Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat a toujours prêté une attention particulière aux enjeux liés à la politique agricole commune. Cette politique, qui affecte le quotidien des agriculteurs français, joue un rôle stratégique éminent, notamment pour notre autonomie alimentaire, en France et en Europe. Nous, qui n’avons jamais connu la faim sur notre territoire, ne devons pas oublier l’importance de cette autonomie.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, alors que cette PAC est en danger, nous regardons ailleurs.
Nous nous apprêtons à examiner, d’ici à la semaine prochaine en commission des affaires économiques, et à la fin du mois de juin en séance publique, le projet de loi issu des états généraux de l’alimentation. Ce texte important, qui a bénéficié d’une grande communication gouvernementale, dont je ne vous fais pas grief, monsieur le ministre, met en place des mécanismes pour – encore hypothétiquement – assurer une meilleure rémunération aux agriculteurs. C’est une légitime priorité gouvernementale.
Monsieur le ministre, comment pouvons-nous, « en même temps », admettre une réduction directe, brutale et certaine du revenu des agriculteurs par ces coupes claires dans le budget de la PAC ? Les états généraux de l’agriculture ne serviront à rien si la PAC n’est pas au rendez-vous.
Pendant que le Gouvernement réfléchissait durant de longs mois, la Commission a rendu ses propositions pour, d’une part, réformer la PAC et, d’autre part, fixer le cadre financier pluriannuel 2021-2027. Sur les deux tableaux, la France est perdante.
Force est de constater que si le Gouvernement s’est mobilisé comme vous nous l’avez dit, monsieur le ministre, les effets ne s’en font pas encore sentir. Vous dites avoir été très actif, pourtant Michel Dantin et Angélique Delahaye ont été bien seuls pour défendre les intérêts français ; qu’ils en soient remerciés.
Si nous en sommes là, c’est que la France a été trop absente des réflexions en amont. Ce gouvernement et le précédent ont leur part de responsabilité : si la France avait tenu une position ferme dès le début des réflexions, nous n’en serions pas là.
Que penser des paroles du Président de la République à la Sorbonne, en septembre 2017 ? Pour lui, « la PAC est devenue un tabou français ». Il souhaite « que chaque pays puisse accompagner cette transformation selon ses ambitions et ses préférences ».
Quelles sont ces ambitions et ces préférences gouvernementales ? Un budget de la PAC en baisse de plus de 12 % ? Une chute des aides directes, pourtant essentielles dans les comptes d’exploitation de nos agriculteurs ? Une renationalisation partielle d’une des politiques les plus intégrées de l’Union européenne ? Cette ambition pour la PAC est un changement historique de la position française.
Les annonces du commissaire Phil Hogan, la semaine dernière, ont confirmé par ailleurs nos inquiétudes. En permettant à chaque État membre d’adopter un plan stratégique pour atteindre neuf objectifs européens et de disposer de marges de manœuvre dans l’affectation des dotations, la PAC est indiscutablement en voie de renationalisation.
Le risque majeur de cette subsidiarité accrue est évident : creuser encore les distorsions de concurrence entre agriculteurs européens, qui pénalisent déjà en grande partie les agriculteurs français dans de nombreuses filières.
Les aides directes sont les grandes perdantes de la réforme proposée, puisqu’elles seront plafonnées. Il convient toutefois de ne pas opposer grandes et petites exploitations, circuits courts et marchés internationaux : la France doit être compétitive sur les deux volets.
Surtout, certains points attendus sont totalement absents. Il est notamment inacceptable qu’aucun outil pertinent de gestion des crises ne soit au cœur de la proposition de la Commission dans le contexte actuel de volatilité des marchés. Je me souviens pourtant des engagements du candidat Macron au congrès de la FNSEA, à Brest, en 2017. La position de la France se doit d’être claire : en l’état, elle ne peut accepter de telles orientations. J’ai pris acte de votre volonté d’aller dans ce sens, monsieur le ministre.
L’accusation, je le sais bien, est un peu lourde, mais le commissaire Oettinger nous l’a confirmé lors de son audition : la France tient un double discours entre Bruxelles et Paris. Au moins par son silence, le Gouvernement a cautionné cette baisse de budget et cette réécriture de la PAC.
Les agriculteurs ne sont pas dupes, les parlementaires non plus. Le Sénat, pressentant ce qui allait advenir, avait adressé au Gouvernement, en septembre 2017, une première résolution appelant à sauver la PAC et à sanctuariser a minima son budget en euros constants.
Toutefois, monsieur le ministre, cette faute n’est pas inéluctable. Elle peut être réparée. Le temps est compté. Nous avons entendu votre position. Il est grand temps d’activer votre groupe de Madrid, car il est bien tard.
Mes chers collègues, la présente proposition de résolution européenne est le fruit d’un travail de plusieurs mois effectué avec talent et obstination par quatre rapporteurs de tous bords politiques. Elle a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques, ce dont nous pouvons nous réjouir. J’en suis, pour ma part, très fière, car elle est l’expression de la responsabilité collective de l’ensemble des politiques que nous sommes quand l’intérêt supérieur du pays est en cause. C’est la marque du Sénat. Cette proposition de résolution européenne comporte des demandes justes, pondérées, réalistes, essentielles pour l’avenir de notre agriculture. Son pragmatisme oblige le Gouvernement.
Monsieur le ministre, si cette proposition de résolution européenne était adoptée, nous vous engageons à faire valoir cette position au Conseil. Le monde agricole vous observe. Sachez que nous nous tenons à votre disposition pour vous soutenir dans cette démarche.