Je concentrerai mon propos sur la construction juridique et l'encadrement de la notion de statut de l'élu local, même si je conviens que nous pourrions plus avantageusement parler des conditions d'exercice des élus. L'encadrement juridique du statut d'élu local concerne à la fois l'entrée dans le mandat, l'exercice et la fin de mandat. Tous les textes qui sont parus depuis 1992 et la décentralisation conduisent à une professionnalisation de fait de la fonction d'élu local. Toutefois, pour des raisons qui sont à la fois historiques et sociologiques, cette professionnalisation n'est pas totalement assumée par ceux qui font les lois. En effet, l'exercice d'un mandat n'est ni métier, ni une profession. Le principe de gratuité demeure le fondement de la légitimité et de l'identité de l'élu local. Dès lors, la rémunération ne peut être conçue qu'en tant que mécanisme de compensation d'une perte. Tel est en tout cas ce qui ressort des discours.
Dans le même temps, la codification successive juridique vient consacrer l'idée d'une professionnalisation et d'un encadrement de plus en plus fort de l'exercice des mandats locaux, y compris dans l'optique d'une harmonisation avec le statut de parlementaire. En termes de recherche, cette construction juridique est intéressante Les débats sont un moment privilégié et un révélateur de la manière dont les élus parlent d'eux-mêmes.
Le débat sur la crise des vocations est récurrent chaque fois qu'il est question de codification juridique. En 2000, il était déjà question de crise des vocations. Pourtant, au final, 95 % des élus locaux s'étaient représentés. Il sera intéressant de voir ce qu'il en sera l'année prochaine.
Au-delà, ce qui est en jeu aujourd'hui, c'est l'identité de l'élu, qu'il soit local ou non. Le sujet touche à la question de la reconnaissance et de la place de l'élu dans la société. L'élu s'affirme toujours comme un généraliste de l'action publique, mais dans le même temps, il est obligé de se techniciser et de monter en compétences, ce qui n'est pas nécessairement bien perçu par les citoyens. Dès lors, les élus se retrouvent parfois en situation de tension schizophrénique entre la réalité de l'exercice de leur mandat et la manière dont ils doivent affirmer leur identité vis-à-vis de l'extérieur. La crise des vocations traduit l'émergence de ce qui se joue au travers de la notion d'identité, voire d'identité professionnelle. Les élus qui exercent leur mandat à plein temps sont des professionnels de la politique. Certains pays l'assument, d'autres pas. Ainsi, le droit à rémunération, pourtant consacré par la charte européenne de l'autonomie locale, fait encore l'objet de réserves en France, ce qui n'est pas le cas en Allemagne ou en Espagne.
Chez nous, nombreux sont ceux qui considèrent par principe que les élus ne peuvent pas être des fonctionnaires. Et pourquoi pas ? En quoi serait-ce tabou au regard de la technicisation croissante et de la montée en compétences des élus sur leurs dossiers ? Ce n'est pas une question de niveau d'exercice du mandat. Ainsi, le maire d'une petite commune rurale est contraint de monter en compétences quasiment au même niveau que le maire d'une grande ville car il ne dispose ni des mêmes moyens, ni du même staff.
D'ailleurs, la crise des vocations touche particulièrement les maires, dont l'investissement en temps n'est pas reconnu à sa juste valeur. Il s'agit du coût caché de la démocratie, mais il n'est pas assumé comme tel. L'interrogation est légitime, mais elle est difficile à faire passer dans les représentations collectives de la démocratie. La professionnalisation est inéluctable. A ce jour, elle n'est pas totalement assumée. Le fait que nous soyons contraints d'interroger la notion de statut et sa pertinence est très révélateur de notre hésitation à construire une nouvelle identité professionnelle pour les élus. En la matière, il ne s'était quasiment rien passé entre 1982 et 1992. L'activité de codification a ensuite été très intense jusqu'en 1999. C'est de nouveau le cas actuellement. Le traitement du sujet n'est donc pas linéaire. En revanche, la rémunération a toujours été au coeur des dispositifs qui ont été mis en place pour encadrer le statut de l'élu local.