nous serons vigilants : il ne s'agit pas de modifier la loi uniquement pour permettre à un acteur de s'en sortir.
J'ai rencontré M. Schwartz au début de ses consultations. Il a évoqué la suppression de l'article 4 de la loi Bichet, c'est-à-dire la suppression des coopératives. Ce serait revenir sur un principe constitutionnel et poserait des problèmes en termes de liberté de la presse. Depuis, il semblerait que le principe coopératif ne soit plus remis en cause, en tout cas par M. Schwartz, malgré la position de grands éditeurs.
M. Schwartz avait également évoqué une libéralisation totale de l'ouverture des points de vente ainsi que la possibilité pour les diffuseurs de choisir les produits qu'ils diffusent. Cela signifierait la destruction totale de l'organisation actuelle. Depuis, il a assoupli un certain nombre de ses positions, ce dont je me réjouis, même s'il nous faut rester vigilants.
Beaucoup d'idées fausses sont véhiculées. J'ai ainsi lu dans le compte rendu de l'une de vos auditions que les MLP effectuaient les livraisons en camionnettes. Ce n'est, bien entendu, le cas que dans Paris. De plus, il se dit que nous pourrions livrer directement les diffuseurs à partir de l'imprimerie, ce qui me paraît absurde. J'entends enfin que le système coopératif serait responsable de la crise et que pour résoudre les problèmes, il suffirait de fusionner les messageries. Cela signifierait que les dépositaires ne seraient que de simples logisticiens et que les invendus résulteraient d'un comportement irresponsable des éditeurs, surtout des petits. Il ne s'agit pas là de fake news, mais presque !