Cela étant, des collègues spécialistes du monde maritime et fluvial et moi-même avons souhaité organiser ce débat.
Bordée par trois mers et un océan, la France redécouvre qu’elle est un pays maritime. Avec des navires et leurs équipages connectés en permanence à la terre, nous sommes entrés dans l’ère de la maritimisation des échanges. Si, comme on le dit, la mer semble de plus en plus être une sorte de prolongement de la terre, le fleuve est finalement une avenue, une artère, une veine irriguant tous les territoires avec une dimension éminemment européenne.
S’il existe un fait maritime, il existe aussi une réalité fluviale ! À la mer, le commerce du lointain, au fleuve, l’acheminement dans les terres. Du bassin rhénan à la Provence, des Flandres à la Ligurie !
Mais notre vieux et beau pays, irrémédiablement centré sur sa capitale, Paris, est pourtant irrigué en toutes régions par d’importants cours d’eau. L’Europe continentale du Nord, pionnière du fluvial, se présente comme une longue plaine entre mer et montagne. Quelque part, le destin de l’Europe s’y est inscrit en favorisant les échanges par voie navigable.
La géographie fluviale française se concentre autour de trois axes majeurs, commercialement stratégiques : l’axe Seine-Nord-bassin rhénan ; l’Ouest, et son grand bassin fluvial atlantique ouvert sur l’océan, connecté aux ports de la façade ; enfin, l’axe Rhône-Saône vers la Méditerranée.
Le fluvial est donc le prolongement de la connexion des ports avec ce que l’on appelle aujourd’hui techniquement l’hinterland, autrement dit l’arrière-pays – une aubaine géographique ignorée en pratique dans notre pays.
Nos villes anciennes, capitales régionales, sont toutes associées aux cours d’eau. Avec l’écluse, puis les canaux de jonction, Henri IV a été le précurseur du développement économique des territoires par la navigation intérieure. Cette volonté existera pendant trois siècles avant la raréfaction des investissements et un entretien en déclin, notamment durant ces dernières décennies.
Pour ce qui concerne la situation actuelle, je laisse à mes chers collègues le soin d’énumérer les chiffres clés du transport fluvial, en établissant les forces et les faiblesses de ce mode de transport aujourd’hui.
Pour ma part, je souhaite poser simplement les bases d’un débat utile parce qu’il est nécessaire de tirer le meilleur parti de nos 8 000 kilomètres de voies navigables. Ce débat doit permettre de faire émerger des propositions concrètes, des perspectives économiques et de consolider le calendrier. Nous attendons du Gouvernement qu’il nous éclaire sur les choix stratégiques qu’il souhaite opérer et qu’il nous indique s’il entend s’appuyer sur les recommandations du Conseil d’orientation des infrastructures.
Un mot sur la réalité actuelle : le secteur du fret, malgré un recul quantifiable, a un besoin croissant de personnel qualifié. N’oublions pas que près de 5 000 personnes en France vivent directement du transport fluvial. Cela signifie que l’on doit mettre aussi l’accent sur la formation, à l’instar de l’apprentissage proposé par le Centre de formation d’apprentis de la navigation intérieure situé au Tremblay-sur-Mauldre, dans les Yvelines, offrant des débouchés variés aux jeunes : de matelot à commandant ou chef d’entreprise de batellerie artisanale. La prochaine loi sur la formation professionnelle et l’artisanat sera l’occasion d’évoquer ce point.
Le gestionnaire des infrastructures, Voies navigables de France, ou VNF, reste dépendant des financements publics et doit faire face à une baisse des investissements sur les infrastructures et l’hydraulique. Nous attendons du Gouvernement qu’il se positionne clairement sur la question. Un euro investi dans nos voies navigables est un euro utile pour le développement de l’activité fluviale.
D’autres pays l’ont compris depuis des siècles : les connexions des ports avec l’hinterland sont cruciales. La Belgique et les Pays-Bas ont prospéré bien avant le siècle d’or à partir de cette réalité fluviale, dont la République des Provinces-Unies, née de l’Union d’Utrecht signé en 1579, sut tirer un profit retentissant en se hissant au rang de première puissance commerciale au monde. Aujourd’hui encore son économie énergique y trouve sa source. Application concrète : à Utrecht, cette célèbre ville, depuis 2012, des navires électriques assurent une partie du fret et du ramassage des ordures sur un canal datant du XIIe siècle. À Amsterdam, un célèbre transporteur utilise un bateau de livraison.
Comparaison ne vaut pas raison, surtout avec la France dans ce domaine au regard de géographies si différentes en matière fluviale et maritime. Pourtant, tous nos grands ports français sont aux avant-postes d’un fleuve, donc du pays de l’intérieur qu’ils irriguent depuis des temps immémoriaux.
Comment répondre à la complémentarité des usages ? En donnant un nouvel élan à la logistique et au transport de marchandises sur le grand gabarit, en accroissant et en offrant une meilleure visibilité au tourisme fluvial de petit gabarit.
Comment tirer le meilleur parti de l’hydraulique, notamment dans les territoires ruraux – risques, biodiversité, alimentation en eau ?
Une modernisation des voies navigables est nécessaire. Il faut investir d’urgence et mener rapidement à leur terme des projets comme la liaison Seine-Escaut, le canal Seine-Nord avec un gabarit européen. Il faut relier la Normandie et la région parisienne au Benelux grâce à une voie navigable à grand gabarit – c’est de l’aménagement du territoire.
Or, aujourd’hui, les grands projets d’intérêt public sont contrariés par des minorités agissantes – pensons à Notre-Dame-des-Landes –, malgré toutes les procédures légales et démocratiquement validées. De quoi susciter quelques inquiétudes pour relancer l’aménagement du territoire, ce qui est d’intérêt public.