Intervention de Gérard Collomb

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 30 mai 2018 à 10h00
Projet de loi pour une immigration maîtrisée un droit d'asile effectif et une intégration réussie — Audition de M. Gérard Collomb ministre d'état ministre de l'intérieur

Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, je vois que vous avez toujours le verbe ciselé et l'interrogation précise. Je vous retrouve donc comme je vous avais quitté, lorsque j'étais membre de la commission des lois du Sénat.

Je veux saluer votre rapporteur, M. François-Noël Buffet, et le rapporteur pour avis de la commission de la culture, M. Jacques Grosperrin, ainsi que l'ensemble des sénatrices et des sénateurs ici présents.

Nous abordons aujourd'hui l'examen d'un projet de loi de première importance. Il s'agit d'un texte fondamental pour contribuer à la maîtrise de l'augmentation des flux migratoires en direction de notre pays et pour permettre à ceux qui ont besoin de protection d'obtenir plus rapidement une réponse à leur demande d'asile.

Ce matin, comme la presse s'en est déjà fait l'écho, nous avons transféré les migrants du camp du « Millénaire » à Paris - soit plus de 1 000 personnes - vers d'autres lieux d'hébergement. Il s'agit de la trente-quatrième évacuation en deux ans et demi, pour un nombre total de 28 000 personnes. Cet exemple suffit à lui seul pour montrer l'étendue de la problématique.

Il subsiste encore deux campements à Paris, celui du canal Saint-Martin et celui de la porte de la Chapelle.

Pour mieux comprendre les problèmes que pose la crise migratoire, il n'y a qu'à regarder chez nos voisins : en Allemagne, l'élection de 92 parlementaires d'extrême droite a beaucoup compliqué la formation d'un gouvernement ; quant à l'Italie, la crise profonde qu'elle traverse risque de remettre en cause l'unité même de l'Europe. Ces problématiques n'ont rien de subalterne, il faut les aborder avec beaucoup de responsabilité.

Au niveau national, nous sommes passés de 50 000 demandes d'asile en 2010 à plus de 100 000 l'année dernière. Et la tendance se poursuit, puisque les demandes d'asile ont augmenté de 17 % en 2017 par rapport à 2016, alors même que la demande d'asile dans l'Union européenne a diminué de moitié l'année dernière.

J'aurai l'occasion au cours de cette audition de vous donner quelques informations sur la répartition des flux autour du bassin méditerranéen et sur la provenance d'origine des demandeurs d'asile. Nous sommes devenus cette année le deuxième pays européen en termes de demandes d'asile, juste derrière l'Allemagne.

Pour faire face à cet afflux, nous avons augmenté le nombre de places d'hébergement - 44 000 places en 2012, 80 000 en 2017. Sans compter l'extension du dispositif d'hébergement d'urgence - objet d'une circulaire qui a fait beaucoup de bruit -, passé de 82 000 places en 2012 à 144 000 en 2017 et qui profite en grande partie aux migrants, notamment en région parisienne.

C'est parce que nous ne pouvons continuer ainsi que le Président de la République et le Gouvernement se sont emparés fermement de cette problématique. Nous essayons d'agir sur tous les fronts.

D'abord au plan diplomatique. Il convient d'empêcher que de nouveaux conflits ne s'installent, lesquels conduiraient à une augmentation du nombre de demandes d'asile. Si le Président de la République se rend régulièrement dans le bassin méditerranéen, c'est pour empêcher de voir resurgir certains conflits susceptibles d'entraîner à nouveau des vagues de migrants sur notre continent européen.

Le Président de la République a ainsi réuni l'ensemble des parties prenantes libyennes pour permettre à cet État de se reconstruire. C'est une question de première importance pour résoudre la question migratoire.

Nous menons aussi, comme vous l'avez souligné, monsieur le président, en coopération avec un certain nombre de pays d'origine, une lutte de tous les instants contre les réseaux de passeurs. Il ne faudrait pas croire que les migrations résultent totalement d'un phénomène spontané !

On s'aperçoit en effet que toute une chaîne s'est organisée : les migrants sont d'abord incités à quitter leur pays, pris en charge par des réseaux structurés qui leur font traverser les frontières. Ils sont souvent dépouillés de leurs biens, devenant ainsi totalement dépendants de leurs passeurs. Commence alors un périple extrêmement dangereux, marqué par des traversées de zones désertiques, notamment entre le Niger et la Libye. Pour m'y être rendu, je peux vous dire qu'il s'agit de routes terribles sur lesquelles les migrants perdent parfois la vie - les passeurs n'arrêtent pas leur camion quand un migrant tombe au sol... Ils arrivent ensuite en Libye, dans des camps tenus par des milices, avant de tenter de traverser la Méditerranée dans des embarcations de fortune au péril de leur vie.

La France agit tant sur le plan bilatéral que sur le plan européen pour maîtriser les différents mouvements migratoires.

Nous travaillons ainsi avec les pays d'origine pour mieux maîtriser les flux et tenter de dissuader les migrants de pénétrer de manière irrégulière en France. Si l'Europe est déstabilisée par ces afflux massifs, les pays d'origine le sont aussi : à côté des trafics d'êtres humains, on trouve des trafics d'armes et des réseaux terroristes qui transforment ces lieux en poudrières.

C'est la raison pour laquelle je me suis rendu, voilà quelques mois, à Niamey, au Niger, pour rencontrer l'ensemble des ministres de l'intérieur des pays concernés et définir ensemble une stratégie commune pour mieux protéger les frontières, éviter les mouvements irréguliers et maîtriser ce flux migratoire.

Nous agissons aussi auprès des autorités consulaires des pays d'origine pour obtenir des laissez-passer et procéder à l'éloignement des personnes en situation irrégulière présentes sur le sol français.

Ainsi, s'agissant de l'allongement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours, le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons entamé une série de contacts extrêmement serrés avec les pays d'origine pour obtenir ces laissez-passer consulaires.

Nous agissons soit de manière bilatérale, soit avec le commissaire européen chargé des migrations. Avant-hier encore, je rencontrais M. Dimitris Avramopoulos pour définir des stratégies communes.

Nous travaillons aussi pour maîtriser les mouvements secondaires des demandeurs d'asile et faire en sorte que les personnes déboutées dans un pays européen ne formulent pas une nouvelle demande en France. Une des grandes recommandations de la Commission européenne est de déterminer le pays responsable de la procédure d'examen de la demande d'asile. Il s'agit d'éviter que ces flux à l'intérieur de l'Union européenne ne remettent en cause, in fine, les accords de Schengen.

La France est enfin engagée, à l'échelle européenne, dans le renforcement de l'agence FRONTEX. Les effectifs de cette force, qui doit contrôler les frontières extérieures de l'Union européenne, sont déjà passés de 500 à 1 000 personnes. M. Dimitris Avramopoulos m'a annoncé qu'ils atteindraient 10 000 hommes d'ici à 2027, de manière à nous doter d'une force européenne à même de contrôler les migrations irrégulières.

Cette augmentation des effectifs de FRONTEX correspond à un véritable besoin : si les migrations irrégulières en provenance de Méditerranée orientale ont cessé, c'est en raison de l'accord conclu entre l'Union européenne et la Turquie en 2016 ; mais cet accord peut être remis en cause à tout instant par nos partenaires. Dès lors, si nous n'avons pas les moyens de protéger nos frontières, nous risquons d'être de nouveau confrontés à de grandes difficultés. Nous avons d'ailleurs constaté, ces derniers mois, une remontée des flux en Grèce continentale, en Bulgarie et dans d'autres pays des Balkans.

Nous agissons aussi à l'intérieur de nos frontières pour les rendre les moins poreuses possible.

Depuis un an, nous avons arrêté 85 000 personnes aux frontières, dont 50 000 à la seule frontière franco-italienne. Cela donne une idée des difficultés qui nous attendent si nous ne protégeons pas notre territoire.

Pour accélérer la réponse donnée aux migrants, nous avons réduit les délais d'enregistrement en préfecture pour le premier accueil, qui sont passés de 21 jours en moyenne à 7 jours, voire à 3 jours dans certaines préfectures, y compris en Île-de-France.

Sur les quatre derniers mois, les demandes d'asile ont augmenté de 12 %, en partie à cause d'un effet de « déstockage » : à partir du moment où nous réduisons les délais de traitement des demandes d'asile, plus de dossiers doivent être examinés.

Nous avons créé, dans chaque grande région, des centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) de manière à lier hébergement et lancement rapide de l'examen de la situation des personnes.

Nous avons également augmenté les effectifs pour l'examen et le traitement de la demande d'asile : les moyens humains des services étrangers des préfectures - 150 équivalents temps plein supplémentaires - de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont tous augmenté. Monsieur le président, vous avez évoqué l'augmentation des moyens de l'OFPRA amorcée par le précédent gouvernement, nous avons poursuivi le mouvement.

Enfin, l'adoption de la loi du 20 mars 2018, dite « loi Warsmann » a permis de sécuriser les transferts des personnes relevant du règlement « Dublin III ».

Sur les quatre premiers mois de 2018, les éloignements d'étrangers en situation irrégulière ont augmenté de 25 %, passant de 8 695 à 10 901 personnes. Dans ces chiffres, l'éloignement forcé augmente d'un peu plus de 9 % pour concerner 5 000 personnes.

Indéniablement, des progrès ont été accomplis. Ce projet de loi s'inscrit dans le prolongement de cette action.

Durant la campagne électorale, le Président de la République avait pris l'engagement de réduire l'examen des demandes d'asile à six mois en moyenne, recours compris.

Il souhaitait ainsi permettre aux personnes protégées de commencer plus rapidement leur parcours d'intégration et, au contraire, à ceux qui se trouveraient déboutés de regagner leur pays d'origine sans que les liens familiaux ou sociaux se soient par trop distendus.

Les mesures figurant dans ce projet de loi visent donc à accélérer l'instruction de la demande d'asile : placement du demandeur en procédure accélérée s'il dépose son dossier plus de 90 jours après son arrivée en France ; possibilité, pour l'OFPRA, de notifier sa décision par tout moyen ; réduction à 15 jours du délai de recours devant la CNDA et développement de la vidéoaudience...

Si l'on ajoute le renforcement des effectifs que je viens d'évoquer, nous devrions être en capacité d'atteindre à terme l'objectif fixé par le Président de la République.

Il convient ensuite d'appliquer les décisions prises par l'OFPRA, par la CNDA et, le cas échéant, par les préfectures. C'est l'autre enjeu de ce projet de loi.

Ainsi le texte comporte un certain nombre de mesures visant à faciliter l'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées par les préfectures.

Pour ce faire, nous allons porter à 24 heures la durée de retenue pour vérification du droit au séjour, étendre les possibilités d'investigation pour y procéder. En effet, le temps dont nous disposions (16 heures) était trop court et nous devions relâcher les étrangers qui avaient été arrêtés sans pouvoir vérifier leur identité, au grand découragement des policiers.

Nous allons ensuite procéder à l'allongement de la durée maximale de rétention, fixée à 90 jours. Vos collègues députés ont séquencé cette durée de manière à permettre l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) lors de différentes phases.

Cet allongement est rendu nécessaire par le fait qu'un certain nombre de pays profitent de la durée actuelle de rétention pour laisser traîner les choses et ne pas remettre de laissez-passer consulaires (LPC) avant le quarante-cinquième jour de rétention.

Nous en étions arrivés à un tel point que nos préfets ne demandaient plus de laissez-passer consulaires, vu le faible taux de réponses. Les 90 jours de rétention peuvent sembler une durée relativement importante mais, dans d'autres pays, c'est bien plus élevé. Ainsi, en Allemagne, qui ne passe pas pour le pays le moins accueillant pour les réfugiés, la durée de rétention est de 180 jours. Toutes ces mesures doivent nous permettre d'accroître significativement le nombre de mesures d'éloignement exécutées. En 2017, il y a eu 90 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées, mais seulement 15 000 se sont traduites par un éloignement.

Si ce projet de loi facilite les éloignements, il accorde aussi des protections nouvelles aux plus vulnérables : ainsi en est-il de la délivrance d'une protection pour les frères et les soeurs d'un réfugié mineur ; il ne s'agit pas des mineurs non accompagnés (MNA), problème immense mais qui n'est pas traité dans ce texte.

Sur proposition des députés, des dispositions ont été adoptées pour améliorer les parcours d'intégration. Ainsi en est-il de l'accès au travail des demandeurs d'asile à l'issue d'un délai de six mois ou encore de la redéfinition du contrat d'intégration républicaine (CIR) pour y adjoindre un volet professionnel et réaffirmer le volet linguistique. Je pense enfin à l'extension du « passeport talent » pour les étrangers les plus qualifiés.

Le texte modifié par l'Assemblée nationale sera utile aux services, facilitera le parcours des demandeurs d'asile et prendra en compte la double aspiration des Français : humanité mais aussi responsabilité. Ce projet de loi préserve l'équilibre entre humanité et efficacité.

Sur la question de l'asile et de l'immigration, sujet ô combien difficile, trois positions coexistent : il y a ceux qui estiment qu'il faut accueillir massivement et pour qui les frontières n'ont plus lieu d'être. Cette position est intenable dans un contexte où l'Afrique va voir sa population passer de 750 millions d'habitants à 2 milliards dans les trente ans à venir. L'ouverture des frontières est difficilement tenable, bien qu'elle soit approuvée par une partie de nos compatriotes. À l'autre bout du spectre, il y a ceux qui rejettent tout accueil d'étranger, y compris pour les persécutés et ceux qui fuient les guerres. Une telle attitude n'est conforme ni aux traditions de la France, ni à nos engagements internationaux, à commencer par la convention de Genève. Il y a enfin celles et ceux qui assument de prendre en compte la situation dans toute sa complexité, qui pensent que l'asile est un droit fondamental mais que, pour garantir son effectivité, il faut se donner les moyens de maîtriser les flux migratoires et d'éloigner ceux qui n'ont pas vocation à rester dans notre pays. C'est la position du Gouvernement et j'espère qu'elle sera partagée largement par votre commission. Au moment où nous entamons nos débats, je veux dire ma confiance dans la capacité de la commission des lois et, plus largement, de tout le Sénat, à adopter un texte nécessaire pour notre pays.

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