Cette proposition de loi, issue des préconisations d'un rapport d'information déposé au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises en février 2017 et présenté lors de la journée des entreprises du Sénat en mars de la même année, a le mérite de s'intéresser à la transmission d'entreprise, sujet vital pour l'économie française, en particulier dans les territoires ruraux. Il s'agit également d'un sujet d'actualité, alors que le Gouvernement présentera bientôt son projet de loi dit « Pacte ».
En France, les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) représentent la majeure part de l'emploi : 20 % des dirigeants des PME sont âgés de plus de 60 ans et plus de 60 % des dirigeants d'ETI ont au moins 55 ans. Il s'agit donc d'un véritable sujet, le nombre d'entreprises à transmettre dans les prochaines années étant appelé à augmenter considérablement.
Or la transmission d'une entreprise constitue un moment délicat : l'existence d'un repreneur intéressé et l'accès au financement constituent deux difficultés, auxquelles s'ajoute la question du maintien de l'emploi dans les territoires - les repreneurs pouvant être tentés de réduire la masse salariale, par exemple à travers des fusions ou des délocalisations. Cette proposition de loi vise justement à apporter des réponses permettant de maintenir l'emploi dans les territoires ruraux, notamment via une transmission familiale facilitée pour les PME, les ETI ou les entreprises individuelles.
Les difficultés liées à la transmission des entreprises sont identifiées depuis longtemps et ont donné naissance à de nombreux dispositifs fiscaux incitatifs, dont certains peuvent se cumuler. Le sujet dépasse d'ailleurs les clivages politiques : le dispositif « Dutreil », principal dispositif fiscal en la matière, qui prévoit une réduction de 75 % des droits de mutation à titre gratuit sous certaines conditions, a d'abord été introduit par un amendement de Didier Migaud, en 2000, avant d'être rendu plus incitatif par Renaud Dutreil.
Le sujet n'est donc pas nouveau. Toutefois, la délégation innove, eu égard au champ très large de ses travaux. Elle ne s'est pas limitée aux questions fiscales. Elle a cherché à lever les freins aux reprises liés à des complexités du droit du travail : ces quatre articles de la proposition de loi ont été délégués pour leur examen au fond à la commission des affaires sociales.
Par ailleurs, les analyses de la délégation ne portent pas seulement sur les très petites entreprises ou sur les PME, mais incluent bien les ETI, qui représentent la majeure part des créations d'emploi en France. L'envergure du travail mené se reflète dans les auditions réalisées : la délégation a rencontré pas moins de 39 organismes ou institutions. Le travail réalisé par la délégation nous a permis, compte tenu du temps contraint dont nous avons disposé pour examiner cette proposition de loi, de ne pas mener de trop nombreuses auditions.
Il faut d'ailleurs souligner que les réflexions de la délégation ont débuté très en amont des réflexions actuelles sur la loi « Pacte ». La largeur de vue de la délégation aux entreprises se reflète dans la variété et l'ambition des dispositions législatives que nous examinons aujourd'hui : la proposition de loi compte 18 articles et remanie 13 dispositifs fiscaux.
Les travaux menés par la commission des finances ont été plus resserrés dans le temps et dans leurs ambitions. Face à une proposition de loi très dense, nous avons surtout cherché à expertiser la faisabilité technique des propositions et leur coût pour les finances publiques. Or il est quasiment impossible d'évaluer ce dernier. Les lacunes statistiques empêchent tout chiffrage précis des dispositifs existants, proposés ou amendés.
Sur de nombreux sujets, les analyses de la commission des finances sont parfaitement convergentes avec celles de la délégation aux entreprises. Afin de comprendre l'origine des carences statistiques mise en évidence par la délégation, nous avons rencontré des représentants de l'Insee. Tout d'abord, la remontée d'information est défaillante : beaucoup de déclarations réalisées par les entreprises et les particuliers ne sont pas exploitées. En outre, même si certaines déclarations ont un caractère obligatoire à différents moments de la vie d'une entreprise, elles peuvent s'avérer lacunaires, le non-remplissage d'une case n'étant pas bloquant. Dans le cas d'une cessation d'entreprise, il n'existe aucune incitation pour le chef d'entreprise à déclarer, compte tenu justement de la disparition de l'entreprise.
Si nous voulions disposer de statistiques fiables, il faudrait imposer beaucoup plus de contraintes aux entreprises. Tel n'est pas le sens de l'histoire. Il faut trouver un juste milieu entre besoins d'information statistique et facilité de gestion des entreprises.
Le programme de travail de l'Insee ne relève pas de la loi, raison pour laquelle je vous propose de supprimer l'article 1er. Nous devrons cependant nous montrer vigilants sur le sujet et demander au Gouvernement de mettre la question des statistiques d'entreprise à l'ordre du jour du Comité national de l'information statistique.
S'agissant des dispositifs fiscaux, je ne vous propose aucune modification autre que rédactionnelle ou purement technique sur plusieurs articles qui devraient permettre de fluidifier les transmissions d'entreprises.
Cela concerne d'abord l'article 3, qui module le taux de la réduction d'impôt sur les donations selon l'âge du donateur, en prévoyant une réduction de 60 % des droits de mutation lorsque la donation est effectuée avant 65 ans - contre 50 % actuellement. Il s'agit d'inciter à une transmission plus rapide, la pérennité économique ayant un lien avec l'âge auquel s'effectue la donation. Après 65 ans, le taux baisse donc à 40 %.
Je vous propose également d'adopter sans modification l'article 6, qui assouplit considérablement les possibilités de paiement différé de l'impôt sur le revenu en cas de crédit-vendeur.
Même chose sur l'article 17, qui porte de 300 000 à 500 000 euros l'abattement sur les droits d'enregistrement et les droits de mutation dont peuvent bénéficier les repreneurs internes d'une entreprise, ainsi que sur l'article 18, qui assouplit les conditions d'octroi du crédit d'impôt pour reprise interne.
Je vous propose également de conserver la quasi-totalité des assouplissements prévus par l'article 12 concernant le report d'imposition dans le cadre d'un apport de titres : élargissement des cas de report, suppression de certaines conditions dans le cas d'un réinvestissement dans une PME, etc.
Je vous propose aussi de confirmer l'alignement du taux de droit d'enregistrement applicable aux parts sociales sur celui des actions, à l'article 11.
Je vous propose même d'aller plus loin sur l'article 7, en prorogeant de deux ans supplémentaires la réduction d'impôt concernée.
Concernant l'exonération de droits de mutation « Dutreil », j'entends conserver l'essentiel des modifications proposées par les auteurs de la proposition de loi à l'article 8 : mise en place d'une exonération renforcée à 90 %, assouplissement de la condition de conservation en présence de sociétés interposées, extension des possibilités de donation, assouplissement de la condition tenant à l'exercice d'une fonction de direction, assouplissement des obligations déclaratives, etc.
Je vous présenterai des amendements complémentaires pour assouplir d'autres « verrous » qui ne me paraissent pas justifiés.
S'agissant des amendements qui visent à écarter ou à réécrire certaines dispositions de la proposition de loi, les modifications proposées relèvent principalement de trois objectifs : assurer la constitutionnalité des dispositifs ; apporter des améliorations techniques ; limiter le coût des propositions pour les finances publiques.
À titre d'exemple, certains assouplissements du pacte « Dutreil » me semblent aller trop loin au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel très protectrice du principe d'égalité devant les charges publiques.
Il faut être très vigilant, car ce risque constitutionnel s'est déjà matérialisé en matière de transmission : une exonération analogue au « Dutreil » avait ainsi été déclarée entièrement contraire à la Constitution en 1995, le Conseil constitutionnel considérant les conditions d'application du dispositif trop souples pour justifier un avantage fiscal d'une telle ampleur. Prenons garde au « pas de trop » qui ferait tomber tout le dispositif, au détriment de nos entreprises.
Je vous propose également la suppression de cinq articles, pour des motifs essentiellement techniques. Ainsi, les articles 2 et 9 me paraissent déjà satisfaits par le droit existant, tandis que les articles 1 et 10 ne me semblent pas relever de la compétence du législateur. Enfin, les effets de l'article 4, qui vise à assouplir le dispositif de location-gérance, me paraissent en décalage avec la volonté de favoriser les transmissions d'entreprises durablement implantées dans nos territoires.