Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans quelques instants, au terme de vingt-cinq heures de débat, nous aurons à nous prononcer sur un texte très important : le projet de loi portant réforme du système ferroviaire.
Dans cette affaire, tout avait pourtant assez mal commencé. Le Premier ministre, sans aucune concertation avec les parlementaires, avait annoncé, le 26 février dernier, que la réforme se ferait par ordonnances.
Le Sénat, au premier rang son président, avait alors réagi fermement pour dénoncer cette procédure. Un peu plus de trois mois plus tard, la situation a évolué positivement.
Le Gouvernement a accepté de limiter le recours aux ordonnances en introduisant, au fur et à mesure des débats, des dispositions législatives.
La ministre des transports a eu l’intelligence de comprendre que le Sénat n’était pas dans une posture politicienne qui le conduirait à s’opposer par principe à ce texte. De ce fait, elle a choisi de travailler avec nous dans un esprit constructif et ouvert pour mener à bien cette réforme.
L’Assemblée nationale, pour une fois, n’a pas prétendu tout régler. Et le Sénat, comme toujours, a eu à cœur de privilégier l’intérêt général sur toute autre considération.
Il convient, à cet égard, de saluer le travail de la Haute Assemblée et l’implication personnelle et très active de son président, Gérard Larcher.
Dès l’origine, nous avons manifesté notre soutien à cette réforme courageuse, tout en ayant à cœur de l’améliorer. Je crois pouvoir dire que nous y sommes parvenus. En commission, tout d’abord, grâce au travail remarquable de notre rapporteur, que je tiens à féliciter et à remercier vivement, puis en séance publique, guidés par quatre objectifs : renforcer le volet « aménagement du territoire » de ce texte ; offrir aux salariés de réelles garanties en cas de transfert ; poser les conditions nécessaires à la réussite de l’ouverture à la concurrence ; maintenir un haut niveau de sécurité et de sûreté au sein du système ferroviaire.
Il revenait naturellement au Sénat, et à notre commission, de défendre la question de l’aménagement du territoire.
L’ouverture à la concurrence à laquelle nous sommes attachés – elle doit renforcer notre système ferroviaire et la SNCF – ne doit pas se faire au détriment des territoires ni des clients. Or nous savons que le système de modulation des péages proposé par le Gouvernement ne suffira pas à éviter que des dessertes TGV disparaissent au nom de la rentabilité. Bernard Roman, président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, ou ARAFER, qui est à l’origine de ce dispositif, nous l’a confirmé lors d’une récente audition devant la commission.
Pour garantir la pérennité des dessertes menacées, il faut aller au-delà. Il faut que l’État conclue, si cela s’avère nécessaire, des contrats de service public comme nous l’avions déjà prévu dans notre proposition de loi, adoptée par le Sénat le 29 mars dernier. Nous avons donc réintroduit ce dispositif.
Sur le volet social, la commission a complété le texte de l’Assemblée nationale. Le rapporteur et moi-même avons reçu les syndicats et recherché, avec le soutien du président du Sénat, les voies et moyens de lever les inquiétudes légitimes des salariés.
Nous avons voulu être pragmatiques et humains. Nous avons donc précisé les conditions du transfert en favorisant le volontariat.
Nous avons également proposé un dispositif de retour permettant aux salariés transférés, dans un délai de trois à six ans, de réintégrer le statut en cas de réembauche par le groupe SNCF. En séance, à l’unanimité et avec le soutien du Gouvernement, nous avons décidé d’aller plus loin et de prolonger ce délai de deux ans. Ce dispositif, qui répond à une préoccupation forte des cheminots, devrait contribuer à rassurer ceux-ci.
En ce qui concerne les conditions d’une ouverture réussie à la concurrence, nous avons tenu à conforter l’autonomie de Gares & Connexions en tant que filiale de SNCF Réseau pour préserver ses capacités d’investissement, ce qui est tout à fait essentiel.
Nous avons aussi soumis la mise en œuvre de deux dérogations à l’obligation de mise en concurrence – la dérogation pour circonstances exceptionnelles et la dérogation dite de compétence, deux notions un peu floues – à l’avis conforme de l’ARAFER pour éviter des interprétations excessives et, surtout, pour sécuriser le choix des autorités organisatrices qui souhaitent y avoir recours
En matière de sécurité, nous avons voulu renforcer la coordination entre les acteurs en autorisant la création d’un groupement d’intérêt public pour assurer des missions transversales utiles au bon fonctionnement du système ferroviaire.
Le texte qui vous est proposé, mes chers collègues, constitue donc, comme l’a dit Mme la ministre, un point équilibre. J’espère que son adoption ainsi que les annonces du Gouvernement sur la dette permettront enfin de sortir d’un conflit social qui n’a que trop duré.
Je dois à cet égard me réjouir que le Gouvernement et le Président de la République, malgré la pression des syndicats, n’aient pas fléchi. Je tiens à les en féliciter.
Toutefois, des inquiétudes demeurent. Le Gouvernement a souhaité revenir sur plusieurs apports de notre commission à travers des amendements, qui, s’ils n’ont pas été adoptés, démontrent une volonté de revenir sur certains points.
Certains amendements tendaient à réduire le rôle de l’ARAFER, alors que notre commission et, au-delà, le Sénat ont toujours veillé à préserver, et même à renforcer, le rôle de cette autorité et des régulateurs en général.
D’autres visaient à diminuer l’autonomie financière de Gares & Connexions, ce qui aurait mis en cause sa capacité d’investissement, et à revenir sur l’incompatibilité des fonctions de dirigeant de SNCF Réseau avec celles de dirigeant de la holding de tête, autrement dit sur l’indépendance des sociétés anonymes entre elles.
Tous ces amendements, je le répète, ont été rejetés. Toutefois, nous serons particulièrement attentifs à ces questions lors de la réunion de la commission mixte paritaire au cours de laquelle, je le pense, nous pourrons parvenir à un accord, sous réserve que ces points soient pris en compte.
Mes chers collègues, sur ce texte, le Sénat a, comme toujours, prouvé son sens des responsabilités et de l’intérêt général. Il a eu à cœur non pas de faire de la politique politicienne, mais d’agir dans le seul souci de l’intérêt général.
Le rôle qu’il a joué dans cette réforme majeure a démontré, s’il en était besoin, la nécessité d’un bicamérisme équilibré. À toutes celles et à tous ceux qui s’interrogent parfois sur le rôle du Sénat, dans l’opinion publique ou même au sein des instances gouvernementales, je crois que nous avons apporté une réponse claire et nette.
Il faudra, madame la ministre, que le Gouvernement s’en souvienne lors des discussions à venir sur la révision constitutionnelle : l’exécutif et, surtout, la France ont besoin d’un Parlement fort et responsable pour mener à bien des réformes d’ampleur. L’examen du présent texte l’a confirmé.