Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 31 mai 2018 à 8h35
Travail — Détachement des travailleurs : rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique de mme fabienne keller et m. didier marie

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Non, ils sont domiciliés à l'étranger et détachés en France, aussi surprenant que cela puisse paraître.

À l'initiative de la France et de plusieurs de ses partenaires, la Commission européenne a présenté en mars 2016 une proposition de révision ciblée de la directive sur le détachement des travailleurs. L'ambition affichée était de majorer le coût du détachement pour réduire le phénomène de dumping social observé.

Malgré les réticences de plusieurs États, principalement situés à l'Est du continent, mais aussi de l'Espagne, un compromis a pu être trouvé au Conseil en octobre dernier. Nous étions venus le présenter. Celui-ci a ouvert la voie à des négociations en trilogue avec le Parlement européen. Elles ont débouché sur un accord le 28 février dernier. Le Parlement européen a validé ce compromis le 29 mai. Il doit désormais définitivement être adopté par le Conseil.

Le nouveau dispositif entend garantir le principe « à travail égal, salaire égal, sur un même lieu de travail ». La rémunération versée au travailleur détaché sera ainsi désormais totalement équivalente à celle dont bénéficie un travailleur local au titre de la loi ou des conventions collectives d'application générale ou régionale. À la demande de la France, la durée du détachement est désormais limitée à douze mois à laquelle s'ajoute une option de six mois supplémentaires. Le délai de transposition du texte est relativement court puisqu'établi à deux ans.

Si ces trois points, en particulier le premier, constituent de réelles avancées qu'il convient de saluer, une étude plus poussée du dispositif laisse apparaître quelques zones d'ombre. Ainsi, le texte distingue logiquement la rémunération des indemnités d'hébergement, de transport et de nourriture. Celles-ci ne peuvent plus être considérées comme des éléments de salaire. Reste qu'elles sont versées sur la base des forfaits établis dans les pays d'envoi. Je doute qu'un ouvrier polonais ou portugais travaillant sur un chantier parisien puisse, dans ces conditions, se loger et se nourrir convenablement...

Je relève également que la proposition initiale de la Commission européenne ciblait les chaînes de sous-traitance. Celles-ci ont disparu du texte final. Je me suis rendu la semaine passée sur un chantier parisien avec l'inspection du travail. La sous-traitance en cascade y est la règle. On peut donc tout à fait envisager demain que deux salariés détachés sur un même chantier ne soient pas rémunérés aux mêmes conditions en fonction de leur place sur la chaîne de sous-traitance... Je m'interroge enfin sur l'effet cosmétique de la limitation à dix-huit mois de la durée du détachement, sachant qu'en France un détachement dure en moyenne 47 jours.

Plus largement, il aurait été judicieux de renforcer dans le même temps la lutte contre les faux détachements et autres « sociétés boîte aux lettres ». Mon déplacement la semaine passée a été éloquent. Sur trois sociétés contrôlées sur un même chantier, une pratiquait un faux détachement puisque les salariés polonais ne travaillaient jamais en Pologne et étaient établis en France depuis au moins cinq ans et un prestataire italien s'appuyait sur de faux travailleurs indépendants pour assurer la conduite d'un chantier.

Notre rapport détaille les mesures qui pourraient être envisagées afin de renforcer la lutte contre ces pratiques déviantes : définition d'un chiffre d'affaires annuel minimal dans le pays d'établissement de la société qui détache, publication par la future Autorité européenne du travail d'un registre des entreprises effectuant des prestations de service internationales et d'une liste noire des entreprises qui fraudent, principe d'une interdiction pour une société européenne de localiser ou de transférer son siège social dans un État membre où elle n'a aucune véritable activité économique.

Il conviendra, dans cette optique, de donner les moyens suffisants à la future Autorité européenne du travail ainsi qu'aux services des États membres. Cette autorité doit permettre une meilleure coordination entre les inspections du travail des États membres sans s'y substituer. Elle doit pouvoir s'appuyer sur une banque carrefour de la sécurité sociale, fondée sur une interconnexion des systèmes européens de sécurité sociale.

L'affiliation au régime de sécurité sociale du pays d'envoi est, en effet, l'autre volet du détachement. Pour l'heure, le certificat A1 permet d'attester cette affiliation. Dans le cadre de la révision en cours des règlements européens de coordination des régimes de sécurité sociale, la Commission a proposé de mieux encadrer la procédure de délivrance du certificat A1. On peut regretter qu'elle souhaite utiliser le biais des actes délégués pour y parvenir. Nous souhaitons au contraire qu'une plus grande marge de manoeuvre soit laissée aux États membres afin de renforcer les contrôles. Nous devons parvenir à sécuriser ce formulaire, en y apposant notamment une photo ou en le numérisant. Il s'agit également de parvenir à la création d'un numéro de sécurité sociale européen.

Enfin, les autorités de contrôle des États membres doivent désormais être en mesure de déqualifier rapidement un certificat qui serait entaché d'irrégularité, sans être tenues par une procédure de coopération administrative qui s'avère lourde. Là encore, la future Autorité européenne du travail peut constituer une opportunité.

Le principe d'une affiliation préalable du salarié détaché au régime de sécurité sociale de l'État d'envoi trois mois avant détachement a été retenu par le Conseil. Il convient de saluer cette avancée. Reste qu'on observe ces derniers mois un déport du statut de travailleur détaché vers celui de travailleur pluriactif. En effet, dès lors qu'un travailleur est appelé à travailler de manière habituelle dans plus d'un État au cours d'une durée de 12 mois, soit simultanément, soit en alternance, sa situation au regard de la sécurité sociale ne relève plus des dispositions relatives au détachement. Ce statut permet à la société qui l'emploie de déroger aux règles de limitation de durée de détachement ou d'activité substantielle dans le pays d'établissement. Il convient donc d'aligner le statut de travailleur pluriactif sur celui de travailleur détaché.

Avant de céder la parole à Fabienne Keller, j'aborderai d'un mot la question même du principe de l'affiliation au régime du pays d'envoi, qui induit une distorsion de concurrence. Le coût du travail n'est, en effet, pas harmonisé au sein de l'Union. Reste qu'une affiliation au régime du pays d'accueil s'avèrerait complexe à mettre en oeuvre et poserait à terme des problèmes de portabilité des droits. La solution imaginée par le président de la République d'un versement des cotisations sociales au taux du pays d'accueil puis d'une répartition entre régime du pays d'établissement et fonds de convergence peut également paraître utopique. Plus modestement, il pourrait être envisagé que le versement au taux du pays d'envoi soit effectué dans le pays d'accueil avant d'être transféré. Cette mesure permettrait de contrôler la réalité de l'affiliation au régime de sécurité sociale du pays d'établissement.

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