En tant qu'universitaire, j'ai mené plusieurs enquêtes sur les élus locaux européens (conseillers municipaux, maires, conseillers départementaux). Elles ont notamment porté sur la question du statut. Ces enquêtes ont été complétées d'un travail collaboratif, mené avec Élodie Lavignotte il y a quelques années, sur les élus locaux en Europe. A présent, nous préparons un nouvel ouvrage qui portera sur la professionnalisation des élus locaux. Parallèlement, mes anciennes fonctions d'adjoint au maire, de président d'intercommunalité et de conseiller régional me permettent d'avoir une vision duale sur ces sujets.
Nous sommes entrés dans une perspective particulière pour ce qui concerne l'ensemble de la population des élus. Tout le monde n'a pas vocation à être élu local. Il existe des critères locaux, formels et informels, de présélection. Ils tiennent notamment à la notoriété d'une personne, à son implantation locale et à sa place au sein d'une collectivité. Tout le monde n'a pas la même chance d'être repéré. Il apparaît de manière très nette que la sélection a des conséquences sur la population des élus locaux. Tout le monde n'a pas la même possibilité, ni la même chance d'être élu. Certaines qualités professionnelles ou personnelles sont plus propices à la reconnaissance. La sociologie des élus locaux en France est particulière, comme l'est la sociologie des élus dans toutes les démocraties représentatives.
Ce constat sous-entend que si des mesures juridiques sont prises, elles devront également être correctives : aujourd'hui, une partie de la population n'est pas en situation d'être élue. Les élus locaux sont généralement surqualifiés. Ils appartiennent davantage au secteur public qu'au secteur privé. Certaines professions sont surreprésentées. Il en résulte que des pans de la population sont oubliés (personnes issues de la diversité, jeunes, ouvriers). Cette distribution tout à fait particulière mériterait probablement des correctifs importants.
Au-delà de ces caractéristiques générales, la tendance à la dualisation des fonctions politiques est de plus en plus forte dans l'ensemble des démocraties occidentales, dont la nôtre. La séparation est de plus en plus prégnante entre les exécutifs et le reste. Les conseillers municipaux, singulièrement dans le cadre de l'intercommunalité, n'ont plus du tout le même rôle que par le passé ; ils ne sont pas forcément dans une logique de professionnalisation. En revanche, le poids des exécutifs locaux (adjoint, vice-président, maire, président d'intercommunalité) est de plus en plus important. Ces personnes ont une propension plus grande à entrer dans une logique de professionnalisation, entendue comme le fait d'avoir une activité élective qui devient concurrentielle d'une profession, voire qui se substitue à elle.
La spirale d'absorption vers la professionnalisation est également de plus en plus importante en raison de la technicisation des mandats. Au-delà d'un métier et d'un comportement général, être dans un exécutif impose une technicisation importante et un apprentissage substantiel. L'implication dans le mandat est de plus en plus forte. Tout ceci explique que nous nous inscrivions dans une logique de substitution à la profession. C'est cette difficulté qu'il convient de traiter.
Il existe deux façons de le faire : soit nous poursuivons la logique actuelle d'amateurisme républicain, soit la fonction d'élu est considérée comme une profession le temps de l'exercice du mandat. Certains pays (Allemagne, Espagne, Pays-Bas) ont franchi le pas. Autant certaines personnes peuvent concilier leur mandat et leur profession pendant un temps donné, autant c'est impossible pour d'autres, d'où les logiques supplétives. Le cumul des mandats était une logique supplétive, étant entendu que le cumul horizontal reste permis, ce qui pose certaines difficultés. Si nous souhaitons sortir de ces logiques supplétives, alors il convient de prendre des mesures particulières. C'est précisément l'objet de notre discussion.