Cette proposition de loi met en place un certain nombre de dispositifs pour inverser le développement centrifuge de nos communes vers leur périphérie. C'est un texte très important, qui répond à un besoin clairement identifié et poursuit un objectif que nous partageons évidemment tous. Son article 7 soulève cependant des difficultés. Il prévoit « une procédure permettant d'éviter un blocage de projets locaux essentiels à la survie du centre-ville pour des raisons liées au patrimoine et d'engager un dialogue avec les architectes des Bâtiments de France » (ABF). Cette phrase trahit une appréhension des règles patrimoniales et, en particulier, de l'avis conforme de l'ABF, comme une contrainte entravant les politiques de développement local.
Le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), qui prévoit de transformer l'avis conforme de l'ABF en un avis simple pour les travaux destinés à l'implantation d'antennes de téléphonie mobile ou portant sur des immeubles insalubres, inquiète déjà les acteurs du patrimoine. Quelle n'a pas été leur stupeur de découvrir qu'une nouvelle atteinte législative, aux conséquences potentiellement plus dévastatrices encore, pourrait être portée au patrimoine ! Et surtout que celle-ci émanait, non plus du Gouvernement, mais du Sénat, chambre connue pour être la plus soucieuse de la protection du patrimoine, celle-là même qui l'avait ardemment défendue lors de l'examen du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) jusqu'à parvenir à en infléchir la rédaction.
Que prévoit concrètement l'article 7 ? D'une part, il instaure une procédure dérogatoire au droit commun dans les espaces protégés au titre du code du patrimoine, c'est-à-dire les abords ou les sites patrimoniaux remarquables, dès lors qu'ils seraient concernés par le périmètre d'une opération de sauvegarde économique et de redynamisation (OSER). Une directive nationale tenant compte de la situation financière des collectivités territoriales et des besoins locaux en matière de logement, de commerce et d'artisanat, encadrerait le travail de l'ABF. Celui-ci disposerait d'un mois pour édicter, sur la base des principes et objectifs posés par cette directive, des prescriptions et recommandations en matière de patrimoine sur le périmètre de l'opération. Ces prescriptions et recommandations se substitueraient purement et simplement aux autres règles patrimoniales en vigueur. D'autre part, il transforme l'avis conforme de l'ABF en un avis simple si ce dernier n'a pas joué le jeu de la procédure dérogatoire.
Qu'en penser ? Sur la forme, toutes ces questions, à commencer par l'avis conforme de l'ABF, ont déjà été traitées au moment de l'examen de la loi LCAP, adoptée à la quasi-unanimité des deux assemblées. Nous déplorons sans cesse l'instabilité juridique, et s'il est un domaine où elle peut se révéler particulièrement désastreuse, c'est bien le patrimoine, dont la préservation s'inscrit nécessairement dans la durée.
De nouvelles évolutions du métier d'ABF sont en outre aujourd'hui sur la table : un groupe de travail composé d'élus et d'ABF a planché en ce début d'année, à la demande de la ministre de la culture, sur des propositions qui pourraient faire l'objet d'une circulaire dans les prochaines semaines. Plusieurs idées s'en dégagent : favoriser l'intervention de l'ABF en amont des projets patrimoniaux, introduire une collégialité des avis pour les projets les plus importants, enrichir la formation dispensée au sein de l'École de Chaillot pour permettre aux ABF de s'engager dans une culture du dialogue et de développer leurs qualités de pédagogues pour apporter une réelle ingénierie aux élus locaux, assurer la prévisibilité des règles et des prescriptions et garantir la continuité et l'harmonisation des avis.
Sur le fond, l'article 7 semble bouleverser l'approche de protection patrimoniale que notre tradition législative a héritée de la loi Malraux de 1962, faisant courir le risque de revenir plusieurs décennies en arrière et d'entraîner une dégradation irrémédiable de notre patrimoine. D'ailleurs, la protection patrimoniale que les auteurs de la proposition souhaitent voir maintenue dans le périmètre des opérations OSER ne semble pas revêtir la même finalité. L'exposé des motifs évoque ainsi « la protection d'éléments consubstantiels à l'identité des territoires », notion éminemment subjective.
Le principe d'une directive nationale pose plusieurs problèmes. Elle peut apparaître d'abord comme une forme de recentralisation, puisqu'elle a vocation à se substituer, dans les périmètres OSER, aux règles patrimoniales, y compris celles qui sont définies dans le cadre d'une concertation locale et à la suite d'une enquête publique, comme c'est le cas pour les sites patrimoniaux remarquables (SPR) et les périmètres intelligents des abords. Elle est élaborée conjointement par les ministres chargés du patrimoine et de l'urbanisme - deux ministères qui ont historiquement des difficultés à collaborer -, mais son contenu restera nécessairement général et peu opérationnel s'il doit s'appliquer à l'ensemble des territoires et des projets, laissant une grande marge d'appréciation aux ABF pour élaborer leurs prescriptions et recommandations, à rebours des objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi.
D'un point de vue juridique, il ne paraît pas acceptable que des règles prises de manière unilatérale puissent se substituer à des documents de protection patrimoniale : le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) et le plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP), qui sont élaborés dans le cadre d'une procédure transparente, font l'objet d'un accord entre les élus, l'État, les citoyens et les acteurs du patrimoine et constituent des documents opposables annexés au plan local d'urbanisme. Sans compter que de telles dispositions feraient peser un risque de différenciation des normes applicables au sein d'un même SPR, avec, à plus forte raison, des normes moins protectrices susceptibles de s'appliquer en son coeur.
L'article 7 manifeste également une volonté claire de remettre en cause le pouvoir de l'ABF. Le délai d'un mois qui lui est octroyé pour émettre ses prescriptions et recommandations à l'intérieur du périmètre OSER et celui de cinq jours pour un avis simple ne sont pas réalistes : ils interdiront un examen correct des dossiers, avec pour effet de compromettre le patrimoine. Comment expliquer que l'ABF soit la seule autorité de la chaîne d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme à qui l'on demande de nouveaux efforts en matière de délais ? Je rappelle que les délais des ABF ont déjà été réduits à deux mois au moment de l'adoption de la loi LCAP.
La transformation de l'avis conforme en un avis simple fait courir de grands risques à la préservation du patrimoine, compte tenu du caractère irréversible des atteintes qui y sont portées. Prenons l'exemple des sites inscrits qui ne font plus l'objet que d'un avis simple depuis les années quatre-vingt : ils ont été désinscrits en grande majorité par la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, à cause de leur lente dégradation sous l'effet de la pression foncière.
Vous m'objecterez que l'avis conforme est maintenu dès lors que l'ABF rend des recommandations et prescriptions sur le périmètre OSER dans le temps imparti. Quand bien même l'avis conforme serait préservé dans ces circonstances - et l'on ne peut à coup sûr l'affirmer, car le texte présente une vraie ambiguïté sur ce point -, peut-on encore véritablement parler d'avis conforme quand la décision de l'ABF doit être rendue sur la base de règles selon lesquelles la situation financière des collectivités territoriales et les besoins de celles-ci en matière de logements, de commerce et d'artisanat prime les considérations patrimoniales ?
La précipitation dans laquelle l'ABF se verrait contraint d'intervenir et la concentration du pouvoir de décision dans les mains du seul maire pourraient finir par accroître les risques de contentieux liés à des projets OSER ; ce serait dommageable, au vu de l'urgence à agir.
Quelle position notre commission peut-elle exprimer ? L'adoption de l'article 7 dans sa rédaction actuelle empêcherait la prise en compte du patrimoine lors des opérations OSER, ce qui serait d'autant plus paradoxal que les bâtiments patrimoniaux peuvent être un facteur d'attractivité pour les centres-villes. Rien ne justifie d'écarter en particulier les normes patrimoniales, plutôt que les autres - règles techniques, environnementales, fiscales ou sociales -, qui ne sont pas, elles, remises en cause.
D'après les chiffres communiqués par l'Association nationale des architectes des Bâtiments de France, l'instruction de la demande d'autorisation par l'ABF n'allonge pas démesurément les délais d'examen : ils sont en moyenne de 22 jours. Sa décision serait très rarement bloquante : un avis conforme défavorable ne serait rendu que dans 6,6 % des cas et ce taux tomberait même à 0,1 % à la suite des échanges qui s'ensuivent. D'ailleurs, les recours seraient extrêmement rares : 0,01 % des dossiers, avec une confirmation de l'avis de l'ABF dans 81 % des cas.
L'existence, pour les SPR, comme pour les périmètres intelligents des abords appelés à se généraliser, de procédures transparentes et concertées limite plutôt les risques de contentieux. Les instances de dialogue existent, qu'il s'agisse de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA) ou des commissions régionales (CRPA), comme des commissions locales des SPR. La loi LCAP en a d'ailleurs largement revalorisé les attributions et a confié leur présidence à des élus. Elles me semblent pouvoir constituer des enceintes appropriées pour permettre aux maires d'associer le plus en amont possible les acteurs du patrimoine aux enjeux liés aux projets de revitalisation. Enfin, dernier élément et non des moindres, les recours sont possibles et plutôt efficaces.
Dans ces conditions, la tentation était grande de demander la suppression de cet article, qui remet en cause les équilibres résultant de la loi LCAP, pourtant adoptée il y a moins de deux ans à la quasi-unanimité des deux chambres. L'inclusion des SPR dans le champ de l'article 7, compte tenu des dérogations prévues aux règles de procédure précises auxquelles ils obéissent, est particulièrement inacceptable. Mais, dans un souci de conciliation, j'ai rencontré le rapporteur de la commission des affaires économiques et j'ai travaillé avec les deux auteurs de la proposition de loi pour arriver à un compromis. Les autres articles de la proposition de loi allant dans le bon sens, la présidente et moi ne voulons pas d'un blocage.
Je vous propose donc une réécriture de l'article, qui remplace la directive nationale par des instructions non normatives aux ABF des ministres chargés du patrimoine et de l'urbanisme. Ces derniers n'auront pas à fixer leurs prescriptions et recommandations sur la base de la directive, mais pourront faire connaître dans un délai d'un mois les enjeux patrimoniaux présents sur le périmètre de l'opération OSER au porteur de projet - en général la collectivité locale. Cela lui fera prendre conscience que ces éléments devront être traités et l'ABF se mettra ensuite à la disposition du maire pour collaborer sur le projet.
Je sais qu'il existe une hostilité épidermique aux ABF. J'ai été maire, il m'est arrivé d'avoir des litiges avec eux. Autrefois, certains d'entre eux étaient imbus de leur personne, mais les choses ont beaucoup évolué, notamment depuis que la loi a prévu le recours auprès du préfet, accompagné d'une consultation préalable de la commission régionale. Cette commission est l'enceinte où le maire s'exprime, où il peut exposer son projet, présenter les enjeux financiers, et économiques à côté des enjeux patrimoniaux. Il revient ensuite au préfet de trancher.
Dernier point de cette réécriture de l'article, le IV, qui transforme l'avis conforme en avis simple lorsque l'ABF n'a pas rendu de prescriptions et recommandations, devenu superfétatoire, est supprimé.
Il vous a été distribué un tableau reprenant le texte initial de la proposition de loi, le texte sur lequel Rémy Pointereau, Martial Bourquin et moi-même avons travaillé hier et le texte que je propose. Nos collègues ont accepté que soit supprimée la notion de directive nationale et modifié certains éléments. Ils ont donné leur accord pour que soit ajoutée l'idée que « ces objectifs et orientations tiennent aussi compte des enjeux de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine... » Cette instruction, que je ne veux plus appeler « directive », qu'un ministre peut légitimement adresser à ses propres services, comprendra donc des enjeux économiques, financiers et patrimoniaux. Nous demandons simplement à l'ABF d'être conscient que la conservation patrimoniale publique n'est pas le seul objectif à prendre en compte.
« Ces objectifs et orientations peuvent comporter des éléments différenciés selon le tissu urbain et le patrimoine des territoires. » On ne sait pas très bien comment cela se fera ; nous avons accepté, il est vrai, de maintenir un grand nombre de dispositions qui ne relèvent pas de la loi, mais sont plutôt le fruit d'un travail interne du ministère de la culture avec les ABF. Nous avons travaillé en bonne intelligence avec Rémy Pointereau et Martial Bourquin et je les ai convaincus qu'il ne fallait absolument pas inscrire dans la loi un certain nombre de dispositions. Toutefois, par rapport à la proposition qu'ils m'ont faite, je souhaite supprimer encore dans le paragraphe I, la phrase : « Ils visent à simplifier et alléger le poids des normes qui pèsent sur les collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et les opérateurs dans ces périmètres pour leur permettre de mener à bien leurs projets de revitalisation du centre-ville ou du centre-bourg. » Le terme « normes » est susceptible de créer des contentieux : ces nouvelles normes qui s'imposeraient à un plan préétabli, tels le PSMV ou le PVAP, pourraient se télescoper.
Outre ces avancées acceptées par nos collègues et la nouvelle rédaction que je propose, j'observe qu'il convient d'informer les maires des possibilités de recours contre les décisions des ABF auprès des préfets de région et de la procédure applicable dans ce cadre. Nombreux sont les maires qui ignorent la possibilité d'engager un recours ou qui n'osent pas le faire.