Intervention de Jean-Luc Vallens

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 mai 2018 à 9h30
Droit local d'alsace-moselle — Table ronde

Jean-Luc Vallens, professeur associé à l'université de Strasbourg, ancien secrétaire général de l'institut du droit local :

docteur en droit, ancien président de chambre à la cour d'appel de Colmar, professeur associé à l'université de Strasbourg, ancien secrétaire général de l'institut du droit local. - Les dispositions locales de droit privé sont nombreuses. Elles parcellent l'ensemble des domaines. Nos juridictions sont ainsi amenées à faire coexister des dispositions de droit local et de droit général, dans le domaine de la procédure civile, du droit du travail, du droit des affaires, et plus rarement du droit civil lui-même.

Les dispositions de droit local, ou de troisième législation, ont été maintenues pour plusieurs raisons. Elles sont considérées comme plus performantes. Ainsi, à titre d'illustration, la procédure de saisie immobilière est beaucoup plus simple. S'agissant du cadastre, il a une valeur juridique en Alsace-Moselle, et constitue ainsi un facteur de paix sociale pour le transfert de propriété. En outre, le partage judiciaire peut se faire chez un notaire. De même, le livre foncier apporte plus de sécurité aux acheteurs en raison de la vérification des inscriptions qui sont faites par un juge spécialisé.

D'autres dispositions ont été maintenues car elles n'existaient pas dans le droit général. C'est le cas notamment de la faillite civile. Le droit français jusqu'en 1985 ignorait le surendettement. Ainsi, le droit local a pu servir de laboratoire et d'exemple. Certaines règles de droit local n'ont plus la même légitimité depuis que des dispositions similaires existent en droit général.

Enfin, le droit local apparaît pertinent au justiciable. Tel est le cas des chambres de commerce au sein des tribunaux de grande instance. Elles sont compétentes en lieu et place des tribunaux de commerce qui n'existent pas en droit local.

D'autres règles de droit local répondent à un besoin propre que les citoyens apprécient car elles leur sont plus favorables : les jours fériés supplémentaires, le système de sécurité sociale, prévoyant un taux de cotisation plus élevé, mais une meilleure couverture sociale. Dans d'autres domaines encore, le droit local assure un meilleur équilibre des règles. Ainsi, le droit de la chasse cherche à concilier les intérêts du chasseur, du propriétaire et des agriculteurs. Le droit de chasse est administré par la commune, au nom et pour le compte des propriétaires. Dans ce cadre, elles élaborent des plans de chasse précis et rigoureux. De même, une disposition de droit local offre de meilleures garanties aux locataires de biens immobiliers, pour lesquels il n'existe pas une présomption de responsabilité en cas d'incendie.

Au final, le constat est partagé : certaines dispositions de droit local sont devenues obsolètes ; d'autres ont évolué ; d'autres encore ont été intégrées au droit général grâce à la codification. Un grand nombre de textes ont été abrogés, abrogation pour laquelle un avis de la commission du droit local - appelée jusqu'il y a peu commission d'harmonisation du droit local - est nécessaire.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel Somodia de 2011 est apparue avec un double visage : d'une part, elle garantit le maintien du droit local, en le reconnaissant comme principe fondamental reconnu par les lois de la République, d'autre part, et d'un point de vue plus négatif, elle l'empêche d'évoluer, si ce n'est pour tendre vers une harmonisation avec le droit général. Le Conseil constitutionnel a ainsi inventé le concept du rapprochement, au nom de l'unité fantasmée de l'égalité. Or, en réalité, on constate de fortes variétés territoriales - je citerai simplement les zones économiques et zones franches. Dans ces conditions, il est étonnant de voir face au droit local cette volonté d'unification, qui n'existe pas dans la réalité.

En outre, un autre principe constitutionnel important ne doit pas être oublié : celui de la sécurité juridique. Pour l'utilisateur, la sécurité juridique signifie de pouvoir travailler sur un texte que personne ne peut contester devant le Conseil constitutionnel en cas de litige. Aujourd'hui, il y a une incertitude, voire un risque derrière chaque loi de droit local, si on imagine qu'à tout moment un justiciable puisse ébranler un dispositif via une question prioritaire de constitutionnalité.

Si le Conseil constitutionnel avait rendu cette décision il y a quelques années, au moment où la modernisation du droit local avait été lancée, nous n'aurions rien pu faire, en raison de la crainte de voir des dispositifs remis en cause. Je pense notamment au développement du livre foncier dématérialisé. On a intégré au droit local les évolutions de la société et des technologies. Il faut sortir de l'idée selon laquelle l'unité de la République est mise à mal par la diversité des territoires.

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