Intervention de Geneviève Avenard

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 30 mai 2018 à 17h50
Audition de Mme Geneviève Avenard défenseure des enfants

Geneviève Avenard, Défenseure des enfants :

La loi organique du 29 mars 2011 confie au Défenseur des droits, assisté du Défenseur des enfants, un de ses adjoints, la mission de veiller au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et de ses droits, conformément à la loi, à différents textes européens, et surtout à la Convention internationale des droits de l'enfant. Le Défenseur des enfants a reçu 3000 réclamations en 2017, chiffre modeste en comparaison des 95 000 réclamations adressées au Défenseur des droits, mais en progression constante : les réclamations ont augmenté de 50 % entre 2010 et 2014, et augmentent régulièrement chaque année. Ainsi, en 2017, la hausse était de 8%. Nous sommes saisis par des familles, des parents, des associations, des professionnels, mais aussi, parfois, par des mineurs. Un de nos objectifs est de faire en sorte que les mineurs nous connaissent mieux et puissent plus spontanément nous saisir. Le troisième protocole facultatif à la Convention des droits de l'enfant, ratifié par la France, autorise les mineurs ou leurs représentants à saisir directement le Comité des droits de l'enfant de l'ONU. Le premier motif de saisine - environ 40% des saisines - concerne la protection de l'enfance, ce qui inclut les mineurs non accompagnés. Les mineurs incarcérés représentent 2% des saisines, un pourcentage stable, même si le chiffre progresse en valeur absolue parallèlement à la hausse de l'activité du Défenseur des enfants. Ce faible taux ne rend pas compte, selon nous, de la réalité des atteintes aux droits des adolescents en conflit avec la loi car ces adolescents éprouvent souvent une défiance à l'égard des institutions : comme les jeunes en situation d'exclusion sociale, ils ne se sentent souvent pas concernés par ces procédures, se disant que ce n'est pas pour eux. C'est la tendance à «l'aquoibonisme » identifiée par Jacques Toubon. Ils croient que les atteintes à leurs droits font partie de la sanction. Ils n'ont pas conscience que la sanction ne doit consister qu'en une privation de liberté et que leurs autres droits fondamentaux leur restent acquis. C'est d'autant plus inacceptable que, dans la plupart des cas, ils sont détenus dans le cadre d'une détention provisoire et sont donc encore présumés innocents.

La grande majorité des saisines de jeunes incarcérés concerne les conditions de détention et des allégations de violences de la part de surveillants pénitentiaires. Le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont passé une convention en 2011 : lorsque nous sommes saisis d'une réclamation relative à des faits mettant en cause l'état, l'organisation ou le fonctionnement des lieux de privation de liberté, ou des atteintes aux droit fondamentaux dans ce cadre, nous saisissons Mme Hazan, avec laquelle nous travaillons de manière régulière. Nous avons ainsi préparé ensemble l'examen périodique de la France devant le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, qui a ensuite adressé ses recommandations à la France en janvier 2016. Dans notre rapport annuel de 2017 nous indiquions que nous avions attiré l'attention de Mme Hazan sur la situation des mineurs enfermés car nous avions été saisis à propos de la situation de surpopulation carcérale de l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Porcheville. Nous avons transmis le dossier à la Contrôleure générale des prisons.

Outre les conditions d'incarcération, nous sommes aussi saisis des conditions de transfert des mineurs détenus et des modalités de détermination de l'âge des mineurs incarcérés, dans le cadre de l'incarcération ou du placement en quartier disciplinaire, possible à partir de l'âge de 16 ans. Nous menons une politique active de sensibilisation à l'égard des adolescents incarcérés car il s'agit toujours de mineurs, aux termes de la Convention de l'ONU. Conformément à l'article 37 de la loi organique qui fixe son statut, le Défenseur des droits a désigné environ 500 délégués qui reçoivent le public dans 836 points d'accueil sur l'ensemble du territoire. En janvier 2018, 146 délégués interviennent ainsi dans un ou plusieurs établissements pénitentiaires avec pour mission d'instruire les réclamations et de participer au règlement des difficultés signalées. Sur les 186 prisons existantes, 173 bénéficient de la présence d'un délégué. Il y a également un délégué dans chacun des six établissements pénitentiaires pour mineurs. Cela ne signifie pas pour autant que les jeunes incarcérés saisissent facilement ces délégués. C'est pourquoi, nous travaillons avec tous les acteurs, les services éducatifs, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou les avocats pour faire connaître notre action et notre rôle. Nous avons aussi été saisis de dysfonctionnements de centres éducatifs fermés. Notre rôle est donc d'information et de sensibilisation au droit des mineurs incarcérés. Cette mission est aussi assurée par les jeunes ambassadeurs aux droits des enfants, programme qui existe depuis douze ans : de jeunes volontaires du service civique oeuvrent, dans le cadre d'associations habilitées, à informer les enfants et les adolescents de leurs droits, surtout dans les établissements scolaires, mais aussi dans les centres éducatifs renforcés (CER), les centres éducatifs fermés (CEF) ou les établissements pénitentiaires. Je regrette que ces ambassadeurs ne soient pas déployés sur tout le territoire. Le centre éducatif fermé de Saverne accueille ainsi depuis longtemps ces jeunes ambassadeurs et l'expérience est probante. Ce travail de sensibilisation aide les jeunes à comprendre la notion de citoyenneté et à prendre conscience de leurs droits, ce qui facilite leur réinsertion ultérieure.

Quel regard portons-nous sur les conclusions et recommandations en matière de justice des mineurs qui ont été adressés à la France en 2016 par le comité des droits de l'enfant des Nations unies ? Nous avons mis en place un mécanisme de suivi de la mise en oeuvre par l'État de ces recommandations et observations. C'est la première fois qu'un tel mécanisme est mis en place par une autorité administrative indépendante. Ce mécanisme s'appuie sur une veille juridique, documentaire et opérationnelle et sur un suivi de l'évolution des réclamations qui nous sont adressées en lien étroit avec les associations de terrain. Par ailleurs, pour les préparer à devenir les adultes de demain, nous mettons en oeuvre un processus de consultation des enfants. À cette fin, nous ne constituons pas un collège d'enfants, mais nous voulons au contraire aller vers les enfants les plus vulnérables, en particulier les mineurs enfermés, mais aussi les enfants handicapés, les enfants dont l'état de santé est défaillant ou ceux qui relèvent de la protection de l'enfance, en travaillant auprès des foyers et des institutions de tous ordres.

S'agissant des préconisations du comité, nous estimons d'abord que l'éducatif doit primer le répressif, en veillant à ce que la détention soit en pratique une mesure de dernier ressort et que sa durée soit la plus brève possible. En ce moment se tient à l'UNESCO un congrès mondial sur la justice des mineurs et la question de leur enfermement a été abordée. Hier, la présidente du comité des droits de l'enfant de l'ONU a posé la question : enfants en danger, enfants dangereux ?

Nous insistons également sur la nécessité de ne pas traiter les mineurs de seize à dix-huit ans comme des adultes, alors que la tendance ces dernières années était de les traiter avec une plus grande sévérité en apportant des réponses pénales identiques à celles des adultes. Heureusement, la situation a évolué comme le montre par exemple la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.

Concernant les moyens et la formation des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, il faut souligner le turnover important. Si l'on veut favoriser l'insertion de ces jeunes, il faut pouvoir disposer d'équipes a minima formées et stables. J'ai dirigé dans le passé un centre éducatif renforcé de douze places et la gestion du turnover du personnel occupait l'essentiel de mon temps, de même les questions de formation, laquelle était insuffisante.

Outre-mer, le manque de structures adaptées de type CER ou CEF conduit parfois à l'incarcération des mineurs faute d'autres solutions.

Autre problématique : l'incarcération des jeunes filles en conflit avec la loi. Une situation illustre les difficultés soulevées par le comité des droits de l'enfant de Genève : une jeune fille de quatorze ans est actuellement incarcérée au sein du quartier des mineurs d'un établissement ultramarin. Elle serait isolée pour des raisons de sécurité et n'aurait accès ni à l'instruction ni à aucune autre activité pour la simple raison qu'elle est la seule fille présente dans cet établissement. Nous avons interpellé l'administration pénitentiaire sur ce choix de l'incarcérer dans le quartier des mineurs et non dans le quartier des femmes, en lui demandant si son intérêt supérieur avait bien été pris en compte.

Les conclusions et recommandations formulées par le comité des droits de l'enfant des Nations unies n'ont pas toutes été mises en oeuvre à ce jour. Il n'est qu'à voir la hausse significative du nombre de mineurs incarcérés entre juillet 2016 et août 2017, ce qui avait conduit le ministère de la justice à recueillir les recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

Le recours à l'enfermement peut-il être parfois une mesure nécessaire pour favoriser la réinsertion des mineurs délinquants ? Je réponds clairement par la négative. L'enfermement a pour but de garantir la sécurité générale.

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