Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de l’organisation de ce débat sur le bilan annuel de l’application des lois. En effet, nous n’avions pas eu la possibilité de l’organiser l’an dernier, en raison de l’interruption des travaux en juin.
Le Sénat a toujours été très vigilant sur la bonne application des lois et, en particulier, sur la publication en temps et en heure des textes réglementaires prévus par le législateur.
Comme les années précédentes, ce bilan est le résultat d’un travail minutieux de chaque commission pour les lois relevant de son ressort. Permettez-moi de saluer la qualité du dialogue avec les administrations et le secrétariat général du Gouvernement, témoignant de la volonté commune du Sénat et du Gouvernement d’une bonne application des lois.
Ce bilan s’appuie également sur les données statistiques issues de la base APLEG propre au Sénat. Cette base et la méthodologie utilisée permettent une homogénéité de la donnée dans le temps, garante de l’effectivité des comparaisons réalisées par la Haute Assemblée au fil des ans.
Ce bilan porte sur l’application des lois promulguées au cours de la session 2016-2017 au 31 mars 2018. Cette date de référence, six mois après la fin de la session concernée, est choisie en raison de l’objectif que s’est fixé le Gouvernement d’une publication des textes d’application dans ce délai.
La session 2016-2017 a été atypique. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, se sont succédé au cours d’une même année parlementaire les élections présidentielle, législatives et sénatoriales. Cela a eu des conséquences sur nos travaux.
Hors conventions internationales, ce sont 48 lois qui ont été votées, soit 7 de moins que lors de la session précédente. Hors ceux pour lesquels la procédure accélérée est de droit, 35 de ces textes ont été examinés selon la procédure accélérée, soit 77 % d’entre eux. Cette proportion est en augmentation par rapport à la session précédente. J’ajoute que l’ensemble des projets des lois ont été votés selon cette procédure.
Sur le total des lois votées lors de la session, 21 lois sont d’origine parlementaire, dont 9 d’origine sénatoriale.
J’en viens maintenant au taux d’application des lois. Pour la session 2016-2017, 26 lois appelaient des mesures réglementaires d’application, les 22 autres étant d’application directe.
Le taux d’application de ces 26 lois s’élève, selon les calculs du Sénat, à 73 %. La légère différence avec le calcul du Gouvernement s’explique par le fait que notre suivi porte sur tous les textes réglementaires, y compris les arrêtés.
Une précision méthodologique est peut-être nécessaire : le taux d’application, qu’il soit calculé par le Sénat ou par le Gouvernement, est compris comme le rapport entre le nombre de mesures prises et le nombre de mesures attendues ; il ne tient donc pas compte des articles ou des lois n’attendant aucune mesure d’application.
Pour la session 2016-2017, ce sont ainsi 384 mesures, sur les 527 attendues, qui ont été prises.
Sur les 26 lois nécessitant des mesures d’application, 6 sont intégralement applicables, 18 le sont partiellement, et 2 n’ont donné lieu à aucune des mesures prévues. Il faut toutefois noter que ces deux dernières lois n’attendent qu’une seule mesure chacune, et pourraient donc très prochainement – je l’espère – être considérées comme totalement appliquées.
Le taux d’application des lois de la XIVe législature est très élevé : il dépasse 90 % et, hors lois votées lors de la dernière session, il atteint même 94 %. Sur l’ensemble de la législature, ce sont ainsi plus de 3 000 mesures réglementaires d’application qui ont été prises.
Ce taux élevé d’application des lois de la XIVe législature s’explique notamment par la très forte mobilisation de l’ancien gouvernement dans les derniers jours de son mandat : plus de 400 décrets ont été pris aux mois de mars et d’avril 2017 et dans les dix premiers jours de mai 2017, soit juste avant l’élection présidentielle. Par comparaison, sur la même période en 2016, 147 mesures avaient été prises.
Le délai moyen de prise des décrets pour les lois votées lors de la session 2016-2017 est en diminution : il est de cinq mois et dix jours, contre six mois et vingt-deux jours pour la session 2015-2016. Toutefois, encore 30 % des décrets pris le sont plus de six mois après la promulgation de la loi, dont 6 % plus d’un an après ladite promulgation.
En outre, le délai de prise des décrets d’application est supérieur à celui du vote de la loi selon la procédure accélérée : cinq mois et six jours, soit 158, 5 jours, sont en moyenne nécessaires pour les décrets d’application, contre 145 jours pour l’adoption de la loi selon la procédure accélérée.
On peut ainsi s’interroger sur le recours toujours plus accru à cette procédure accélérée, face à une lenteur supposée de la procédure législative : en définitive, le Gouvernement a besoin d’un délai supérieur pour prendre les textes d’application – et encore, il publie seulement une partie des textes prévus.
La période de référence comprend également deux lois de la nouvelle législature appelant des mesures d’application : les deux lois de septembre 2017 relatives à la confiance dans la vie politique. L’ensemble des décrets d’application de ces lois ont été pris.
En outre, les éléments transmis par M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, pour les lois votées depuis le 1er octobre 2017 témoignent d’un engagement fort du nouveau gouvernement.
À titre d’exemple, il ne reste qu’un décret d’application à prendre pour la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Il pourrait être pris avant la fin du mois de juin. Dans ces conditions, cette loi serait rendue totalement applicable dans un délai de moins de quatre mois.
Ce début de XVe législature est donc porteur d’espoir, et nous espérons qu’il annonce une prise de mesures d’application plus complète et plus rapide pour cette nouvelle législature.
Malheureusement, il reste un certain nombre de points noirs. Je n’en citerai qu’un, le trop faible nombre de rapports du Gouvernement remis, et ce malgré nos remarques réitérées chaque année.
Les rapports dits de « l’article 67 », qui doivent être déposés dans un délai de six mois suivant la date de promulgation de chaque loi et permettent de suivre son application, sont très peu remis : on en dénombre 5, seulement, sur les 26 lois de la session appelant des mesures d’application.
Les rapports demandés par le Parlement au Gouvernement dans le cadre d’une loi sont aussi trop rarement remis. Au cours de la session 2016-2017, près de 70 rapports au Gouvernement ont été demandés, dont 48 devaient être remis avant le 20 mai 2018. Or le taux de remise de ces rapports n’est que de 25 %.
Le Sénat est pourtant loin de faire un usage systématique de telles demandes ; il se prononce souvent contre les demandes de rapports qui ne sont pas susceptibles de lui apporter des informations substantielles. Dans ces conditions, il souhaite pouvoir disposer des documents dont le dépôt a été prévu par la loi.
Certains rapports sont remis avec un retard important. Dans d’autres cas, sans aucune explication, ces rapports sont prêts, mais ne sont pas transmis. Par ailleurs, certains rapports ne sont pas transmis officiellement au Parlement, au motif qu’ils sont rendus publics. Or le processus de transmission établi permet notamment de garantir une information rapide des parlementaires sur l’existence de ces rapports.
Mais le présent bilan ne saurait faire abstraction des discussions en cours sur une prochaine révision constitutionnelle. Nous nous sommes ainsi intéressés aux ordonnances, établissant ce constat : l’argument de la célérité de l’ordonnance comme véhicule normatif est à relativiser.
Le délai moyen de prise de l’ordonnance, calculé comme le temps constaté entre la demande d’habilitation et la prise de l’ordonnance, est de 571, 5 jours – pour 4 ordonnances, il dépasse 1 000 jours. Ce délai est trois fois plus élevé que le délai moyen nécessaire pour le vote d’une loi pendant la session 2016-2017, qui représente 196 jours.
En outre, l’ordonnance peut elle-même nécessiter des décrets d’application, de nouveaux délais venant alors s’ajouter aux premiers, déjà importants.
Je rappellerai ici le contrôle qui vient d’être mené, au sein de la commission des affaires économiques, sur la loi du 1er juin 2016 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour réformer Action logement. Alors que l’ordonnance a été adoptée rapidement, dans un délai de quatre mois et demi, le comité des partenaires du logement social, dont la création est prévue par l’ordonnance, n’est toujours pas installé, plus d’un an après la mise en œuvre de la réforme, faute d’adoption des décrets relatifs à sa composition et à son fonctionnement.
Or cette structure est fondamentale, car elle est censée jouer un rôle de vigie, qu’elle est seule à pouvoir remplir, au regard des orientations et de la distribution de la participation des employeurs à l’effort de construction entre les organismes et entre les territoires.
Monsieur le secrétaire d’État, quand le Gouvernement compte-t-il prendre le ou les décrets concernant le comité des partenaires du logement social ?
Je terminerai cette présentation en évoquant les propositions en matière d’application des lois émises par le groupe de travail du Sénat mis en place dans la perspective de la révision constitutionnelle.
Parmi ces propositions, figure la création d’un nouvel article 37-2 obligeant le Gouvernement à prendre les mesures générales d’application des lois. En outre, sur le modèle de la saisine du Conseil constitutionnel, il est proposé de permettre aux présidents des deux assemblées, ainsi qu’à une soixantaine de députés ou une soixantaine de sénateurs de saisir le Conseil d’État en l’absence de publication des mesures réglementaires d’application d’une loi dans un délai raisonnable.
Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, notre institution est très attachée à l’application effective des lois que nous votons.