Intervention de Jean-Pierre Moga

Commission des affaires économiques — Réunion du 30 mai 2018 à 9h30
Proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre MogaJean-Pierre Moga, rapporteur :

Merci, tout d'abord, de m'avoir désigné comme rapporteur sur cette proposition de loi qui est une initiative majeure du Sénat. Je mesure toute l'importance de cette mission: dans ces temps à la fois troublés et traversés d'une vague d'optimisme, nous lançons un signal très fort à une France qui se sent oubliée. Je rappellerai d'abord l'origine de cette initiative et le puissant courant de ralliement qu'elle suscite. En juillet 2017, nos deux délégations sénatoriales aux collectivités territoriales et aux entreprises ont décidé d'élaborer un programme national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Au départ, ce combat était très loin d'être gagné car notre pays vivait encore sur sa tendance lourde à surestimer et, une fois de plus, à surtransposer la contrainte européenne de liberté d'installation. Le résultat, avec cette barrière à la fois juridique et mentale, c'est une France, quasiment « championne du monde de la facilité de créer des grandes surfaces, surtout en périphérie. Dans le sillage de cette évolution, ou parallèlement, notre pays a trop souvent cédé à une culture du déménagement des services publics, des installations de santé - pour ne citer que ces exemples - en dehors des centres-villes.

Et pourtant, au final, le travail sénatorial intense et intercommission a débouché sur un succès inédit : un texte - j'allais dire une « boite à outils » - de 31 articles qui a anticipé le tournant de la jurisprudence européenne du 30 janvier 2018 (arrêt dit « Visser ») et surtout établi un record avec plus de 230 signataires. J'ajoute qu'immédiatement après sa publication, nombre de députés ont présenté, dans la discussion du projet de loi ELAN, des amendements calqués sur cette initiative. Une telle réussite s'explique d'abord par l'importance et le nombre des sujets traités avec, en particulier, le logement, l'animation commerciale, l'équilibre de nos territoires, le poids des contraintes sur les élus de terrain et les distorsions fiscales. Au-delà de ces analyses sectorielles et des intérêts qui s'affrontent, Rémy Pointereau et Martial Bourquin nous ont ralliés à l'idée que les centres-villes et centres-bourgs représentent encore plus que la somme des composantes que je viens d'énumérer : c'est un « enjeu de civilisation ». La meilleure mesure de cet enjeu, ce sont les effets dévastateurs du sentiment d'abandon et de la perte de lien qui résultent de la dévitalisation de nos centres-villes. Économiquement et socialement, le chiffrage précis de ces dégâts est très difficile - cela nous renvoie au vieux problème de l'évaluation du « Bonheur National Brut ». En revanche, les indicateurs électoraux envoient des signaux très clairs : la montée des extrêmes est très bien corrélée avec les « rideaux baissés » - je ne parle pas seulement des commerces - qui s'accompagnent d'une montée de l'insécurité et du découragement.

Confrontés à un tel défi, il faut rassembler toutes les bonnes volontés et affirmer notre volonté d'articuler les initiatives parlementaires et gouvernementales. Je rappelle que le Gouvernement a présenté en décembre 2017 un programme intitulé « Action Coeur de Ville ». Piloté par le ministre de la Cohésion des territoires, il concerne 222 villes ou binômes de villes sélectionnés le 26 mars 2018, sur proposition du ministre, par un comité national de pilotage. 5 milliards d'euros sur cinq ans seront mobilisés pour les études, l'ingénierie et la mise en oeuvre des projets. Ce plan est assorti d'un support juridique qui figure à l'article 54 du projet de loi dit ELAN : un contrat unique et global pour porter chaque Opération de Requalification des Territoires (ORT).

Bien au-delà du champ couvert par le plan gouvernemental, l'initiative sénatoriale vise à proposer des dispositifs pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs : pour ces cibles de taille plus petite, il faut une approche particulière. Certes le Gouvernement pourra faire observer que rien n'empêche d'autres villes que les 222 sélectionnées de signer une convention ORT, mais l'intérêt sera très limité puisqu'elles seront en dehors du programme financier de 5 milliards d'euros. À l'évidence, le constat ainsi que les objectifs de ces deux démarches sont donc consensuels et complémentaires et il faut les rassembler sous une bannière commune : je vous suggérerai un amendement qui donne un socle législatif à l'exigence de préservation de la vitalité des centres-villes dans toutes ses dimensions.

J'ai entendu une cinquantaine d'intervenants, qui ont exprimé un enthousiasme quasi unanime sur la proposition de loi, surtout à l'égard de son volet non fiscal. Pour mémoire, les 31 articles du texte se répartissent en trois ensembles : un important bloc fiscal qui sera examiné mardi prochain par la commission des finances sur la base d'une délégation au fond de neuf articles, un volet normatif et institutionnel de seize articles et six articles mixtes sur lesquels les commissions des finances et de la culture émettent un avis.

Pour la plupart des représentants des collectivités territoriales, et tout particulièrement les maires ruraux, cette proposition de loi est une véritable « bouffée d'oxygène ». Les maires des petites communes se sentent aujourd'hui pris en étau entre « l'inertie et l'illégalité » au moment où il leur faut prendre en compte les transformations profondes des attentes et des modes de vie. Cela s'explique bien entendu par l'accumulation des normes et des procédures mais aussi par la tendance de certaines administrations ou de certains agents à les appliquer de façon maximaliste ou tatillonne. Au total, la vélocité de l'action publique locale a beaucoup diminué par rapport aux années 1990 où on pouvait agir plus simplement et plus vite : c'est un paramètre clef et un facteur de découragement pour les élus. L'initiative sénatoriale suscite donc un très grand espoir : elle séduit par sa transversalité mais les maires ruraux craignent que l'audace et le volontarisme de ce texte se heurte à des craintes et des oppositions.

Le bilan global des auditions est cependant plutôt rassurant à cet égard: il s'en dégage un consensus beaucoup plus large que prévu sur le volet non fiscal. Je crois que notre pays souhaite à présent inverser la montée de la complexité et de la paralysie. Bien entendu, je mets à part la question des nouveaux prélèvements : quelques dispositions sont vivement critiquées - comme la taxe sur les livraisons du e-commerce. Pour sa part, le Gouvernement sort son « joker » : il attend les conclusions du rapport commandé à l'Inspection générale des finances et souhaite reporter le débat à l'examen du projet de loi de finances sur la fiscalisation du commerce électronique et le rééquilibrage entre les différentes formes de distribution.

Pour la mise en oeuvre concrète de ce programme sénatorial de revitalisation des centres-villes, il convient de rappeler brièvement la hiérarchie des priorités ainsi que les principaux défis à relever. Je retiens des auditions plusieurs idées directrices. Comme le confirment les meilleurs praticiens, l'essentiel - peut-être plus encore que les financements - est d'abord de mettre la compétence et l'ingénierie à la disposition des territoires qui en ont le plus besoin. La question foncière est également vitale et on constate, dans ce domaine, de très grandes inégalités entre les territoires. Ceux qui sont dépourvus d'établissements publics fonciers (EPF) seront renvoyés à eux-mêmes et c'est pourquoi l'article 24 de la proposition de loi mobilise statutairement les établissements locaux et de l'État sur la question des centres-villes. La revitalisation dépendra aussi et surtout de la capacité à mobiliser des opérateurs privés dans le secteur du logement et du tertiaire : les dispositions relatives à l'attractivité fiscale et à la simplification des normes prennent ici tout leur sens. Pour donner aux petits centres-villes un avantage comparatif par rapport aux métropoles où la croissance se diffuse beaucoup plus facilement, il faudrait accorder aux territoires en difficulté une priorité pour des innovations majeures : par exemple, y déployer la 5 G en premier. Enfin, la présence des maisons de santé ou les hôpitaux en coeur de ville sont des éléments fondamentaux de choix résidentiel pour les familles avec des jeunes enfants ou les personnes âgées.

J'en viens à l'examen plus précis de l'ensemble des articles pour vous annoncer les modifications que je vous soumettrai. L'article 1er vise à créer une faculté de recours à des opérations de sauvegarde économique et de redynamisation « OSER » de certains centres-villes et centres-bourgs. Cet article fournit également des critères de délimitation du périmètre de ces interventions. C'est la pierre angulaire de cette proposition puisque qu'il détermine l'application de plusieurs régimes dérogatoires et de mesures exceptionnelles. Je vous suggèrerai plusieurs amendements pour étendre, compléter et préciser ce dispositif, sur la base de trois idées. Tout d'abord, donner un socle commun à l'ensemble des 31 articles de ce texte et à toutes les initiatives qui poursuivent un objectif similaires ; j'y reviendrai plus précisément lors de l'examen des amendements mais je vous précise ici qu'à mon sens, il est impératif de mentionner, comme condition essentielle de la revitalisation un effort particulier en matière de sécurité publique. Ensuite, je vous propose de mieux prendre en considération, dans les critères d'identification des centres-villes et centres-bourgs pouvant bénéficier d'une opération de sauvegarde, l'artisanat, l'animation culturelle et l'attractivité touristique. Enfin, il me semble utile d'étendre le périmètre des opérations de sauvegarde pour les villes de moins de 10 000 habitants tout en conservant, pour les autres, le plafond prévu à l'article 1er : « 4 % de la surface urbanisée de chaque commune concernée ».

L'article 2 propose deux mesures. La première est de créer une Agence nationale des centres-villes et centres-bourgs. Certains intervenants ont bien entendu, et ils n'ont pas tort, critiqué l' « agencification » de l'État et la multiplication des organismes plutôt que de recourir à l'existant. Cependant, sur le principe, le besoin d'ingénierie des petites communes est unanimement reconnu. Ne subsiste donc que la question des modalités et, sur ce point, la solution la plus logique serait de créer un département dédié aux centres-villes dans la future agence nationale de cohésion des territoires : comme celle-ci n'en est qu'au stade de la préfiguration, cet article propose une solution d'attente parfaitement cohérente. L'article 2 étend par ailleurs, aux centres-villes faisant l'objet d'une convention « OSER », le champ d'intervention de l'établissement public national pour l'aménagement et la restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA), pour l'instant limité aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. C'est une mesure de bon sens : a priori, la principale objection pourrait venir de Bercy car cette extension appelle un renforcement des effectifs et des moyens de l'EPARECA qui est une petite structure : pour vous donner un ordre de grandeur, 60 millions d'euros seraient nécessaires pour prendre en charge 30 centres-villes supplémentaires.

L'article 4 s'inspire d'expériences réussies pour repeupler et vivifier le centre-ville. Il prévoit de mettre fin aux baux commerciaux « tout immeuble », qui ont eu pour effet de vider les étages de leurs locataires. Il interdit également de condamner les issues aux étages, avec, à titre de sanction, la constatation automatique de l'abandon manifeste d'une partie d'immeuble et l'application de la taxe annuelle sur les logements vacants. Cet article apparait, sur le terrain, comme une nécessité d'intérêt général, mais, bien entendu, les élus feront tout leur possible pour accueillir dans les meilleures conditions les commerçants et artisans qui, comme les boulangers, ont souvent besoin d'un logement juste au-dessus de leur lieu de travail.

L'article 5 vise à favoriser le maintien des services publics en centre-ville avec un droit d'information des élus et une procédure pour que ceux-ci puissent exprimer leur opposition. Cet article s'attaque donc à une des principales causes de fragilité des centres-villes et je vous propose de le soutenir sans réserve. Je précise que sont également concernés la fermeture ou le déménagement des « organismes chargés d'une mission de service public », ce qui peut, en théorie, concerner les chambres consulaires qui auront alors la possibilité d'expliquer aux élus les motifs de leur décision.

L'article 6 propose une expérimentation visant à alléger le poids des normes dans les centres-villes et centres-bourgs intégrés à un périmètre OSER. C'est un article fondamental et parfaitement consensuel. Économiquement, on ne répètera jamais assez que la ruralité a absolument besoin d'un desserrement raisonné du carcan de normes. Je m'arrête un instant sur l'aspect juridique de cet article qui propose des dérogations dans un champ très large. On pourrait, dans un premier temps, craindre une éventuelle censure par le juge constitutionnel pour un motif très souvent utilisé : l'« incompétence négative », qui sanctionne l'imprécision d'un texte. C'est ici qu'il faut saluer la rédaction très bien bordée de cet article qui procède d'une analyse subtile de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. En effet, l'incompétence négative n'est invoquée que si l'imprécision du texte risque de porter atteinte à un droit protégé par une norme supra-législative. Or le texte écarte ce risque de non-conformité en excluant du champ de la dérogation toutes les règles - internationales ou constitutionnelles - qui s'imposent au législateur. Les normes de sécurité sont, par ailleurs, sanctuarisées : il faut s'en féliciter. Le représentant de la Fédération des pompiers de France a confirmé que l'habitat ancien de centre-ville nécessite une vigilance particulière. En l'absence de réglementation, la Fédération travaille sur une démarche au cas par cas pour prévenir les risques avec une labellisation des immeubles.

L'article 7 concerne les protections patrimoniales et le rôle de l'architecte des Bâtiments de France (ABF). À mon sens, plus un sujet est passionnel et plus le législateur doit l'examiner avec sagesse et réalisme. La proposition initiale comporte quatre principales idées : l'harmonisation des décisions des ABF, la prise en compte, par les ABF, des contraintes financières qui s'imposent aux centres-villes en difficulté, l'insertion précoce de leur action dans la délimitation du périmètre des opérations de revitalisation et enfin, si l'ABF n'a pas formulé ses prescriptions en amont, une possibilité de surmonter les blocages par une possibilité de recours à un avis simple. À la suite de discussions approfondies, nous sommes parvenus à un modus vivendi : faire confiance aux ABF pour qu'ils interviennent en amont, ce qui amène à renoncer à l'avis simple tout en préservant les idées d'harmonisation et de réalisme financier. Trois raisons militent en faveur de cette solution. D'abord, elle préserve l'équilibre de la législation en vigueur à laquelle notre commission de la Culture est très attachée. Ensuite, si vous acceptez d'introduire, à l'article 1er, une obligation nationale de préserver la vitalité des centres-villes, cette injonction du législateur s'adressera non seulement à l'ABF mais aussi au préfet de région qui prend la décision finale en cas de recours. Enfin, il convient de rappeler que les normes patrimoniales permettent de bénéficier des incitations fiscales dites « Malraux ». Nous avons, de ce point de vue, tout intérêt à en maintenir le principe dans les petits centres-villes et centres-bourg car cela ouvre la voie au redéploiement du dispositif Malraux sur les territoires qui disposent de moyens beaucoup plus faibles que les métropoles. J'ai pu vérifier la solidité de cette piste fiscale au cours des auditions.

L'article 8 débaptise le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) et le recentre sur la revitalisation commerciale en centre-ville. La démarche apparaît logique, car le législateur a progressivement élargi les missions du Fisac, tandis que les crédits ont considérablement diminué pour atteindre une douzaine de millions d'euros. La proposition de loi déconcentre et décentralise la procédure d'attribution des aides. C'est un point fondamental, car à l'heure actuelle tous les dossiers remontent à Bercy : le temps, l'énergie et les sommes consacrées à l'élaboration des dossiers - qui atteignent parfois un peu moins du tiers de l'aide espérée - sont devenus inacceptables. Cet article 8 va cependant très loin en rendant éligibles aux aides les seules communes signataires d'une convention de sauvegarde. Je suggère de leur réserver une priorité plutôt qu'une exclusivité absolue, en préservant des possibilités d'aides aux villes et bourgs dépourvus de moyens. Les maires ruraux ont également raison de plaider pour la préservation du réseau des stations-service indépendantes car c'est souvent « pour faire le plein » de carburant que le consommateur va dans les grandes surfaces de périphérie : ils nous demandent de ne pas oublier que la fermeture d'une petite station-service est souvent le déclencheur de la dévitalisation.

L'article 10 prévoit de créer un fonds de garantie pour les loyers commerciaux impayés dans les centres-villes, essentiellement pour rassurer les propriétaires. L'idée semble aventureuse aux non-spécialistes mais elle séduit dans certains ministères et les experts de la Caisse des dépôts envisageraient de soutenir de tels projets en apportant une « garantie au fonds de garantie ». Je suggère donc d'approuver cette disposition, d'autant qu'elle s'appuiera logiquement sur une vérification des compétences et de la qualité du projet des commerçants qui pourraient en bénéficier.

L'article 11 propose un nouveau contrat de dynamisation liant un propriétaire à un exploitant commercial. Certains font observer qu'il soulève, de manière sous-jacente, toute la problématique du bail commercial. Certes, le rapport Rueff-Armand de 1960 sur « les obstacles à l'expansion économique » estimait que la législation française des baux commerciaux, qui permet le renouvellement indéfini du bail, est un frein important aux réaménagements de structures et à l'établissement des jeunes. Dans l'immédiat, nul ne songe à remettre en cause le bail commercial qui vient d'être rénové et qui protège les commerces rentables à long terme. Il s'agit plutôt de créer un cadre juridique facultatif et adapté à de nouvelles formes de commerces : « boutiques à l'essai », « boutique éphémères », « pop-up store ». Cet article témoigne de la volonté du Sénat de conjuguer revitalisation et innovation.

La proposition de loi comporte également un important volet relatif à l'urbanisme commercial, visant à corriger certains effets pervers de la législation ou des pratiques des instances chargées de délivrer les autorisations d'exploitation commerciale.

L'article 13 vise à modifier la composition des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) pour mieux représenter le tissu économique et les élus locaux. À cette fin, d'une part, il intègre le maire d'une des communes limitrophes dans la composition de la CDAC. D'autre part, il réintroduit des acteurs économiques - représentants de la chambre de commerce, la chambre de métiers et la chambre d'agriculture - au sein de la CDAC, sans toutefois leur conférer de droit de vote. Je vous rappelle que la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, dite LME, les avait fait disparaître en 2008 compte tenu des règles posées par la directive européenne « services » de 2006, et de la volonté de ne pas intégrer des membres qui seraient à la fois « juges et parties ». Sur le fond, la participation aux travaux des CDAC de personnes qui ont des connaissances sur l'environnement économique local est une bonne chose. Cependant, peut-on considérer que la présence des acteurs économiques comme membres de la CDAC n'encoure pas les mêmes critiques qu'en 2008, quand bien même ils n'ont pas de droit de vote ? Il y a là un potentiel risque juridique, mis en exergue au cours des auditions. Je vous proposerai, par un amendement, de ne pas faire rentrer ces représentants parmi les membres de la CDAC, mais en revanche d'exiger leur consultation avant que la CDAC ne délibère.

L'article 14 propose d'abaisser les seuils d'autorisation d'exploitation commerciale. Il vise, d'une part, à soumettre à autorisation de la CDAC les espaces de stockage principalement destinés au e-commerce et, d'autre part, à abaisser, hors du périmètre OSER, de 1 000 à 400 m2 le seuil d'autorisation d'exploitation commerciale. Ce seuil de 1 000 m2 serait donc maintenu dans le périmètre OSER, mais le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'EPCI pourrait l'abaisser de 1 000 à 400 m2. Ce dispositif, dont je partage la finalité, soulève quelques observations. D'abord, s'agissant de l'espace de stockage, je soutiens pleinement le principe d'une autorisation, mais il y aura en pratique certaines difficultés à déterminer si l'espace est « principalement » destiné à l'e-commerce, car de plus en plus, les enseignes font de la distribution « omni-canal » et utilisent les mêmes entrepôts. En outre, on sort quelque peu de l'épure du régime d'autorisation qui vise seulement les espaces de commerce. C'est néanmoins un signal fort, et pour cette raison, j'entends le conserver. Ensuite, on peut se poser la question de l'existence même d'un seuil dans le périmètre OSER. On peut noter que, par rapport au projet de loi ELAN, la position est plus restrictive (absence d'autorisation dans le périmètre ORT). Le choix procède néanmoins d'un équilibre que je n'entends pas remettre en cause à ce stade.

L'article 15 a pour ambition de rendre plus performante l'évaluation des projets d'implantation commerciale en prenant mieux en compte leurs effets sur les territoires. A cette fin, il propose, d'abord, d'instituer un lien de conformité (et non plus de compatibilité) entre le SCOT et la décision d'autorisation d'exploitation commerciale, ensuite, de renforcer la prise en compte de critères de revitalisation commerciale, de coûts supportés par la collectivité du fait de l'implantation notamment en termes d'infrastructures et de transports, en troisième lieu, d'imposer une étude d'impact démontrant les effets concrets du projet ainsi que l'absence de friches existantes en centre-ville susceptible d'accueillir le projet, et enfin d'interdire la délivrance ou cession d'une autorisation à des exploitants illégaux de commerce. Je suis très favorable à ces dispositions, qui imposeront aux CDAC de mieux prendre en compte l'effet des projets sur le commerce de centre-ville ou de centre-bourg.

L'article 16 vise à garantir le respect des décisions des CDAC et sanctionner les cas d'exploitation illicite. Cet article vise, par rapport à l'état du droit, trois objectifs : imposer la délivrance, par un organisme privé habilité par le représentant de l'État dans le département, d'un certificat attestant du respect des conditions de l'autorisation d'exploitation commerciale ; permettre aux agents municipaux de constater le non-respect, au même titre que la DGCCRF ; et enfin, instaurer une obligation (et non plus une faculté) pour le préfet de mettre en demeure l'exploitant illicite de fermer au public ou de modifier sa surface de vente pour respecter l'autorisation ; et de prendre, en cas de mise en demeure restée sans effet, un arrêté ordonnant la fermeture au public assortie d'une astreinte journalière. L'absence de contrôle du respect des autorisations est aujourd'hui l'une des principales difficultés d'application de la législation actuelle. Ces dispositions devraient y remédier.

L'article 17 prévoit de renforcer l'obligation de démantèlement et de remise en état des sites sur lesquels une exploitation commerciale a cessé. Il s'inspire à cet effet des mécanismes prévus pour les installations classées du code de l'environnement, en prévoyant, d'abord un contrôle du préfet sur les dispositions prévues par le propriétaire en vue du démantèlement ou de la remise en état du site. Il vise ensuite à instituer un mécanisme de mise en demeure obligatoire par le préfet, en l'absence de dispositions ou en cas de carence de ces dispositions, et, en cas de mise en demeure restée sans effet, de consignation auprès d'un comptable public de la somme correspondant au montant des travaux à effectuer. En l'absence de travaux dans un délai de trois ans, des travaux aux frais du propriétaire pourront être prescrits d'office. Enfin, cet article prévoit d'interdire la délivrance d'une nouvelle autorisation d'exploitation commerciale pour un propriétaire qui n'aurait pas respecté ses obligations de démantèlement et de remise en état. Je suis également favorable à ces dispositions, car trop de sites commerciaux sont laissés à l'abandon aujourd'hui. Une remarque cependant : l'interdiction de délivrance d'une nouvelle autorisation risque d'avoir peu d'impact en pratique : d'une part, la procédure d'autorisation est décentralisée, et il n'y a pas de « base centralisée » des décisions, sauf pour celles transmises à la CNAC ; d'autre part, au sein des groupes de la grande distribution, les propriétaires des sites sont souvent des personnes/sociétés différentes.

L'article 18 a pour objet de renforcer la portée des décisions des CDAC. Dans cette perspective. Il prévoit que la CNAC ne peut réformer qu'à l'unanimité de ses membres la décision d'une CDAC, lorsque celle-ci a refusé de délivrer une autorisation d'exploitation commerciale : dans cette hypothèse, la CDAC peut, à l'unanimité de ses membres, maintenir sa décision qui se substitue alors à celle de la CNAC. Cet article prévoit également l'audition d'un représentant de la CDAC, à sa demande, devant la CNAC avant que celle-ci ne statue. La CNAC étant une instance d'appel et d'harmonisation nationale des décisions des CDAC, il semble assez contestable de créer un mécanisme de substitution de sa décision par celle de la CNAC. L'obligation d'une décision à l'unanimité devrait, en pratique, rendre à elle seule plus difficile la réformation des décisions d'interdiction des CDAC. Cela peut sembler suffisant et, en conséquence, je vous proposerai donc un amendement supprimant cette substitution.

L'article 19 instaure un droit d'opposition du préfet à une autorisation d'exploitation commerciale pour assurer la cohérence avec l'intervention de la puissance publique. Il impose au préfet, en tant que président de la CDAC, d'une part, de donner un avis, rendu public, sur chaque projet présenté et, d'autre part, de s'opposer, par arrêté motivé, à une décision d'autorisation d'exploitation commerciale qui irait à l'encontre des objectifs poursuivis par l'État, via ses engagements financiers, dans la commune ou l'EPCI d'implantation. À nouveau, je partage tout à fait l'objectif : les décisions d'autorisation commerciale ne doivent pas remettre en question des politiques de revitalisation a fortiori appuyées par l'État. Cela dit, je m'interroge sur le dispositif. Le préfet est aujourd'hui président de la CDAC, mais sans droit de vote. Faut-il pour autant prévoir un droit d'opposition, d'autant que le préfet peut saisir la CNAC en appel ? En outre, le mécanisme de substitution de sa décision à celle de la CDAC est discutable sur le plan des principes, car la décision doit rester collégiale. Je vous proposerai un amendement visant à supprimer ce droit d'opposition et, en contrepartie, à donner un droit de vote au préfet dans la CDAC.

L'article 20 exonère d'autorisation d'exploitation commerciale en centre-ville certains types de commerces. Il étend la liste des dérogations actuelles : d'abord aux magasins de ventes de produits alimentaires en circuit court de moins de 1 500 m2, ensuite aux projets d'implantation sur des friches commerciales « en centre-ville », d'une surface de vente de moins de 1 500 m2, et enfin, dans le périmètre OSER, aux surfaces de ventes créées dans le cadre d'une opération immobilière « mixte » - commerce/logements - à condition que la surface de vente soit inférieure au quart de la surface de plancher des logements. Une observation : si la notion de friche commerciale est juridiquement définie par le code général des impôts, celle de centre-ville ne l'est ni par un texte en vigueur, ni par la présente proposition de loi. Déterminer quelle opération sera éligible ou non en pratique à cette exonération sera difficile... Mais la notion est déjà utilisée au même article pour les gares... Maintenons-là !

L'article 21 institue des moratoires locaux d'implantation de nouvelles activités commerciales dans des zones en difficulté. À cette fin, il donne au préfet le pouvoir de refuser l'enregistrement ou de suspendre l'examen d'une demande d'autorisation d'aménagement commercial en vue d'une implantation sur le territoire d'une commune ou d'un EPCI signataire d'une convention OSER, mais hors du périmètre OSER, pendant une durée d'un an, renouvelable dans la limite de la durée de la convention OSER. Saisi par une commune ou l'EPCI signataire de la convention OSER, il s'agirait d'une obligation pour le préfet. Le texte prévoit également la faculté, pour le préfet, d'étendre, à son initiative ou à celle d'un maire ou président d'EPCI « à d'autres communes du département », hors périmètre OSER, le refus d'enregistrement ou la suspension d'examen, si les projets concernés sont de nature à mettre en péril des conventions OSER.

La mise en place d'un moratoire est une mesure effectivement souhaitable, et un système de refus/suspension semblable est d'ailleurs également prévu dans le projet de loi ELAN. Le dispositif proposé suscite néanmoins une observation : il ne prévoit pas la consultation des communes/EPCI concernés, ce qui serait souhaitable afin que le préfet agisse en toute connaissance de cause. Je proposerai donc un amendement en ce sens.

L'article 22 propose de rendre le document d'aménagement artisanal et commercial (DAAC) obligatoire et prescriptif. Pour ce faire, il vise, d'une part, à rendre obligatoire, au sein du SCOT, la définition d'un DAAC, tout en étendant son objet aux impacts sur le commerce de centre-ville ; d'autre part, il prévoit d'imposer au DAAC de préciser, outre les conditions d'implantation des commerces, les types d'activité et les surfaces de vente. Je comprends la philosophie du dispositif et la partage pleinement. Mais la mesure proposée soulève deux observations : en premier lieu, alors que le SCOT est un document d'orientation, le DAAC - intégré au Document d'orientation et d'objectifs du SCOT - serait lui prescriptif. L'articulation au sein d'un même document d'urbanisme n'est pas forcément évidente ; en second lieu, définir les types d'activité et les surfaces de vente autorisées au sein du DAAC impliquera une grande dextérité juridique : il faudra ainsi à chaque fois justifier précisément, au regard de la récente jurisprudence de la CJUE, dans quelle mesure ses prescriptions sont justifiées et proportionnées au regard du motif impérieux d'intérêt général qu'est la préservation d'une activité commerciale de centre-ville. Pour éviter une censure, les collectivités devront donc être bien accompagnées juridiquement.

Enfin, les article 23, 24 et 25 sont consensuels et n'appellent pas de remarques particulières. Ils visent à spécifier l'impératif de la prise en compte des centres-villes et centres-bourgs par les programmes locaux de l'habitat (c'est l'article 23), par les Établissements Publics Fonciers locaux et de l'État (article 24) et par le fonds national des aides à la pierre (FNAP).

J'en ai terminé pour cette présentation des grandes lignes de mon rapport sur ce texte dont les auteurs méritent un hommage appuyé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion