La proposition de loi a été déposée par Claude Nougein et Michel Vaspart. Elle sera discutée en séance publique le jeudi 7 juin. Elle est la traduction législative de certaines propositions formulées dans le rapport d'information rédigé il y a un an sur le sujet par nos deux collègues, au nom de la délégation aux entreprises du Sénat.
Ce rapport est l'un des tout premiers à aborder la question de la transmission d'entreprise dans toutes ses dimensions et les personnes auditionnées ont salué sa grande qualité. Il souligne l'enjeu économique majeur de cette transmission pour le dynamisme et l'attractivité de nos territoires et pour l'emploi, alors que les dirigeants d'entreprise vieillissent. Chaque année, plus de 100 000 emplois seraient supprimés dans les petites et moyennes entreprises en France, faute de repreneurs.
Le rapport formulait 27 propositions destinées aussi bien à favoriser l'information sur les possibilités de reprise d'entreprise qu'à simplifier et moderniser le cadre fiscal et économique de la transmission, ou encore à accompagner plus efficacement les reprises internes, par les salariés.
Elles sont en partie reformulées dans les 18 articles de la présente proposition de loi, dont la nature principalement économique et financière a justifié le renvoi devant la commission des finances, laquelle a désigné Christine Lavarde comme rapporteure.
Notre commission a décidé, le 16 mai dernier, de se saisir pour avis des articles 5, 14, 15 et 16 en raison de leur caractère social et a reçu délégation au fond de la commission des finances pour leur examen.
L'article 5 s'appuie sur le constat que les structures d'enseignement pour les futurs dirigeants d'entreprise, qu'il s'agisse de formation initiale ou de formation continue, valorisent plus la création que la reprise. Or l'analyse du taux de survie des entreprises quelques années après leur création ou leur reprise le montre, celles qui ont été reprises tiennent mieux le choc que celles qui ont été créées.
Cet article reprend donc la proposition n° 6 du rapport visant à mieux « orienter les démarches de promotion de l'entrepreneuriat vers la reprise d'entreprise (cursus universitaires, écoles de commerce, apprentissage, dispositifs locaux et nationaux...) ».
Il modifie un article du code du travail et un article du code de l'éducation pour reconnaître la spécificité des formations pour la création et la reprise d'entreprise, du droit à l'orientation professionnelle tout au long de la vie et du droit de tout jeune à bénéficier d'une formation professionnelle.
Si l'intention est louable, je m'interroge toutefois sur la portée normative de cette disposition et sur les risques futurs d'inflation législative qu'elle entraîne. Le Sénat se voulant vigilant en la matière, je vous proposerai un amendement de suppression de cet article, en précisant toutefois que la nécessaire promotion de la reprise d'entreprise peut passer par des incitations non législatives.
Les articles 14, 15 et 16 concernent la reprise interne, plus particulièrement du « droit à l'information préalable des salariés » (DIPS), en cas de vente de l'entreprise.
La loi « Hamon » du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire a instauré une obligation d'information des salariés, dans les entreprises de moins de 250 salariés, de tout projet de cession, à titre gratuit ou onéreux, en vue de favoriser les reprises internes.
Ce dispositif s'inscrivait dans la continuité de la loi de 2013 relative à la sécurisation de l'emploi et celle de 2014 visant à reconquérir l'économie réelle, qui avaient instauré, dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, une obligation d'information préalable des employés et l'obligation de chercher un repreneur pour tout projet de fermeture d'établissement entraînant un licenciement collectif.
Dans les PME, le droit à l'information préalable des salariés en cas de cession s'est très rapidement révélé contre-productif. Tout d'abord en raison de son caractère systématique, y compris dans les situations où un repreneur est pressenti. L'obligation d'information peut alors compromettre la confidentialité des négociations et menacer la reprise.
Ensuite, le délai de deux mois entre la notification de l'information aux salariés et la possibilité de procéder à la cession apparaît trop court pour permettre aux salariés de s'organiser, trop long pour éviter que l'entreprise ne pâtisse, auprès de ses clients et fournisseurs, de la vulnérabilité qu'entraîne l'officialisation de son projet de cession.
Enfin, en cas de défaut d'information, le juge de commerce pouvait prononcer l'annulation de la cession, ce qui faisait régner une très grande incertitude juridique. Une telle annulation n'était profitable ni au cédant, ni au repreneur, ni aux salariés.
C'est la raison pour laquelle la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi « Macron », a limité le DIPS aux seuls cas de vente d'une entreprise, non plus à la cession en général, et a transformé la sanction de nullité relative en amende civile d'un montant maximal équivalent à 2 % du montant de la vente.
Malgré cette limitation substantielle, la délégation sénatoriale aux entreprises persiste dans la critique du dispositif, qui ne semble pas avoir favorisé la reprise interne des entreprises mais qui demeure une source de préoccupation pour les chefs d'entreprise. Ces derniers préfèrent, souvent, provisionner le montant de l'amende éventuelle plutôt que d'informer leurs salariés, par crainte de nuire à la confidentialité des négociations. Le risque de sanction fait désormais partie de la négociation entre cédants et repreneurs et peut avoir un impact sur le prix de la cession.
Aussi, l'article 14 de la proposition de loi abroge purement et simplement le dispositif, conformément à la position constante du Sénat depuis 2014 de limiter au maximum cette obligation. C'est du reste grâce à un amendement du Sénat, adopté en première lecture, que le Gouvernement avait pu réformer ce dispositif lors de la nouvelle lecture de la loi Macron à l'Assemblée nationale.
Je vous proposerai donc de voter l'abrogation de ce droit, dont la défense n'a suscité aucun empressement de la part des organisations syndicales de salariés que j'ai consultées. Le calendrier très contraint et la conjoncture expliquent peut-être leurs difficultés pour me répondre dans les temps...
Les articles 15 et 16 me paraissent plus problématiques, voire contradictoires, au regard de la volonté affichée de simplifier la vie des entreprises, dans le respect des droits des salariés.
En effet, l'article 15 instaure, à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, une obligation d'information des salariés sur les possibilités et les aides pour la reprise interne de l'entreprise. Cette obligation incombe aux administrateurs ou aux mandataires judiciaires. Or le code de commerce dispose déjà que l'administrateur judiciaire doit informer les salariés de la possibilité de formuler une offre de reprise dans le cadre d'un redressement judiciaire.
L'article crée une obligation d'information sur les aides à la reprise. Mais le risque de contentieux est important. En effet, les aides peuvent varier considérablement d'un territoire à l'autre et il n'existe pas d'inventaire permettant à l'administrateur judiciaire de s'assurer que l'information donnée est exhaustive. Un salarié pourrait contester la cession de son entreprise au motif que l'administrateur aurait oublié une forme d'aide. Je vous proposerai donc un amendement de suppression de cet article.
Je vous soumettrai une nouvelle rédaction de l'article 16 pour supprimer là encore l'obligation d'information sur les aides, cette fois dans le cadre de l'obligation de recherche d'un repreneur pour un établissement appartenant à une entreprise de plus de 1 000 salariés.
L'article porte une seconde disposition, dont la rédaction me semble insuffisamment protectrice pour les salariés. Il limite l'obligation de recherche aux seuls cas de fermeture pour cause de cessation d'activité. Ainsi, les employeurs qui déménageraient simplement leur établissement n'y seraient plus soumis.
Je suis favorable à cette simplification, sauf pour les transferts en dehors du bassin d'emploi. L'obligation de rechercher un repreneur augmente en effet les chances de conserver de l'activité et de l'emploi sur place. Je vous proposerai dons de ne supprimer l'obligation que dans le cas des transferts au sein d'un même bassin d'emploi.
Conformément à l'usage, les amendements que notre commission adoptera sur les articles dont l'examen lui a été délégué au fond seront intégrés au texte adopté par la commission des finances.
Je félicite Claude Nougein et Michel Vaspart pour le travail qu'ils ont fourni au nom de la délégation des entreprises et les remercie pour l'intérêt de leur proposition de loi, sur laquelle je vous propose d'émettre un avis favorable, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumets.