Intervention de Franck Menonville

Réunion du 6 juin 2018 à 14h30
Préservation d'une politique agricole commune forte — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Photo de Franck MenonvilleFranck Menonville :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite que notre assemblée se penche cet après-midi sur l’avenir et le budget de la politique agricole commune. Le sujet est d’une actualité brûlante, puisque, vendredi dernier, la Commission européenne a dévoilé ses propositions, non sans susciter de vives inquiétudes.

Les eurodéputés ont manifesté de fortes réserves, qu’ils ont formalisées dans une résolution adoptée à une large majorité. C’est un signal qui rejoint, monsieur Gremillet, celui que le Sénat a envoyé voilà quelques mois.

Je tiens à saluer la qualité du travail accompli par nos quatre collègues du groupe de suivi sur la réforme de la PAC, jusqu’à la présente proposition de résolution européenne. En effet, ils n’ont pas manqué de tirer la sonnette d’alarme. Oui, pour ne pas les citer, la PAC pourrait « traverser un cap dangereux en 2020 » !

On le sait, en l’état des négociations, si rien n’est fait, la PAC pourrait être une variable d’ajustement des conséquences budgétaires du Brexit – de 10 milliards à 13 milliards d’euros en moins – et de l’émergence de nouvelles priorités politiques, notamment en matière de sécurité, de migration et de défense.

Il faut donc entrevoir un cadre financier pluriannuel plus ambitieux, en y intégrant une dynamique de ressources propres. En effet, dans le prochain cadre, la PAC serait amputée de 5 % de ses crédits – si l’on entre dans la bataille des chiffres, la baisse serait en réalité de près de 15 %, compte tenu de l’inflation. Alors que cette politique fondatrice de l’Union européenne est garante de la sécurité et de l’autonomie alimentaires de celle-ci, elle ne pèserait plus que 28, 5 % au sein du budget de l’Union européenne, contre 37 % aujourd’hui.

Il serait tout à fait paradoxal que l’Europe se désarme dans ce domaine, au moment où, au contraire, les grandes puissances économiques telles que le Brésil, l’Inde, la Russie ou les États-Unis investissent lourdement dans leur indépendance alimentaire, donc dans leur politique agricole.

Nous ne pouvons accepter cette baisse drastique, et vous avez dit à plusieurs reprises, monsieur le ministre, que vous ne l’acceptiez pas non plus.

Dans un contexte concurrentiel de plus en plus exacerbé et compte tenu des différents aléas auxquels doit faire face notre agriculture, une politique européenne de soutien demeure essentielle à la viabilité de nombreuses exploitations agricoles en France. En effet, les aides représentent aujourd’hui en moyenne 47 % du revenu des agriculteurs français. Une perte de 5 milliards d’euros d’aides directes au cours de la période 2021-2027 est donc inenvisageable pour notre pays.

Certes, l’Europe peut porter une ambition agricole commune rénovée et encore mieux adaptée aux nouvelles exigences économiques, environnementales et de consommation. Les agriculteurs se sont toujours montrés ouverts à la modernisation, pourvu qu’elle soit porteuse de sens et source de simplification.

En conséquence, sur les grandes lignes, on doit pouvoir obtenir un consensus au sein de l’Union européenne pour l’accompagnement des exploitations dans leur développement et leurs innovations, la gestion et la prise en compte des changements climatiques, l’aide à la modernisation des entreprises, l’appui à la structuration de filières modernes pour mieux organiser la production et, surtout, la fondation d’une politique véritablement commune de gestion des risques agricoles et de gestion de crise. Je regrette que la Commission européenne manque particulièrement de volontarisme sur ce point.

Seulement, tout cela sera difficile à réaliser si la PAC n’est pas maintenue dans une dynamique budgétaire.

Au-delà des considérations financières, la Commission européenne propose une méthode de mise en œuvre de la PAC qui risque de poser problème. Les organisations agricoles se sont inquiétées, à juste titre, du principe de subsidiarité, qui entraînerait des distorsions de concurrence entre les agriculteurs européens, ce que la PAC est pourtant censée éviter.

Même si les plans stratégiques des États membres seront soumis à un contrôle, ne s’oriente-t-on pas vers une renationalisation rampante des aides ? Au RDSE, nous sommes fermement opposés à toute forme de renationalisation de la PAC en ce qui concerne le premier pilier !

Je n’oublie pas non plus la pression exercée pour harmoniser les montants des paiements directs.

Pour autant, il ne s’agit pas de s’enfermer dans un conservatisme ; mais garantissons une politique commune avec un grand « C » ! Pour cela, maintenons un socle de règles standards et de soutiens financiers communs, ainsi qu’une politique de marché, tout en garantissant à chaque État une marge de manœuvre raisonnable et réaliste.

S’agissant du second pilier, conçu comme porteur d’une politique territoriale, voire territorialisée, nous pourrions renforcer la subsidiarité au niveau des pays, voire à l’échelle des régions.

L’agriculture européenne a besoin aussi d’un soutien modernisé, à travers la mise en place de nouveaux outils. Je pense en particulier au statut de l’agriculteur, qui doit avancer afin de permettre une meilleure répartition des aides.

La question se pose également de la sécurisation du revenu ; elle a été engagée par le « Règlement Omnibus », mais, comme je l’ai déjà souligné, celui-ci ne va pas assez loin. Il faut notamment renforcer les mécanismes assurantiels et de gestion de crise pour pouvoir soutenir la résilience des exploitations agricoles face à la volatilité des prix et aux aléas climatiques. La présente proposition de résolution européenne le suggère.

Il faut aussi réaffirmer une politique ambitieuse en matière de diversité des cultures, notamment en direction des cultures sources de protéines, des légumineuses et des protéagineux.

Il me paraît également important de soutenir et de sécuriser les filières d’agrocarburants, afin de rendre l’Europe moins dépendante des énergies fossiles. Elles sont aussi une source importante de protéines.

Mes chers collègues, le Sénat a toujours été très attentif à l’avenir de la PAC, sans pour autant ignorer l’intérêt des autres politiques européennes, ô combien nécessaires.

Le RDSE, très attaché à l’Europe, est soucieux de l’équilibre à trouver sur le plan budgétaire pour faire coexister toutes les priorités et toutes les attentes de nos concitoyens. Seul un budget à la hauteur des défis permettra d’y parvenir.

Naturellement, le groupe du RDSE votera cette proposition de résolution européenne porteuse d’ambition pour l’Europe et pour notre agriculture, qui avance des pistes de réflexion concrètes et opportunes. Je renouvelle mes félicitations à ses quatre auteurs !

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