Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons cette proposition de résolution au moment où le débat sur la PAC après 2020 entre à Bruxelles dans sa phase concrète. Disons-le d’emblée, ce débat s’engage sur des bases extrêmement inquiétantes, notamment au niveau budgétaire.
Avec une proposition de 325 milliards d’euros en prix constants, le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027 marque en effet une rupture inédite en matière de budget agricole. Car, si sa part dans le budget général baisse régulièrement depuis trente ans, c’est la première fois qu’il est proposé des coupes claires aussi importantes dans les crédits destinés à nos agriculteurs.
Soulignons tout d’abord qu’il s’agit d’un véritable non-sens. Aujourd’hui comme hier, l’agriculture reste une activité éminemment stratégique. Elle le sera sans doute encore davantage demain : l’augmentation de la population mondiale, conjuguée aux dérèglements climatiques et à la pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles, place plus que jamais le défi alimentaire au cœur des enjeux fondamentaux du XXIe siècle.
États-Unis, Chine, Russie, Inde ou Brésil ne s’y sont pas trompés : depuis une dizaine d’années, les grands pays ont renouvelé leur vision stratégique et n’ont pas hésité, en conséquence, à renforcer leurs soutiens financiers au secteur agricole. Ils ont compris qu’aucune souveraineté forte ne pourrait se fonder hors véritable souveraineté alimentaire.
Il est tout à fait consternant de constater que l’Europe s’engage sur un chemin rigoureusement inverse. Au lieu de proposer une politique à même de relancer la compétitivité des exploitations et leur capacité à investir et à se transformer, elle préfère abaisser massivement son soutien à l’agriculture.
Ce désengagement sans précédent aura inévitablement des conséquences économiques désastreuses. N’oublions pas, comme nous avons eu trop tendance à le faire ces dernières années, que la PAC est avant tout une politique économique : son budget n’est pas destiné à fournir une rente aux agriculteurs, il sert essentiellement à compenser la différence entre leurs coûts de revient, qui sont fonction de standards de production les plus élevés au monde, et les prix du marché.
La PAC est censée permettre aux agriculteurs de dégager des marges suffisantes pour fournir l’ensemble des biens publics attendus d’eux par nos concitoyens et qui ne sont pas rémunérés par le marché, notamment au niveau environnemental. Gardons à l’esprit que sans durabilité économique il ne saurait y avoir de durabilité écologique.
Sans les aides de la PAC, nombre d’exploitations agricoles françaises dégageraient un revenu négatif. Or la proposition de la Commission reviendrait, selon certaines analyses, à une diminution, en termes réels, de plus de 10 % des paiements directs et de plus de 25 % des crédits du développement rural, soit une perte d’environ 15 % de la valeur totale du budget de la PAC au cours des sept prochaines années.
Cette évolution se traduira par une forte détérioration du revenu final des agriculteurs, et ce tout particulièrement dans les filières les plus fragiles où le revenu des exploitants est souvent exclusivement constitué des aides de la PAC.
De plus, ce tableau d’ensemble doit être complété par l’approfondissement annoncé de la convergence des paiements directs entre États membres dont l’impact ne pourra, par définition, être favorable aux agriculteurs français – ceux des États de l’est de l’Europe sont particulièrement attentifs à cette problématique.
Comment, dans ces conditions, accepter une telle atrophie des concours publics, alors que, en 2016, près de 20 % des agriculteurs français ne pouvaient se verser de salaire et que 30 % d’entre eux touchaient moins de 350 euros par mois ?
Monsieur le ministre, cette proposition de budget agricole pour la période 2021-2027 n’engage ni plus ni moins que la pérennité de certaines filières et la survie économique de nombre d’exploitations à travers notre pays. C’est donc avec une particulière gravité que nous devons aborder les négociations qui s’ouvrent aujourd’hui. Une gravité qui appelle, en premier lieu, une parfaite sincérité des positions de chacun.
Cela vaut pour la Commission européenne qui, par un procédé pour le moins détestable, a tenté d’avancer masquée en présentant une baisse largement sous-estimée des crédits agricoles. Ses artifices comptables jouant sur la prise en compte de l’inflation et sur les effets du Brexit n’auront toutefois pas tenu bien longtemps.
Cela vaut également pour le gouvernement français. Nous avons été particulièrement troublés par les informations et les annonces du commissaire Oettinger, que nous avons reçu voilà une quinzaine de jours.
Monsieur le ministre, le discours tenu à Bruxelles ne peut être différent de celui tenu à Paris. Nos agriculteurs méritent bien mieux que ce jeu de dupes. Ils méritent surtout que l’on se batte réellement pour eux et, plus largement, pour les intérêts de la France. Cela passe tout d’abord par le maintien du budget effectif de la politique agricole commune.
Permettez-moi de remettre les choses en perspective : le contribuable européen consacre 190 euros à l’agriculture, quand le contribuable canadien y consacre 230 euros, celui des États-Unis, 390 euros, le contribuable japonais, 400 euros, …