Intervention de Patrick Le Lidec

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 12 avril 2018 : 1ère réunion
Table ronde réunissant des auteurs de travaux parlementaires et des chercheurs dans le cadre des travaux de la délégation sur le statut des élus locaux

Patrick Le Lidec, chargé de recherche au CNRS et à Sciences Po :

Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me permettrai d'enfoncer le clou sur la tension qui existe entre la conception ancienne de l'exercice des mandats locaux, au coeur de laquelle est inscrit le principe de gratuité, et le refus du statut de quasi fonctionnaire. Cette dimension me semble tout à fait centrale. Tous les éléments qui ont été rappelés à propos de la loi du 3 février 1992 montrent bien que le processus de professionnalisation et l'adoption de dispositions statutaires couvrent toutes les dimensions d'un exercice professionnel de la fonction d'élu. Dans le même temps, nous restons au coeur de la professionnalisation déniée. De ce point de vue, il est nécessaire de sortir de l'ambiguïté de la loi de 1992, qui portait sur les conditions d'exercice des mandats locaux, et non sur le statut de l'élu. A l'époque, le ministre de l'Intérieur avait bien précisé qu'il n'était pas question de professionnaliser les élus locaux, et encore moins de les fonctionnariser.

La réalité actuelle est bien que l'exercice de la fonction d'élu s'est très fortement professionnalisé. Il faut donc accepter ce mouvement, malgré le contexte de crise économique, qui a abouti à désacraliser la fonction d'élu dans de nombreux pays européens.

Le développement de l'intercommunalité a été un moyen de professionnaliser les élus, alors que le statut antérieur était très « bricolé ». Les rémunérations des élus ont augmenté de manière très importante. Les lois de 2010 et 2014, qui ont complètement refondu la carte intercommunale, réduit très fortement le nombre de vice-présidences et imposé aux élus municipaux des partenaires qu'ils n'avaient pas choisis, pèsent très fortement sur le contexte dans lequel le débat est posé. Pour autant, même si en arrière-fond les discours désignent assez volontiers les élus à la vindicte populaire dans l'ensemble des pays occidentaux, il faut accepter d'en finir avec une conception anciennement notabiliaire. Cela suppose de revisiter le sujet des rémunérations, à la fois sous l'angle d'un plancher et d'un plafond. Dans un certain nombre de domaines, le cumul des mandats et les structures intercommunales se sont développées. Les parlementaires ou les préfets qui se retrouvent en situation de devoir refondre la carte des syndicats intercommunaux nous expliquent souvent que la question indemnitaire se trouve en arrière-plan des discussions.

Je crois qu'il est temps d'assumer pleinement une approche « à l'allemande » qui consiste à dire que la démocratie a un prix, sauf à considérer que seuls les plus riches sont en capacité d'exercer des mandats d'élus. Si ce n'est plus notre conception, alors nous devons aller vers la normalisation et sortir du bricolage républicain construit sous la IIIe République, confortée sous la IVe et amplifiée sous la Ve, et qui a consisté à multiplier un certain nombre de mandats et de fonctions, permettant de créer des statuts et des rémunérations de fait, mais très inégalitaires car déconnectant totalement le temps de travail de la rémunération. Certaines fonctions extrêmement chronophages sont peu rémunérées, quand d'autres fonctions sont bien payées pour très peu d'activité. Arrêtons cet entre-deux. Le monde a changé. Acceptons d'en tirer les conséquences pour ce qui concerne le statut des élus.

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